Publié le 20 déc 2024Lecture 6 min
Quels sont ces médicaments qui altèrent la fertilité masculine ?
Hélène JOUBERT, d’après la communication du Dr Mathilde Latour
![](https://www.gynecologie-pratique.com/sites/www.gynecologie-pratique.com/files/styles/une_journal_578_383/public/images/article_journal/capture_decran_2025-01-06_a_14.36.43.png?itok=JPsp8xjx)
La consommation médicamenteuse chez le futur père est une réelle préoccupation puisque 10 % des questions posées en 2023 aux experts du Centre de référence sur les agents tératogènes (CRAT) portaient sur ce point, contre 3 % en 2013. Parmi ces questions, 44 % concernaient une grossesse conçue en cours de traitement. Antidépresseurs ISRS, antidiabétiques, inhibiteurs calciques, isotrétinoïne ou valproate de sodium, le Dr Mathilde Latour (hôpital ArmandTrousseau, Paris) passe en revue les données de la littérature.
Les futurs pères sont fré quemment exposés à un ou plusieurs médicaments en préconceptionnel, précisément un tiers des hommes dans les 3 à 6 mois avant la conception(1). Selon une étude néerlandaise, un tiers des futurs pères sont exposés à un ou plusieurs médicaments pendant les 3 à 6 mois avant la conception de leur enfant et pendant la grossesse de leur conjointe(1).
Cette proportion est retrouvée dans une étude menée entre 2010 et 2024, publiée en 2024, restreinte au marché américain, selon laquelle un tiers des pères ont été traités en préconceptionnel entre 2011 et 2020 avec 8,6 % des grossesses exposées aux psychotropes, 7,2 % aux antibiotiques, 6,8 % aux analgésiques et 5,6 % aux antihypertenseurs, pour les molécules les plus courantes(2).
Les risques chez l’homme traité comprennent des perturbations de la sexualité (troubles de l’érection, de l’éjaculation et de la libido) ainsi qu’une altération de la fertilité. L’impact sur la descendance est également à prendre en compte, notamment en raison du passage éventuel de substances par voie vaginale. Il existe un risque de génotoxicité. De plus, certains traitements peuvent être mutagènes, ou encore clastogènes en augmentant le risque de cassures chromosomiques ou d’altération des brins d’ADN. La tératogénicité est un autre effet préoccupant, tout comme les atteintes non malformatives (retard de croissance intra‐utérin, prématurité). À plus long terme, des troubles du neurodéveloppement chez la descendance peuvent également survenir.
L’évaluation de l’exposition paternelle commence par l’examen des données cliniques, incluant la conception, l’issue des grossesses et les résultats du spermogramme. En l’absence de données suffisantes, les spécialistes se réfèrent à celles précliniques obtenues chez l’animal, notamment en ce qui concerne la fertilité, la génotoxicité et la tératogenèse. D’autres éléments entrent en ligne de compte, comme le passage potentiel des substances dans le liquide séminal, la classe pharmaco‐thérapeutique du médicament utilisé (mécanisme d’action, pharmacocinétique, notamment la demi‐vie d’élimination plasmatique ainsi que les effets indésirables).
Les antidépresseurs ISRS
Selon les études précliniques, les antidépresseurs inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) tels que la sertraline et la paroxétine, ne sont pas génotoxiques. Pour la sertraline, aucune atteinte à la fertilité n’a été observée chez l’animal. En revanche, la paroxétine a été associée à des effets indésirables chez le rat (vacuolisation de l’épithélium de l’épididyme, atrophie des tubules séminifères). Les données cliniques sur la fertilité masculine sous sertraline et paroxétine sont peu nombreuses et contradictoires quant à la mobilité, la numération et la viabilité des spermatozoïdes ou les anomalies de l’ADN spermatique(3). Sur plus de 1 000 grossesses, aucune malformation ni aucun trouble du neurodéveloppement chez la descendance d’hommes traités n’a été observé. « Leur usage prolongé n’a pas fait apparaître d’effets néfastes sur la descendance des patients traités, selon des données très nombreuses », résume le Dr Latour. En cas d’altération des paramètres spermatiques ou de troubles de la sexualité pendant le traitement, il est conseillé de discuter un changement de molécule.
Les antidiabétiques
Les études précliniques montrent que la metformine n’est pas génotoxique et n’entraîne pas d’atteinte de la fertilité chez l’animal. Les données cliniques sont rassurantes pour la fertilité masculine, notamment chez les hommes traités pour un syndrome métabolique(4). Cependant, le risque de malformations chez la descendance reste un sujet de débat. Deux études de 2022 ont retrouvé une augmentation des malformations, cependant celles‐ci présentent de nombreux biais méthodologiques(5,6). De plus, il n’y a pas, à ce jour, d’hypothèse physiopathologique pouvant expliquer ces résultats Des données publiées en 2024 sur plus de 1 000 enfants nés de pères traités par metformine sont rassurantes(7).
Le sémaglutide, le liraglutide et le dulaglutide, tous des analogues du GLP‐1, ne semblent pas génotoxiques, d’après les études précliniques, et n’entraînent pas d’atteinte à la fertilité chez l’animal. Aucune donnée clinique n’est disponible pour le sémaglutide. Un cas clinique a rapporté une moindre concentration et une moins bonne mobilité des spermatozoïdes après cinq mois de traitement par liraglutide, mais résolutives après un arrêt du médicament. Une amélioration de la mobilité progressive, de la concentration et des formes normales des spermatozoïdes chez des patients obèses a été rapportée sous liraglutide(8). Quant au dulaglutide, aucun impact négatif sur les paramètres spermatiques chez des volontaires sains traités pendant quatre semaines n’a été observé.
Les inhibiteurs calciques
Des cas rapportés avec la nifédipine et le vérapamil ont montré des modifications biochimiques réversibles de la tête des spermatozoïdes lors de procédures de fécondation in vitro (anomalies de fixation des spermatozoïdes à la zone pellucide, dysfonctionnement de la réaction acrosomique), corroborées par plusieurs études animales. Pour sa part, l’amlodipine n’a pas montré d’atteinte de la fertilité dans les études précliniques et cliniques, mais les données sont parcellaires. Par conséquent, « il faut penser aux inhibiteurs calciques en cas de troubles de la fertilité chez les patients traités, souligne l’experte, et contrôler le spermogramme à distance. Si aucun autre facteur d’infertilité n’est identifié, le traitement anti‐hypertenseur peut être changé, dans la mesure du possible ».
L’isotrétinoïne
L’isotrétinoïne, bien connue pour ses effets tératogènes en cas de traitement chez la mère, n’est pas génotoxique, selon les études précliniques. Chez l’animal, des altérations dose‐dépendantes et réversibles des tubes séminifères ont été observées. Les données cliniques ne font pas ressortir d’atteinte de la fertilité masculine. Le passage de l’isotrétinoïne dans le liquide séminal est négligeable. Les rares données indiquent qu’il n’y a pas d’effet sur la descendance des pères traités. « Il n’est donc pas nécessaire de prendre des précautions particulières pour un homme sous traitement désirant concevoir », estime le Dr Latour.
Le valproate de sodium
L’acide valproïque ou valproate de sodium est principalement utilisé pour traiter l’épilepsie. Le divalproate de sodium et le valpromide sont utilisés pour les troubles bipolaires et se métabolisent en acide valproïque. Les résultats des études précliniques sont contradictoires concernant la génotoxicité de ces médicaments, dont la pertinence clini que reste incertaine. En ce qui concerne la fertilité animale, des atteintes réversibles de la spermatogenèse et une atrophie testiculaire ont été observées chez le rat et le chien. Chez l’homme, les données cliniques indiquent que le traitement peut entraîner des altérations du spermogramme (numération, mobilité, formes typiques des spermatozoïdes), réversibles à l’arrêt. Ce dernier peut également réduire les taux de testostérone, le volume testiculaire et induire une dysfonction érectile. En 2023, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a émis une alerte concernant les grossesses conçues pendant un traitement paternel à l’acide valproïque, relayée en 2024 par l’Agence européenne des médicaments (EMA) et fondée sur une étude scandinave non publiée qui suggère un risque de troubles du neurodéveloppement chez les enfants nés de pères sous traitement. Cependant, du fait des limites méthodologiques et du mécanisme physiopathologique incertain, les réseaux ENTIS (European Network of Teratology Information Services) et OTIS (Organization of Teratology Information Specialists) ont considéré cette année l’alerte prématurée, d’autant que deux études portant sur plus de 1 000 enfants nés de pères traités n’ont pas retrouvé ces résultats(9,10). Pour le Dr Mathilde Latour, « il est donc possible pour le futur père de concevoir en cours de traitement par acide valproïque sans surveillance anté‐natale spécifique ni préservatifs. Cependant, il faut garder cette exposition en tête en cas de troubles de la fertilité masculine ».
D’après la communication du Dr Mathilde Latour, « Les médicaments qui altèrent la fertilité masculine », atelier SMR‐Perturbateurs de fertilité : les toxiques cachés, FFER 2024, Brest.
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