Publié le 16 avr 2012Lecture 11 min
PMA, don et secret
Eva WEIL, psychanalyste, Paris
La psychanalyste que je suis se trouve devant deux voies, certes complémentaires, mais tout de même relativement opposées :
- celle qui consisterait à rapporter la littérature scientifique internationale concernant les PMA, ses pratiques et ses conséquences pour les différents protagonistes impliqués, à savoir les donneurs, les receveurs de gamètes et leurs éventuels enfants Ces observations font l’objet de nombreuses publications quantifiées et statistiquement vérifiées dans des revues médicales internationales de haut niveau, et l’item se référant au secret, gardé ou non par les parents dans le don de gamètes, fait partie des thèmes recensés ;
- et/ou essayer d’approfondir et de comprendre les notions et les contenus dont nous traitons ; ici le secret associé au don en analysant et affinant ce thème pour rendre son épaisseur, ses contradictions, son intimité et ses illustrations.
Qu’est ce qu’un secret pour chacun de nous, comment s’en serton dans la clinique ? À quoi cela fait-il référence dans les théories qui nous permettent une certaine compréhension du psychisme et sont des chemins obligés dans ce travail ? Par exemple, comment se décline la notion de secret dans la théorie psychanalytique ? Enfin, comment transmettre cette compréhension à la communauté pluridisciplinaire dans laquelle je suis impliquée en raison de ma pratique hospitalière au sein de la clinique des patients recourant aux dons de gamètes ? Comment exprimer quelque chose de plus sur le vécu et les ressentis des patients/participants des PMA ? Il m’a semblé que l’objectivation exhaustive des effets du secret par une méthode évaluative est une conduite métaphorique qui a des limites essentielles ; par exemple, celui qui tient au secret nous ment si on l’interroge, ou se ment à lui-même, comme dans la mauvaise foi, ou bien encore ses mécanismes de dénégation le maintiennent déjà sous l’effet du secret qui constitue l’aboutissement de ces mécanismes. • La place du secret dans les débuts de la psychanalyse. Pour illustrer ces mécanismes, je ferai un détour par ce qu’il en est de la place du secret dans les débuts de la psychanalyse. L'histoire de la psychanalyse est celle de la découverte d'un fonctionnement secret du psychisme, celui de l'inconscient, qui s’exprime à travers des formations différentes du discours conscient, comme les lapsus, les rêves, les symptômes somatiques et psychiques. Ces symptômes traduisent généralement une souffrance qui se manifeste à travers des déguisements, déplacements et transformations que le travail psychanalytique tend à dénouer. C'est autour du secret que s'élaborèrent les premières formulations théoriques qui conduisirent Freud vers la conception de la psychanalyse. Dans une conférence faite à des juristes, en 1906, Freud exprime, en essayant de distinguer les formes du secret : « Chez le criminel, il s’agit d’un secret que celui-ci connaît et qu’il vous cache, tandis que chez le névrosé, il s’agit d’un secret que lui-même ignore et qui se cache à lui. Le travail du thérapeute serait similaire à celui du juge d’instruction mais avec des méthodes différentes ». • Qui est tenu au secret ? Dans les entretiens systématiques et le plus souvent uniques avec les couples demandeurs d’un don de gamètes, la question du secret se pose de ma part, sous la forme, par exemple, de « Qui est au courant autour de vous de votre démarche ? ». Plusieurs configurations, pas forcément exclusives les unes des autres, peuvent être observées : – tout le monde sait autour d’eux ; – personne ne sait ; – certains savent, d’autres pas, que ce soit la famille, les amis, les relations au travail ou autres. – enfin, que s’agit-il de savoir ? Et on peut alors s’étonner quelquefois de ce qui apparaît comme « caché ». Les couples rencontrés peuvent aussi nous interroger sur ce qu’il convient de dire à l’enfant de sa conception, puisque, du moins en France jusqu’à maintenant, l’anonymat génétique du gamète est la règle et semble imposer l’ignorance de l’identité de l’enfant. • Qu’est-ce qui maintient le secret vis-à-vis de l’entourage, et de l’enfant ? Les parents, qui ne sont que potentiels au moment où je les rencontre, se demandent aussi que dire et comment le dire à l’enfant éventuel. Il leur est souvent difficile de nommer le donneur ou la donneuse : mère biologique, père biologique, géniteur, génitrice, vraie mère, vrai père. Il m’a semblé que cette polysémie faisait écho aux difficultés de se représenter comment un enfant se fabrique, énigme toujours en questionnement et que Freud a formulé dans les Trois essais sur la théorie sexuelle en 1905, « d’où viennent les enfants ? », énigme qui reste le moteur de la curiosité intellectuelle infantile et ultérieure. Ne rien dire à l’enfant de sa conception et des gamètes tiers va généralement à l’encontre des positions morales et idéales contemporaines résultant des théories psychologiques à propos des secrets qui auraient des effets pathogènes, et en particulier, les secrets de famille. Le dire, dans les inquiétudes des couples, ne risquerait-il pas de troubler l’enfant dans son développement en ébranlant les certitudes de sa filiation, de le traumatiser ? De plus, le parent exprime qu’il risquerait peut être de perdre l’amour de son enfant, amour tirant sa solidité de la position légitime de « parent qui l’a fait ». En outre, ne serait-ce pas courir le risque qu’il aille rechercher le partenaire tiers, celui ou celle qui a donné son sperme, ses ovocytes ? • Un révélateur du rapport à sa propre filiation On peut constater, dans toutes ces inquiétudes exprimées, que chaque membre du couple y déploie la structure psychique du rapport à sa propre filiation, à son roman familial et à leur combinaison dans le couple. Le roman familial est classiquement une fable répétitive, généralement oubliée à l’âge adulte, que l’enfant se raconte de ses « vraies origines, vrais parents ». Dans le cas d’intervention de gamètes tiers, cette réalité peut remettre en cause la filiation et peut-être, plus spécifiquement, la filiation paternelle où l’enfant serait enfant de roi, de prince, au moyen d’une construction romanesque produisant une imago parentale plus valorisée. C’est ainsi que, dans les PMA, le secret peut être induit par une énonciation qui s’accompagnerait d’une représentation chargée de honte, même si son rapport direct avec l’infertilité est assez lointain. La stérilité du père, confondue avec l’impuissance, permettrait le fantasme d’introduction d’un tiers dans la lignée féminine ou masculine. La honte peut être induite par l’action agressive – ou supposée telle –, de tiers comme les proches, l‘entourage social. Toutes ces précautions nous semblent nécessaires pour préciser que le « non-dit » à l’enfant de ses origines biologiques particulières ne peut être entendu, en soi et tel quel, comme la source de troubles ultérieurs. De fait, la plupart des études montrent qu’une majorité d’enfants issus de PMA ne connaissent pas leurs origines et ne présentent pas un surcroît de troubles psychiatriques. A contrario, confier à l’enfant ses origines pourrait-il être source de difficultés ultérieures ? Dans la pratique, les enfants qui « savent » parce qu’ils ont été informés du secret assez tôt par des parents pour qui dire la vérité aux enfants est important, ne semblent pas en souffrir particulièrement mais intègrent, bien évidemment, cette question à celle de leur identité à l’adolescence. Confrontés à cette interrogation, les cliniciens, en l’absence d’études épidémiologiques, ne peuvent faire état que de cas singuliers, comme nous le sommes tous. Des mécanismes spécifiques relatifs à chaque mode de don peuvent être retrouvés. La plupart des mères infertiles qui ont eu recours à un gamète féminin étranger se réapproprient psychiquement la filiation par le moyen de la grossesse, centrale pour la plupart des femmes dans la construction de l’identité de mère. Le don d’ovocytes semble davantage lié à la notion de partage de la communauté des mères qu’à celle d’intrusion, et ceci est probablement lié à l’expérience de la grossesse qui peut même entrainer des modifications épigénétiques, du moins, dans le discours des femmes. On peut avoir le sentiment que la situation est différente pour les hommes qui acceptent plus difficilement un gamète mâle étranger. Cela peut nécessiter un processus psychique de dénégation ou de déni qui n’est pas forcément pathogène et peut même quelquefois jouer un rôle protecteur. Je n’aborderai pas les différences entre les hommes et les femmes sur le plan de la construction de la parentalité ni de l’image de la stérilité. • Frédéric et ses deux enfants Voici brièvement, la vignette d’un homme, qui est devenu père de deux enfants par IAD. Frédéric, 48 ans, a deux fils âgés de 8 et 5 ans, nés par insémination artificielle avec donneur, qui ne savent rien de leur mode de conception. Frédéric a découvert sa stérilité, attribuée à une maladie infantile inflammatoire, après son mariage, à l’âge de 40 ans. Après de nombreuses discussions avec sa femme, âgée de 37 ans à l’époque, ils ont décidé de faire appel à un CECOS pour avoir un enfant par IAD. Cette démarche a été tenue secrète pour l’entourage, à l’exception de la mère du patient qui avait exercé le métier d’aide-soignante, et d’une de ses soeurs, confidente de longue date. Le père ainsi les autres frères et soeurs ne sont pas au courant. Dans la famille de la femme, personne n’est au courant, du moins à la connaissance de Frédéric. Le secret à l’égard de l’entourage extra-familial, amical et relationnel a donc été maintenu. Frédéric et sa femme ont toujours eu un avis différent sur ce qu’il est souhaitable de dire aux enfants ; tant qu’ils étaient petits, la question n’était pas abordée mais maintenant qu’ils ont l’âge de raison, la femme souhaiterait dire aux enfants les circonstances de leur conception sans que soit bien clair ce qu’elle souhaite leur révéler ; elle veut leur « dire et ne rien cacher » et Frédéric, lui, ne veut rien dire, ni de sa stérilité, ni de la procédure d’IAD ; il se trouve que le 1er enfant est né par une IAD alors que la conception du second a nécessité une FIV. La réticence manifeste de Frédéric à dire les circonstances de la conception s’attache à cette particularité- là et à cette différence : IAD puis FIVD. Il exprime : « c’est mon histoire personnelle à moi, je n’ai jamais demandé à mon père comment j’étais né, et donc mes fils n’ont rien à savoir, ça ne les regarde pas ». Quant à moi, j’entends, en filigrane, qu’il exprime que s’il agit différemment de son père, c’est qu’il n’est pas un vrai père – comme le sien. Le déplacement du non-dit sur la méthode de conception – FIV et IAD – permet de tenir à l’écart de la conscience l’intervention des gamètes tiers. Nous pouvons constater là que la notion de secret, comme toute construction psychique, peut remanier les données de la réalité et de l’histoire personnelle en les annulant, les déplaçant à une autre place et même en les déniant, sans que ce déni soit toujours pathogène. De fait, dire à un enfant quelque chose du mode de conception implique d’aborder la notion de sexualité, de désir, de filiation et de ce qui fait un parent et un enfant, ce qui n’est pas simple à traiter pour qui que ce soit. Car le secret ne met pas seulement en contact deux personnes dont l’une cache à l’autre un savoir, il véhicule aussi les croyances et les idéaux conscients et inconscients de celui qui en est le porteur. En conclusion Ni les origines, ni les effets du secret, ne sont d’une connaissance aisée. Pour qui désire l’étudier, il est souvent une source d’incertitudes permanentes. Ce rapport au secret constitue un questionnement implicite de la clinique des PMA. Quand la technique se mêle au désir que devient la question freudienne princeps : mais d’où viennent donc les enfants ?
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