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Cancérologie

Publié le 03 mar 2025Lecture 8 min

Faut­-il étendre le dépistage systématique du cancer du sein aux femmes de moins de 50 ans ? Pour une solution pragmatique

Daniel ROTTEN, Paris

La question de savoir s’il est pertinent d’étendre les indications de dépistage organisé du cancer du sein aux femmes de moins de 50 ans revient sur le devant de la scène de manière périodique et récurrente. Dans un point de vue publié début septembre 2024, Karla Kerlikowske, Laura Esserman et Jeffrey A. Tice proposent d’abandonner les positions dogmatiques sur le sujet au profit d’un choix raisonné(1).

Le débat sur l’opportunité d’étendre le dépistage systématique du cancer du sein aux femmes de moins de 50 ans vient d’être relancé à l’occasion d’une modification des recommandations de la United States Preventive Services Task Force (USPSTF) sur le dépistage organisé du cancer du sein(2). La USPSTF est un groupe d’experts américains indépendants, chargé d’émettre des recommandations portant sur les politiques nationales de dépistages et de prévention. Dans sa précédente version (2016), elle recommandait un dépistage mammographique tous les deux ans pour les femmes âgées de 50 à 74 ans et ayant un risque standard. Cela correspond à 13 examens pour un cycle de dépistage complet. Pour les femmes de 40 à 50 ans, les experts estimaient ne pas disposer de données emportant la conviction concernant la balance bénéfices‐ risques. Logiquement, la recommandation de la USPSTF était par conséquent de laisser les femmes décider elles‐mêmes en fonction de leurs éventuels facteurs de risque personnels et de leurs préférences. Dans l’actualisation publiée en avril 2024, la recommandation demeure inchangée pour les femmes âgées de 50 à 74 ans. Toutefois pour les femmes âgées de 40 à 50 ans apparaît une modification majeure. La USPSTF recommande désormais d’étendre le dépistage systématique à cette tranche d’âge. Cela correspond à 18 examens pour un cycle complet. Ce changement de position a suscité d’énormes controverses aux États‐Unis. Les tenants de la nouvelle préconisation mettent en avant les bénéfices, tant individuels que du point de vue santé publique de la nouvelle préconisation. Les opposants émettent des réserves en raison des risques auxquels seront exposées les femmes, risques tant médicaux (excès de biopsies et de surdiagnostics) que psychologiques (angoisses inutiles, stress). Tenants et adversaires du début du dépistage à 40 ans s’appuient sur les mêmes données chiffrées, mais leurs interprétations sont différentes. Parmi les opposants à la mesure, on compte beaucoup d’épidémiologistes. Parmi les intervenants en sa faveur, on trouve notamment les associations de radiologistes…   Bases d’un changement de position   Les précédentes recommandations de la USPSTF reposaient sur les résultats d’une méta‐analyse réalisée par Nelson et coll.(3). Elle confirmait que le dépistage abaissait le risque relatif de décès par cancer du sein : moins 14 % pour les femmes âgées de 50 à 59 ans, et jusqu’à un tiers de moins pour les femmes âgées de 60 à 69 ans. Entre 39 et 49 ans (− 12 %) et après 70 ans (− 20 %), la baisse n’atteignait pas la significativité statistique. Le risque relatif de décès toutes causes n’était quant à lui diminué dans aucune des tranches d’âge considérées (figure 1). Figure 1. Réduction de la mortalité par cancer du sein et de la mortalité toutes causes obtenues par le dépistage systématique. Les réductions sont exprimées sous forme de risque relatif (± intervalle de confiance à 95 %), réparties par tranche d’âge. Les données sont extraites de la méta‐analyse de Nelson et coll.(3).   Depuis cette méta‐analyse, il n’a pas été publié de résultat d’essai randomisé portant sur l’efficacité du dépistage organisé sur la mortalité. En l’absence de données statistiques nouvelles, les discussions autour du changement de recommandation prennent donc en compte des éléments de contexte, et en particulier l’augmentation d’incidence des cancers du sein et l’évolution de la mortalité induite par cette pathologie. • Incidence des cancers du sein Il existe une augmentation d’incidence des cancers du sein dans la population. Elle est plus marquée entre 40 ans et 49 ans. Dans cette tranche d’âge, l’incidence des cancers du sein est passée aux États‐Unis de 154,1 pour 100 000 femmes à 160,5 pour 100 000 femmes (+ 4,2 %) entre 1999 et 2018. On observe une accélération ces dernières années, avec une augmentation d’environ 2 % par an entre 2015 et 2019. Cette évolution fait partie des éléments en faveur d’une extension du dépistage. • Mortalité par cancer du sein Depuis les 30 dernières années, la mortalité par cancer du sein diminue pour toutes les tranches d’âge. Dans cet intervalle, chez les femmes de moins de 50 ans, la mortalité est passée de 5,9 pour 100 000 à 3,9 pour 100 000 (− 33,9 %). On estime que les progrès thérapeutiques comptent pour près de 75 % de cette diminution. Ce fait relativise l’importance du dépistage dans le cadre de la stratégie de lutte contre le cancer du sein.   Bénéfices du dépistage étendu à partir de 40 ans   À partir des données disponibles, une modélisation des bénéfices qu’apporterait l’extension du dépistage systématique aux femmes de 40 à 50 ans a été réalisée par le Breast Cancer Surveillance Consortium (BCSC). Il s’agit d’un réseau national qui fédère six centres chargés de l’évaluation prospective des politiques de santé aux États‐Unis. D’après les calculs du BCSC, le bénéfice d’abaisser l’âge de démarrage du dépistage systématique serait d’environ 1,3 décès par cancer du sein évité et 44 années de vie gagnées pour une cohorte de 1 000 femmes (tableau). Ces valeurs sont estimées pour des cycles complets de dépistage.   Tableau. Bénéfices et risques d’une extension du dépistage systématique aux femmes de 40 à 50 ans selon la modélisation du Breast Cancer Surveillance Consortium (BCSC).   Préjudices du dépistage étendu à partir de 40 ans   Ils sont de plusieurs ordres. Les faux positifs du dépistage entraînent des dommages psychologiques, comme l’anxiété liée à l’annonce du résultat. Ils sont également à l’origine d’investigations complémentaires (imagerie), dont certaines sont invasives (biopsies), et parfois se compliquent, sans bénéfice pour la patiente. L’extension du dépistage systématique aux femmes de 40 à 50 ans serait responsable de près de 60 % de faux positifs supplémentaires selon la modélisation du BCSC et générerait un surcroît de 16,7 % de surdiagnostics (tableau). Cette catégorie recouvre les lésions découvertes par le dépistage et qui ne représentent pas une menace médicale pour le sujet, comme certaines lésions intracanalaires ou les tumeurs à développement lent. Par définition, il est difficile de chiffrer l’importance numérique de ce groupe. La littérature fixe leur taux entre 11 et 19 %. Enfin, les femmes exposées à des faux positifs sont également plus susceptibles de ne pas honorer les examens de dépistage ultérieurs. En conséquence, certains auteurs estiment que les gains apportés par la mesure seraient marginaux et que les préjudices surpasseraient les bénéfices. Les conclusions qu’ils en tirent sont qu’il faut donner aux femmes la possibilité de choisir elles‐mêmes l’option qu’elles privilégient.   Du dogmatisme au pragmatisme   Le risque d’avoir un cancer du sein est hétérogène dans l'ensemble de la population. Adopter un âge limite de début de dépistage de 40 ans est justifié pour certaines femmes. Mais cela conduit à en exposer beaucoup d’autres de manière inutile. Karla Kerlikowske et coll. proposent de s’inspirer des recommandations de dépistage organisé basées sur le risque individuel, déjà adoptées dans certains programmes, et d’appliquer cette pratique au dépistage entre 40 et 50 ans. Des dizaines de paramètres de risque individuel ont été identifiés. Parmi les mieux quantifiés, on peut citer : un antécédent familial de cancer du sein, une densité mammographique élevée, un indice de masse corporelle élevé, un âge tardif à la première grossesse vivante, l’existence d’un antécédent de biopsie mammaire avec prolifération… Les risques particuliers, comme un antécédent personnel de pathologie mammaire maligne, une anomalie génique ou un antécédent d’irradiation thoracique sont considérés séparément, et font l’objet de calculs spécifiques. Le bénéfice du dépistage mammographique a été établi par des essais randomisés pour les femmes âgées de 50 à 59 ans et à risque standard. Dans cette tranche d’âge, le risque moyen d’avoir un cancer dans les 5 ans est de 1,4 %. Pour les femmes âgées de 40 et 50 ans, le risque moyen est de 0,9 %. Karla Kerlikowske et coll. proposent de commencer le dépistage des femmes âgées de 40 et 50 ans lorsque leur risque devient égal ou supérieur à celui des femmes âgées de 50 à 59 ans. Pour estimer le surcroît de risque, on peut faire appel à divers modèles publiés dans la littérature. Karla Kerlikowske et coll. utilisent dans leur démonstration les données publiées par le Breast Cancer Surveillance Consortium (voir la légende de la figure 2). L’excès de risque associé à divers facteurs est montré dans les figures 2 et 3. Il est exprimé sous forme de hazard ratios. Figure 2. Femmes âgées de 40 à 49 ans. Excès de risque de présenter un cancer du sein invasif dans les 5 ans, en fonction de divers paramètres personnels. L’excès de risque pour les paramètres représentés est exprimé sous forme de hazard ratios (± intervalle de confiance à 95 %). Les antécédents familiaux sont détaillés selon le nombre et le lien de parenté avec les sujets atteints (degrés,°). Les données sont celles publiées par le Breast Cancer Surveillance Consortium (BCSC). Il s’agit d’un réseau collaboratif d’imagerie mammaire parrainé par le National Cancer Institute, et dont la mission est l’évaluation et l’amélioration de la réalisation du dépistage du cancer du sein aux É.‐U. Les données sélectionnées pour la figure sont celles exposées dans la version 3 du modèle du BCSC(4). Figure 3. Femmes âgées de 40 à 49 ans. Excès de risque de présenter un cancer du sein invasif dans les 5 ans en fonction de l’existence d’une biopsie du sein antérieure et de son résultat s’il est connu. Mêmes légendes que la figure 2.   Le surcroît de risque pour passer du risque moyen à 40‐49 ans au risque moyen à 50‐59 ans correspond par exemple à avoir au moins un facteur de risque clinique (par exemple avoir un parent de premier degré ayant un cancer du sein ou avoir soi‐même un antécédent de biopsie mammaire) associé à des seins denses en mammographie.   EN PRATIQUE   • La mise en œuvre pourrait se faire de la manière suivante. Les femmes dans leur quarantaine ayant un facteur de risque clinique pertinent sont identifiées. Il peut s’agir de femmes dont un parent de premier degré a eu un cancer du sein (cela concernerait 12,7 % d’entre elles). Autre exemple, il peut s’agir de femmes ayant un antécédent de biopsie mammaire (12,3 % des femmes). Une mammographie unique est réalisée dans le but d’évaluer la densité mammaire. Si celle‐ci est élevée, le risque de cancer du sein est proche de celui d’une femme dans la cinquantaine, et on peut envisager de commencer le dépistage bisannuel. Cette situation devrait se rencontrer chez environ 12 % des femmes. Dans le cas contraire, le dépistage commencera à partir de 50 ans. • À noter que Le Breast Cancer Surveillance Consortium propose un calculateur simple et accessible gratuitement. À partir d’une dizaine d’informations, il permet d’évaluer le risque individuel de cancer du sein dans les 5 ou 10 ans selon l’âge de la femme. Le calculateur est accessible sur le site du BCSC ou sur une application téléchargeable dédiée (BCSC v3 InvasiveBreastCaRisk).

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