Publié le 11 jan 2015Lecture 15 min
Restauration de la fertilité : les trompes et les ovaires
F.-X. AUBRIOT, C. CHAPRON, D. DE ZIEGLER, hôpital Cochin, Paris
Restaurer une anatomie pelvienne normale n’est jamais une perte de temps. En dehors des grossesses obtenues naturellement dans des conditions plus agréables que la FIV, cela permet dans certains cas d’améliorer les résultats de celle-ci. Cette restauration ne doit pas pour autant retarder la mise en route d’une FIV si certaines situations nous obligent à presser le pas (âge de la patiente, hypofertilité masculine associée), mais elle permet alors parfois d’obtenir des grossesses entre les cycles FIV, nous rappelant ainsi que nous ne traitons pas des couples stériles mais plutôt hypofertiles.
Rappel historique Dans les années 1977, la chirurgie de la trompe se faisait à l’œil nu par laparotomie. On utilisait des clamps de Caplier pour faciliter l’éversion de la portion distale de la trompe, tandis que les obstructions proximales étaient traitées par l’implantation tubo-utérine à la Reverdin selon Palmer. Certains commençaient à utiliser des lunettes loupes et essayaient de limiter la taille des fils de suture. La microchirurgie a fait ensuite son apparition adaptant le microscope des ophtalmologistes à la chirurgie pelvienne. Le grossissement optique permit alors de mettre le chirurgien à l’échelle de la trompe, améliorant la précision du geste chirurgical. On prit ainsi conscience du caractère traumatisant des instruments, de la dessiccation des tissus durant l’intervention, de la diffusion de la coagulation et de l’ischémie provoquée par les fils de suture, ainsi que de la réaction inflammatoire qui accompagnait leur résorption. Les instruments devinrent plus fins, le geste chirurgical plus adapté à l’anatomie précise des lésions, l’intervention se faisant sous arrosage permanent des tissus. À l’époque, la cœlioscopie servait principalement à évaluer les lésions, préparant ainsi les modalités thérapeutiques de la laparotomie qui était faite secondairement. Il était possible d’effectuer quelques gestes thérapeutiques par cette voie, mais le chirurgien était souvent mal à l’aise, courbé sur l’optique du cœlioscope, son aide étant, lui, complètement aveugle. L’arrivée des caméras a, bien sûr, tout changé, la cœliochirurgie faisait vraiment son apparition. Un nouveau matériel chirurgical fut alors mis au point grâce à l’ingéniosité de certains, essayant d’effectuer de plus en plus d’actes chirurgicaux par cœlioscopie. À cette époque, la fécondation in vitro (FIV) faisait, elle aussi, son apparition, nous apportant des premières grossesses un peu miraculeuses. Le développement fulgurant de cette technique a, bien sûr, là encore, tout changé. Après quelques années un peu laborieuses de mise au point, tant du point de vue clinique que biologique, la FIV est devenue la pratique de référence pour traiter l’infertilité féminine et, bientôt, l’infertilité masculine. La facilité des ponctions sous contrôle échographique, la maîtrise de l’ovulation et la possibilité d’avoir une grossesse tout de suite (c’est-à-dire 15 jours après la ponction) ont rendu la chirurgie moins attrayante, moins spectaculaire, moins médiatique. Tout cela méritait une mise au point plus objective, moins partisane, plaidant en faveur d’un concept plus réaliste : chirurgie et FIV ne sont pas opposées mais complémentaires, tout médecin prenant en charge l’infertilité conjugale devant certainement maîtriser les deux techniques. La chirurgie de la trompe La chirurgie de la portion distale de la trompe On distingue les salpingonéostomies et les fimbrioplasties. Les salpingonéostomies Elles concernent généralement des occlusions distales complètes, le geste chirurgical portant sur les trois tuniques (muqueuse, musculeuse, séreuse). Les fimbrioplasties, à l’inverse, concernent généralement des occlusions incomplètes, le geste chirurgical portant uniquement sur la muqueuse. En 1985, nous avions publié avec Jean-Bernard Dubuisson et Jacques Barbot, une série opérée sous microscope par laparotomie avec 52,5 % de grossesses pour les fimbrioplasties et 36,8 % de grossesses pour les salpingonéostomies. Dans les années 1990, la cœliochirurgie a pris le relais de cette chirurgie distale. La technique cœlioscopique s’inspirait en tout point de la chirurgie sous microscope (figure 1) en dehors de l’éversion de la trompe qui se faisait le plus souvent par rétraction thermique de la séreuse (vaporisation laser ou bipolaire). Ainsi, nous rapportions avec Jean-Bernard Dubuisson, une série de 123 plasties tubaires distales(1) (excluant de la prise en charge les lésions tuberculeuses et les lésions tubaires bifocales). Le taux de grossesses était de 30,4 % avec 28,5 % d’accouchements, 4,4 % de fausses couches et 7,1 % de grossesses extra-utérines. Les résultats étaient identiques à ceux de la microchirurgie par laparotomie. La difficulté est qu’il paraissait difficile de les améliorer. La question de ce plafonnement était d’autant plus importante à comprendre que la FIV se développait. On comprit alors que le pronostic était lié au caractère irréversible de l’atteinte tubaire et, en particulier, à celui de la muqueuse. Il fallait donc évaluer les résultats en fonction de l’atteinte de celle-ci et ainsi mieux définir les indications thérapeutiques et les choix entre la chirurgie et la FIV. Les scores tubaires ont ainsi permis de mieux poser ses indications. Figure 1. Incision de l’hydrosalpinx. Le score de Boer-Meisel(2) (1986) s’évalue en fonction de la muqueuse tubaire. Il s’appuie sur deux types de lésions : l’atrophie plus ou moins marquée des plis tubaires et l’hypertrophie qui se caractérise, à l’inverse, par une augmentation de la taille de ses plis avec coalescence de ceux-ci, réalisant au maximum un aspect en filet dit « en nid d’abeille », appelé salpingite alvéolaire ou salpingite folliculaire (figure 2). Figure 2. Salpingite alvéolaire. On pouvait ainsi définir trois groupes : – le groupe 1 avec une muqueuse normale avec plis tubaires réguliers ; – le groupe 2 avec atrophie modérée des plis tubaires et alternance de zone d’atrophie et de zone de muqueuse normale ; – le groupe 3 regroupant les atrophies sévères et à l’inverse, les hypertrophies alvéolaires. La reprise de nos résultats en fonction de l’état de la muqueuse tubaire a permis de retrouver : pour le groupe 1 : 53,1 % de grossesses intra-utérines, sans aucune GEU ; pour le groupe 2 : 27,5 % de grossesses intra-utérines avec 12,5 % de GEU ; pour le groupe 3 : aucune grossesse intra-utérine et 9,6 % de grossesses extra-utérines. Ainsi, les indications thérapeutiques étaient mieux définies, si bien que la FIV était proposée aux patientes du groupe 3, aux patientes qui n’étaient pas enceintes dans l’année suivant l’acte chirurgical ou encore aux patientes présentant d’autres facteurs de stérilité associés comme une infertilité masculine, un âge plus avancé ou une insuffisance ovarienne débutante. Restait à définir la méthodologie de la sélection des patientes Première étape : l’hystérographie Elle permet, par l’analyse des plis tubaires, d’éliminer d’emblée les aspects de salpingite alvéolaire, les petits hydrosalpinx à paroi rigide avec atrophie de la muqueuse (figure 3), les volumineux hydrosalpinx distendus (figure 4) et les lésions bifocales avec atteinte proximale et distale de la trompe. Figure 3. Petit hydrosalpinx à paroi rigide. Deuxième étape : la cœlioscopie Après évaluation des lésions éliminant les patientes présentant des adhérences sévères et des hydrosalpinx trop volumineux ou petits à paroi rigide, on pratique une ouverture de la portion distale de la trompe pour évaluer l’état de la muqueuse tubaire. En effet, l’analyse de cette portion distale de la muqueuse reflète assez bien celle du reste de la trompe et, en particulier, celle de la muqueuse ampullaire. Les patientes du groupe 1 et du groupe 2 bénéficieront alors d’une salpingonéostomie tandis que l’on discutera l’attitude thérapeutique pour les patientes du groupe 3 entre abstention ou salpingectomie. Un certain nombre d’arguments plaident pour la salpingectomie La patiente doit, bien sûr, être informée de cette possibilité thérapeutique avant l’intervention. Tout d’abord, la salpingectomie par cœlioscopie est le plus souvent simple et rapide à réaliser. En cas d’adhérences sévères, elle peut être remplacée parfois par une simple ligature section des isthmes tubaires. Cette intervention permet d’éviter les poussées infectieuses toujours possibles en cas d’hydrosalpinx. Elle permet aussi de prévenir le risque de grossesse extra-utérine ampullaire, laissant persister néanmoins le risque de GEU interstitielle. Comme l’ont montré un certain nombre de publications, elle ne modifie pas la fonction ovarienne. Son principal intérêt réside enfin, depuis les publications de A. Strandell(3), dans l’amélioration des résultats de la FIV en cas de volumineux hydrosalpinx. Depuis, de nombreuses publications ont permis de confirmer cet effet délétère sur le taux de grossesses des hydrosalpinx, avec une amélioration du taux de grossesses et une baisse du taux de fausses couches après ligature ou ablation de ceux-ci. Il est, en revanche, utile de rappeler que cette démonstration a été faite pour les gros hydrosalpinx et non pour les trompes perméables pathologiques après, en particulier, chirurgie tubaire. Ainsi, en l’absence de grossesse après plastie, il n’y a pas d’indication à effectuer une salpingectomie si la trompe est restée perméable et qu’une FIV est donc envisagée. Il faut conclure ce chapitre sur la chirurgie tubaire distale par la publication de AJS Watson (1990) qui rapporte 5 % d’accouchements après plastie tubaire, rappelant seulement qu’il ne faut faire que ce que l’on sait faire ! La chirurgie de la portion proximale de la trompe Là encore, la microchirurgie par laparotomie, avec la technique d’anastomose utéro-tubaire selon Gomel, a très vite remplacé les implantations macrochirurgicales tubo-utérines. En revanche, les difficultés de l’adaptation de cette technique à la cœlioscopie, le caractère souvent bifocal des lésions en cas d’atteinte proximale font souvent orienter les patientes vers la FIV d’emblée. Il n’est pas certain que l’utilisation de la chirurgie robotique change cette préférence. En revanche, les excellents résultats de la destérilisation sous microscope, voire par cœlioscopie, rendent cette chirurgie toujours très attrayante. Nous avions montré à l’époque, l’importance de la technique de stérilisation, celle-ci devant être économe, portant uniquement sur l’isthme tubaire. Néanmoins, le développement des techniques de stérilisation sous contrôle hystéroscopique (procédé Essure) en ambulatoire sans anesthésie change considérablement le problème en cas de demande de réversibilité. Les adhésiolyses La libération des adhérences pelviennes, source d’infertilité, fait pleinement partie du chapitre de la chirurgie de la stérilité. Les adhérences sont d’ailleurs souvent associées à des lésions tubaires, leur libération constituant alors le premier temps de la chirurgie de la trompe. Les principales causes d’adhérences sont l’infection, les séquelles de la chirurgie et l’endométriose Ainsi, pour Liakakos(4), 55 à 100 % des femmes qui subissent une chirurgie pelvienne présentent, dans les suites opératoires, des adhérences. Elles ont pour conséquences, en dehors de l’infertilité par modification des rapports anatomiques pelviens, la survenue de douleurs, d’occlusion intestinale parfois et de difficultés chirurgicales en cas de nouvelle chirurgie. Ainsi, les adhérences sont présentes chez 40 % des femmes infertiles et constituent le seul facteur d’infertilité dans 10 à 15 % des cas. L’étude des mécanismes qui président à la formation des adhérences est très importante. C’est, en effet, sur la compréhension de ses mécanismes que repose la stratégie de leur prévention. Le mécanisme initial paraît être la formation de dépôt de fibrine. Cette fibrine peut soit se résorber (activité fibrinolytique), soit s’organiser en adhérences, ceci surtout en cas de lésions tissulaires qui entraînent une dévascularisation avec création d’adhérences pour revasculariser les tissus(5) et en cas de réaction inflammatoire (infection, réaction à corps étranger). La baisse de l’activité fibrinolytique qui permet de résorber la fibrine est favorisée par l’hypoxie et l’ischémie des tissus lésés. Les résultats des adhésiolyses par cœlioscopie sont très variables Ils changent selon les publications (de plus de 50 % à moins de 17,7 %), selon l’importance des adhérences retrouvées (score adhérentiel d’opérabilité)(6). Le bon résultat des adhésiolyses dans les formes peu sévères justifie pleinement leur recherche et la pratique d’une cœlioscopie au moindre doute (antécédents chirurgicaux, antécédents d’infection, trouble de la diffusion à l’hystérographie). De plus, en cas de stérilité inexpliquée, de nombreuses publications préconisent la pratique d’une cœlioscopie à la recherche d’adhérences ou d’endométriose(7). La prévention des adhérences Elle doit être la préoccupation de tout chirurgien effectuant un acte chirurgical abdominal et pelvien (chirurgie de l’endométriose, des ovaires, myomectomie, chirurgie digestive). Le principe de prévention des adhérences découle des connaissances et des règles de la microchirurgie. L’atraumatisme des tissus opérés, la prévention des lésions thermiques, l’hémostase minutieuse, c’est-à-dire complète mais limitée, la lutte contre la dessiccation des tissus et la réaction à corps étrangers (talc et suture) font partie d’une démarche essentielle de prévention. Le développement de la cœliochirurgie va dans ce sens, à la condition que l’opérateur respecte ces principes. Un certain nombre d’agents de prévention des adhérences ont aussi été mis en place. Les agents barrière Ils évitent le contact entre les structures tissulaires pelviennes. Leur risque est la survenue d’une réaction à corps étranger. On distingue : – Interceed® : il s’agit d’une membrane taillée selon les besoins, pouvant être mise en place par cœlioscopie ou par laparotomie. Une hémostase soigneuse est requise. Elle se résorbe en 2 semaines ; – Goretex® : il s’agit d’une membrane non résorbable qui doit être suturée. Elle est donc surtout adaptée à la laparotomie et paraît principalement intéressante en cas de défect péritonéal ; – Seprafilm®. Il correspond à une membrane synthétique résorbable (1 semaine) proposée principalement en cas de laparotomie. En effet, cette membrane adhère facilement sur elle-même et sa mise en place par cœlioscopie est délicate. Les gels – Tissucol : il s’agit d’un gel de fibrine obtenu par mélange de deux solutions. Il permet la formation d’un caillot de fibrine qui facilite l’hémostase locale. – Hyalobarrier® Endo : il s’utilise sans reconstitution par simple réchauffement à température ambiante. Il adhère bien à la surface des tissus et se résorbe en 7 jours. Les produits permettant une hydroflotation À côté du traditionnel sérum salé et du Ringer qui se résorbent rapidement, d’autres produits ont été développés. ADEPT fait partie de ces produits. Sa durée de vie est de 4 jours dans la cavité péritonéale. L’étude Pamela(8) a comparé ADEPT au Ringer Lactate, montrant un net intérêt pour l’utilisation du premier. Les ovaires On distingue le drilling ovarien, les kystectomies en dehors de l’endométriose, la chirurgie des kystes endométriosiques. Le drilling ovarien Il concerne une prise en charge chirurgicale des ovaires micropolykystiques. La technique est dérivée des résultats de la classique résection partielle des ovaires par laparotomie. On réalise ainsi par cœlioscopie ou fertiloscopie, à la pointe unipolaire ou au laser, 4 à 10 perforations par ovaire, à distance du hile bien sûr. Le principal risque est la survenue d’adhérences post-opératoires et d’une insuffisance ovarienne. Le drilling ovarien n’est jamais proposé en première intention mais en cas d’échec du citrate de clomiphène. Les kystectomies en dehors des kystes endométriosiques Le bénéfice des kystectomies en cas d’infertilité est difficile à évaluer. Certaines publications rapportent un bénéfice réel en termes de fertilité, après kystectomie(9). Encore faut-il insister sur le risque d’adhérences postopératoires et sur le possible effet délétère d’une kystectomie sur la réserve ovarienne. À ce titre, la résection doit être économe. Dilek(10) a ainsi retrouvé des follicules sur la pièce opératoire de kystectomie dans le tissu adjacent aux kystes et emportés lors de l’intervention. Enfin, l’hémostase de l’ovaire doit être aussi soigneuse que possible mais surtout non extensive. Les kystes endométriosiques La chirurgie des kystes endométriosiques s’inscrit à l’inverse dans une prise en charge globale de l’endométriose et de la fertilité. Les kystes endométriosiques sont, en effet, rarement isolés, mais le plus souvent associés à une endométriose pelvienne superficielle ou profonde qui participe à l’infertilité. La plupart des auteurs retrouvent une diminution de la réponse ovarienne avec diminution de la quantité d’ovocytes obtenus lors d’une FIV après kystectomie pour kyste endométriosique, sans que cela modifie forcément le résultat final de la FIV. Ainsi, Benaglia(11) retrouve une diminution de la quantité d’ovocytes collectés sur l’ovaire opéré comparativement à l’ovaire controlatéral, tandis que le taux de récidives est de 46 % dans cette étude. Ainsi, la chirurgie des kystes endométriosiques doit être économe. Elle est contreindiquée en cas de kystes bilatéraux, de récidive de kyste endométriosique et de réserve ovarienne basse(12). Conclusion La chirurgie de l’infertilité féminine garde actuellement toute sa place dans l’arsenal thérapeutique. L’opposer à la FIV est une erreur. Les deux techniques sont complémentaires. Sa défense n’est pas celle d’une arrière-garde vieillissante défendant des techniques dépassées. Si tout médecin prenant en charge un couple en recherche de grossesse doit connaître la physiologie de la reproduction de l’homme et de la femme, il doit aussi maîtriser la chirurgie de l’infertilité, en connaître les modalités et les indications, afin que sa démarche thérapeutique ne dépende pas de son orientation, mais plutôt de l’affection qu’il doit prendre en charge. Encore faudrait-il continuer à enseigner cette chirurgie dans les centres de FIV.
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