Publié le 14 avr 2025Lecture 6 min
Le déclenchement ambulatoire du travail est-il envisageable ?
Mathieu CHAMAGNE, Yasmine SOUALACHALET, Hôpital de la Pitié‐Salpêtrière, Paris

Le déclenchement du travail concernait en France 25,8 % des grossesses d’après la dernière enquête périnatale de 2021 (22 % d’après la même enquête en 2016)(1). Ce taux a très probablement encore augmenté depuis. L’une des pistes d’explication de cette augmentation, évoquée par les auteurs de l’enquête, serait que les résultats des essais, et notamment ceux de l’étude américaine ARRIVE, ont encouragé les obstétriciens à recourir plus fréquemment au déclenchement(2).
L'étude ARRIVE est actuellement reproduite en France afin d’évaluer si ces résultats sont identiques dans notre population, avec des pratiques obstétricales, une organisation de soins et des taux de césariennes différents. L’objectif principal de FRENCH‐ARRIVE est de voir si le déclenchement systématique à 39 semaines d’aménorrhée chez la primipare, dans un contexte de grossesse à bas risque, permettrait de réduire le taux de césariennes(3). Si les résultats de cette étude sont concluants, nous pouvons nous attendre à une nouvelle augmentation du taux de déclenchement. Le problème étant que l’organisation des soins de nos maternités n’est actuellement pas adaptée à de telles pratiques. Ceci peut justifier le fait d’essayer de trouver des alternatives aux protocoles actuels tels que le déclenchement en ambulatoire.
Pratiques actuelles en France
La maturation cervicale est nécessaire dans 69 % des déclenchements. Les méthodes actuellement disponibles sont :
– le dispositif intravaginal de dinoprostone (utilisé dans 48,7 % des cas) ;
– le ballonnet supra‐cervical (23,9 % des cas) ;
– le misoprostol per os (17,2 % des cas) ;
– le gel de prostaglandine (9,7 % des cas).
Les recommandations sur le déclenchement du travail datent de 2008. Le misoprostol oral n’avait alors pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM obtenu en 2018), et la sonde de Foley n’était pas recommandée en routine dans le déclenchement du travail.
Ces recommandations, qui précisaient également que « le déclenchement du travail, quelle que soit la méthode utilisée, devait être réalisé à proximité d’une salle de césarienne » ne sont donc plus en accord avec les pratiques actuelles.
Une enquête téléphonique réalisée par notre équipe en septembre 2024 auprès de 40 maternités de CHU en France a identifié trois centres (7,5 %) qui utilisaient en routine le ballonnet supra‐cervical en ambulatoire pour le déclenchement du travail, deux centres dans le cadre d’une étude et un de manière exceptionnelle. Le taux de réponse était de 92 %. Il n’y a pas à l’heure actuelle de données françaises dans la littérature concernant le déclenchement ambulatoire. Des données d’autres pays, notamment scandinaves sont disponibles.
Misoprostol per os en ambulatoire
Au Danemark, Helming et coll. ont comparé dans une étude de cohorte les données des accouchements des femmes qui bénéficiaient d’un déclenchement à domicile versus hospitalisation par misoprostol per os(4). Les critères de jugement étaient la durée entre le début du déclenchement et la naissance ainsi que la voie d’accouchement. Était également analysée, la morbidité materno‐fœtale (pH, Apgar, hémorragie de la délivrance, endométrite du post‐partum). Dans les deux bras, il était administré un comprimé de 25 µg de misoprostol toutes les deux heures. Dans le grou pe ambulatoire, le premier comprimé était administré à l’hôpital et les autres comprimés au domicile. Dans cette étude, il n’y avait pas de différence significative concernant le nombre d’accouchements dans les 24 heures. En revanche, 72 % des accouchements avaient lieu dans les 48 heures dans le groupe ambulatoire contre 64 % dans le groupe hospitalisation (p < 0,001). Il y avait 13,4 % de césariennes dans le groupe ambulatoire contre 18,6 % dans le groupe hospitalisation (p = 0,039). Les auteurs ne retrouvaient pas de différence significative concernant la morbidité materno‐fœtale.
En Suède, Hallen et coll. ont comparé dans une étude rétrospective la voie d’accouchement et la durée hospitalisation‐naissance entre les patientes qui étaient déclenchées en hospitalisation et celles au domicile(5). La population étudiée était constituée de grossesses à bas risque. Les indications de déclenchement étaient la suspicion de macrosomie fœtale, la grossesse prolongée et la demande maternelle. Le misoprostol per os 25 µg était administré toutes les deux heures. Dans le protocole ambulatoire, la première prise de comprimé avait lieu directement au domicile. Dans cette étude, les auteurs ne retrouvaient pas de différence significative entre les deux groupes concernant la voie d’accouchement. La durée hospitalisation‐naissance était significativement plus courte dans le groupe ambulatoire (12,8 vs 20,7 heures ; p < 0,001). Il n’y avait pas de différence significative concernant la morbidité materno‐fœtale. À noter, un accouchement en extrahospitalier a eu lieu dans le groupe ambulatoire.
Ballonnet supra-cervical en ambulatoire
Une étude randomisée réalisée au Portugal en 2016 avait pour objectif principal de comparer l’efficacité de la maturation cervicale en utilisant le score de Bishop entre les patientes qui bénéficiaient d’une maturation cervicale par une sonde de Foley à l’hôpital versus en ambulatoire. L’indication du déclenchement était principalement la grossesse prolongée (60 % des cas) mais aussi le retard de croissance intra‐utérin, l’hypertension artérielle, le diabète et cholestase gravidique(6).
La sonde de Foley était posée à l’hôpital et les patientes étaient ensuite randomisées en deux groupes : hospitalisation ou retour à domicile (65 patientes incluses dans chaque groupe). Concernant l’objectif principal, les auteurs ne retrouvaient pas de différence significative sur la modification du score de Bishop entre les deux groupes. En revanche, la durée d’hospitalisation était plus courte dans le groupe ambulatoire et le taux de césariennes pour échec de déclenchement plus faible (3 % vs 17 % ; p = 0,02). Il n’y avait pas de différence significative concernant la morbidité materno‐fœtale.
Une autre étude randomisée réalisée en Australie analysait les modalités du travail et de l’accouchement des patientes déclenchées par ballonnet de Cook en hospitalisation ou au domicile(7). L’indication de déclenchement était la grossesse prolongée, et la population étudiée était constituée de grossesses à bas risque. Le ballonnet était posé à l’hôpital et les patientes étaient ensuite randomisées : hospitalisation ou retour à domicile. Il n’y avait pas de différence significative concernant la voie d’accouchement entre les deux groupes. Les patientes du groupe ambulatoire avaient moins fréquemment besoin d’ocytocine que celles qui étaient restées hospitalisées (− 23,6 % ; IC 95 % : – 43,8 à – 3,5). Le vécu psychologique du déclenchement par les patientes était meilleur dans le groupe ambulatoire.
Enfin une méta‐analyse parue en 2022 regroupait les études randomisées évaluant le ballonnet en ambulatoire versus hospitalisation. Son objectif principal était de comparer la durée passée en salle de naissance par les patentes(8). Cete méta‐analyse retrouvait une durée inférieure dans le groupe ambulatoire mais pas de différence concernant la durée d’hospitalisation totale (16,3 ± 9,7 heures vs 23,8 ± 14,0 heures ; différence moyenne −7,24 heures ; IC 95 % : − 11,03 à – 3,34). Elle retrouvait également un taux de césariennes moins important dans le groupe ambulatoire (21 % vs 27 % ; RR 0,76 [IC : 95 % ; 0,59‐0,98]) et pas de différence concernant la morbidité materno‐fœtale.
En conclusion
Nous pouvons voir ces études comme des points de recherche qui laisseraient penser que le déclenchement en ambulatoire est envisageable sans augmenter la morbidité materno‐fœtale. Les données sont contradictoires concernant la voie d’accouchement : diminution du taux de césariennes ou une absence de différence, mais en tout cas pas d’argument en faveur d’une augmentation du taux de césariennes en cas de déclenchement ambulatoire. Il reste maintenant à déterminer quelles patientes seraient éligibles à de telles pratiques.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.
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