Accouchement
Publié le 31 mar 2025Lecture 5 min
L’utilisation de l’ocytocine au cours du travail : quelle place et quels enjeux ?
Aude GIRAULT, Université Paris‐Cité, Inserm UMR 1153, équipe EPOPé, Paris Maternité de Port‐Royal, AP‐HP, Paris Hôpital Cochin, FHU PREMA, Paris

L’ocytocine, hormone de synthèse largement utilisée en obstétrique, joue un rôle majeur dans la gestion du travail. Isolée en 1906 puis synthétisée en 1953, elle permet d’induire ou d’intensifier les contractons utérines. En France, cette hormone est utilisée chez 30 % des femmes en travail spontané et 41 % des femmes déclenchées, reflet de sa place centrale dans les pratiques obstétricales(1). Son utilisation fréquente soulève des préoccupations croissantes quant à ses effets indésirables, notamment lorsqu’elle est employée sans indication médicale stricte ou à des doses élevées. Limiter la dose d’ocytocine, lorsque cela est possible, permetrait de réduire les risques d’hyperstmulaton utérine, d’hypoxie fœtale et d’autres complicatons, tout en garantssant une prise en charge plus sécurisée et respectueuse pour la mère et l’enfant.
L'administration excessive ou inappropriée d’ocytocine peut entraîner une hyperstimulation utérine, caractérisée par des contractons excessivement fortes ou fréquentes, pouvant entraîner une hypoxie fœtale, des anomalies du rythme cardiaque fœtal (RCF) et, dans certains cas, provoquer une acidose fœtale ou une encéphalopathie anoxo‐ischémique néonatale(2). Ces complications peuvent augmenter le risque d’accouchements instrumentaux ou de césariennes en urgence. Par ailleurs, l’ocytocine est également associée à un risque accru d’hémorragie du post‐partum (HPP), avec une association dose‐dépendante(3). D’autres préoccupations incluent une éventuelle altération de la lactation et des effets potentiels sur la santé développementale à long terme de l’enfant, bien que ces derniers nécessitent davantage de recherches pour être confirmés(4,5). Ainsi, les risques associés à l’utilisation de l’ocytocine soulignent l’importance d’une administration prudente et justifiée pour limiter ses effets indésirables et favoriser une prise en charge sécurisée pour la mère et l’enfant.
Recommandations françaises : précautions et limites
Les recommandations françaises actuelles préconisent au cours du travail spontané une administration de l’ocytocine uniquement en cas de stagnation de la dilatation cervicale(6). Ainsi, lorsque la progression de la dilatation est inférieure à 1 cm/4 h entre 5 et 7 cm, ou inférieure à 1 cm/2 h au‐delà de 7 cm, l’ocytocine peut être utilisée(7).
L’usage de l’ocytocine durant la phase de latence (avant 5‐6 cm de dilatation) reste quant à lui encore débattu. Les études spécifiques sur ce stade du travail sont peu nombreuses et souvent de faible niveau de preuve. Les bénéfices de l’ocytocine doivent donc être pesés face aux risques pour la mère et le nouveau‐né, avec une recommandation d’éviter son usage avant la phase active.
Peut-on arrêter l’ocytocine en phase active du travail ?
Une hypothèse est que, lorsque la phase active du premier stade du travail est atteinte (5‐6 cm), il est possible d’interrompre l’administration d’ocytocine, car la sécrétion naturelle de l’hormone peut prendre le relais.
Une méta‐analyse de 2018, portant sur dix études et 1 888 femmes, a comparé l’arrêt de l’ocytocine versus sa poursuite en phase active(8). Les résultats montrent une réduction significative du risque d’hyperstmulation utérine et du RCF pendant le travail lors de l’arrêt de l’ocytocine en phase active du premier stade du travail, en comparaison à une administration continue, et ce, sans effet sur le taux de césariennes, d’HPP ou de morbidité néonatale. En revanche, cet arrêt entraîne une légère augmentation de la durée du travail (26 minutes en moyenne). L’ocytocine était reprise dans 30 à 50 % des cas pour arrêt de progression de la dilatation, suggérant que, dans 50 à 70 % des cas, il est possible d’arrêter l’ocytocine en phase active sans compromettre l’issue du travail.
Essai STOPOXY : résultats et perspectives
L’essai STOPOXY, un essai randomisé contrôlé multicentrique français mené entre 2020 et 2022, a évalué de manière prospective l’impact de l’arrêt de l’ocytocine en phase active sur la morbidité néonatale(9). Conduit dans 21 centres et incluant des femmes ayant reçu de l’ocytocine avant d’atteindre une dilatation de 4 cm, cet essai a mesuré un critère composite de morbidité néonatale incluant un pH artériel < 7,10, un excès de base > 10 mmol/L, des lactates > 7 mmol/L, un Apgar à 5 minutes < 7, et l’admission en réanimation néo natale. Cet essai n’a montré aucune différence significative entre les groupes ayant arrêté ou poursuivi l’ocytocine en phase active du premier stade du travail en ce qui concerne le critère de morbidité composite, le taux de césariennes, les accouchements instrumentaux ou les HPP. Bien que l’arrêt de l’ocytocine en phase active entraîne une augmentation modérée de la durée du travail (47 minutes en moyenne), il n’y avait pas d’impact sur le vécu maternel ni sur les scores de dépression post‐partum à deux mois. Ces résultats renforcent la possibilité d’une réduction raisonnée de l’ocytocine, en adaptant son usage aux besoins de chaque patiente.
Vers une pratique individualisée de l’ocytocine ?
Ces données récentes – qu’elles soient issues de la méta‐analyse de 2018 ou de l’essai STOPOXY – incitent à une reconsidération de l’usage systématique de l’ocytocine et encouragent une approche plus personnalisée. La possibilité d’interrompre son administration en phase active pourrait limiter les risques associés à cette hormone sans affecter les issues obstétricales et néonatales.
Les recommandations pourraient évoluer vers un usage plus ciblé de l’ocytocine, en adaptant l’administration en fonction de la progression du travail et des caractéristiques de chaque patente. Une telle approche individualisée vise à réduire les interventions médicales inutiles et à favoriser une prise en charge respectueuse, centrée sur le bien‐être maternel et néonatal.
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :