Cancérologie
Publié le 15 jan 2024Lecture 10 min
Grossesses après cancer du sein : fertilité et pronostic obstétrical et oncologique
Au décours de la prise en charge d’un cancer, la demande de retour à une « vie normale » exprimée par les patients est d’autant plus vive que la durée de survie et la qualité de vie après traitement progressent. Le souhait d’avoir un enfant s’entend comme une pièce importante de cette revendication. Dans cet ordre d’idée, après la survenue de cancers du sein chez les femmes jeunes, il faut répondre à deux ordres de questions. Comment interpréter le déficit de grossesses observé ? Baisse des tentatives de grossesse pour des raisons médicales, baisse de la fertilité ou encore choix personnel des patientes quant à la composition de leur famille ?
La plupart des recommandations actuelles ne contre-indiquent pas la grossesse au décours d’un cancer du sein traité en rémission complète. Cependant, la possibilité de mener à bien cette grossesse, en sécurité maternelle et obstétricale, reste l’objet d’appréciations divergentes. Par conséquent, le conseil qui prévaut est la prudence, c’est-à-dire de s’abstenir d’une grossesse. Mais le rajeunissement de l’âge de survenue des tumeurs, et, à l’inverse, l’âge de constitution des familles plus tardif invitent à essayer de sortir de la zone grise. Deux publications récentes, utilisant des méthodologies très différentes, apportent la lumière sur ces deux sujets. Mario Lambertini et coll.(1) ont procédé à une revue exhaustive de la littérature concernant les conséquences des cancers du sein sur la reproduction chez les femmes jeunes. Trente-neuf articles, publiés entre 1970 et 2020, ont été retenus et ont fait l’objet d’une métaanalyse. Pour leur part, Manon MangiardiVeltin, Clara Sebag et coll.(2) ont réalisé une enquête prospective sur une cohorte de patientes jeunes ayant eu un cancer du sein. Par construction, les effectifs d’une étude de cohorte sont faibles, comparés à ceux d’une métaanalyse, mais la méthodologie permet une analyse en vie réelle. Ces dernières se sont en outre intéressées au recours aux techniques de préservation de la fertilité.
Fertilité après cancer du sein
Comme le met en évidence la métaanalyse de M. Lambertini et coll., le nombre de grossesses observées après survenue d’un cancer, quelle qu’en soit la nature, est inférieur à celui des témoins. La baisse est de 35 %, tous types de cancers confondus (figure 1). La chute la plus forte, soit 67 %, est observée après cancer du col de l’utérus. Vient ensuite la baisse après cancer du sein, soit 60 % (risque relatif : 0,40 ; IC 95 % : 0,32-0,49).
Figure 1. Nombre de grossesses observées après cancer.
Nombre de grossesses observées après la fin d’un traitement pour cancer, selon la localisation de la tumeur. Les chiffres sont rapportés à la population générale, prise pour référence (ligne rouge pointillée) et les résultats exprimés sous forme de risque relatif. (Métaanalyse de M. Lambertini et coll. ; 7 études ; population générale, n = 3 289 113 patientes ; grossesses après cancers du col, n = 11 961 ; après cancers du sein, n = 46 780).
Ce chiffre global recouvre des réalités différentes, comme le montre l’étude de cohorte de M. Mangiardi-Veltin, C. Sebag et coll. L’absence de grossesse reflète en premier lieu le choix des patientes, choix d’ailleurs évolutif. À de nombreuses occurrences, le souhait qu’elles avaient au moment du diagnostic initial de cancer diffère de celui exprimé lors de l’enquête. Au moment du diagnostic, le nombre de patientes déclarant envisager une grossesse est de 206 (39,8 %). Sur le temps couvert par l’enquête (soit une durée médiane de 26,9 mois), il apparaît que seul un quart des patientes (n = 127 ; 24,6 %) ont essayé d’avoir une grossesse, et 85 ont eu effectivement une grossesse (figure 2).
Ce chiffre permet de mettre en perspective la baisse de fertilité rapportée par M. Lambertini et coll.
Figure 2. Grossesses après cancer du sein.
Fertilité, mode d’obtention et issues des grossesses dans la cohorte observationnelle de M. Mangiardi-Velin, C. Sebag et coll.
Parmi les arguments avancés par les patientes pour ne pas souhaiter de grossesse figurent en bonne place les craintes concernant le pronostic obstétrical de la grossesse ou le pronostic oncologique personnel. La stabilité des couples influence également les choix reproductifs : environ 7 % des patientes déclarent s’être séparées depuis la survenue de leur cancer, et près de 34 % ont constitué un nouveau couple (figure 3). L’impact des traitements sur l’image corporelle et la sexualité peut également interférer (sécheresse vaginale, par exemple).
Figure 3. Évolution de la situation matrimoniale.
Évolution de la situation matrimoniale entre le moment du diagnostic de cancer et l’enquête observationnelle.
L’absence de grossesse peut être due à une infertilité. Celle-ci peut être directement liée au traitement (toxicité des antimitotiques sur les follicules ovariens, hormonothérapie). Le lien peut aussi être indirect, comme le déclin de la fertilité du fait de l’avancée de l’âge de la patiente en rapport avec la durée du traitement. Dans 13 % des cas, l’infertilité existait déjà avant la découverte du cancer.
Sur la période, un total de 133 grossesses a été observé chez 85 patientes. Dans la majorité des cas, la grossesse a été désirée et conçue de manière naturelle (figure 2). Le délai médian entre le souhait de grossesse et le démarrage de celle-ci était de 3 mois.
Seize grossesses ont été conçues après recours à une PMA (figure 2). Le taux de grossesses inopinées s’élève quant à lui à 15,0 %, donnée qui échappe souvent aux études réalisées à partir des bases de données. Les patientes qui ont eu une grossesse inopinée sont en moyenne plus jeunes. Les raisons pour lesquelles des patientes jeunes traitées pour cancer du sein n’utilisent pas de contraception malgré les recommandations professionnelles ne sont pas explicitées.
Infertilité liée au traitement
Le traitement a comporté de la chimiothérapie chez 424 patientes. Elle s’est accompagnée d’une aménorrhée dans 406 cas (95,8 %). La durée médiane de l’aménorrhée était de 11 mois. Elle était réversible dans 317 cas (74,8 %). La chimiotoxicité des antimitotiques augmente avec l’âge.
Le traitement a comporté une hormonothérapie dans 330 cas (64,5 %). Le temps nécessaire au traitement, surtout si celui-ci inclut une hormono- ou une immunothérapie adjuvantes, peut retarder le moment de mise en route d’une grossesse au-delà de la période de fertilité physiologique. L’hormonothérapie a été interrompue prématurément dans 99 cas. Dans 51 cas, l’interruption avait pour raison un désir de grossesse.
Pronostic obstétrical
La métaanalyse de M. Lambertini et coll. fait apparaître que, en ce qui concerne les issues des grossesses, il n’y a pas de différence en termes de viabilité entre les femmes qui ont eu un cancer du sein et la population générale témoin (figure 4A). Le paysage est plus contrasté concernant les pathologies de la grossesse (figure 4B).
Figure 4. Pronostic obstétrical.
A. : issues des grossesses. B. : pathologies de grossesse. Les chiffres sont rapportés à la population générale, prise pour référence (ligne rouge pointillée) et les résultats exprimés sous forme d’odds ratios. (Métaanalyse de M. Lambertini et coll. ; 9 études ; population générale, n = 4 814 452 ; cancers du sein, n = 3 240).
G. viables : grossesses viables ; Préma. : accouchements prématurés ; césar. : césariennes (en urgence et électives) ; HPP : hémorragies du postpartum ; Malf. : malformations fœtales).
Les taux de prééclampsie, d’hémorragies du postpartum et d’anomalies congénitales fœtales ne sont pas augmentés. En revanche, le taux d’accouchements prématurés est plus élevé en cas d’antécédent de cancer du sein. Il en est de même pour le taux global de césariennes. Ces deux constatations ne reçoivent pas d’explication. Le taux de retards de croissance est également plus élevé en cas d’antécédent de cancer du sein. L’analyse par sous-groupes montre que cette observation est restreinte aux patientes qui ont reçu une chimiothérapie (figure 5B). La constatation ne reçoit pas d’explication des auteurs de l’analyse, d’autant que le délai écoulé depuis la fin du traitement n’est pas plus délétère pour ce paramètre lorsqu’il est court (figure 5C).
Figure 5. Retards de croissance.
Survenue d’un retard de croissance chez les femmes ayant eu un cancer du sein en comparaison avec les femmes témoins : A. ensemble des patientes ; B. selon que le traitement initial a comporté ou non une chimiothérapie ; C. selon le délai écoulé depuis la fin du traitement du cancer (2 et 5 ans).
Les chiffres sont rapportés à la population générale, prise pour référence (ligne rouge pointillée) et les résultats exprimés sous forme d’odds ratios. (Métaanalyse de M. Lambertini et coll. ; 2 études ; population générale, n = 4 814 452 ; nombre de cancers du sein, n = 805).
Pronostic maternel
D’après les résultats obtenus dans la métaanalyse, la survenue d’une grossesse au décours du traitement pour cancer du sein ne s’accompagne pas d’un impact négatif sur le pronostic oncologique. Parmi les patientes ayant un antécédent de cancer du sein, le taux de survie sans récidive apparaît même meilleur chez les femmes qui ont eu une grossesse, avec un hazard ratio de récidives de 0,66 (IC 95 % : 049-0,89) (figure 6A). L’absence de retentissement sur le pronostic obstétrical s’observe y compris en cas de positivité des récepteurs hormonaux dans la tumeur initiale (figure 6B). Il n’y a pas non plus de différence selon que le délai entre la fin du traitement du cancer et la grossesse est court, inférieur à 2 ou 5 ans, ou plus long (figure 6C). Comme la survie sans récidive, la survie totale s’avère paradoxalement meilleure chez les femmes qui ont eu une grossesse (figure 7A). On n’observe pas d’effet délétère du statut ganglionnaire initial (figure 7B), ou lorsque le délai entre la fin du traitement et la grossesse est court, inférieur à 1 ou 2 ans, ou plus long (figure 7C). Enfin, le pronostic n’est pas grevé par le portage d’un variant BRCA (figure 7D).
Figure 6. Survie sans récidive.
A. Pour l’ensemble des femmes qui ont eu une grossesse après cancer du sein. Les chiffres sont rapportés à ceux observés chez les patientes ayant un antécédent de cancer du sein mais pas de grossesse, population prise pour référence (ligne rouge pointillée) et les résultats exprimés sous forme de hazard ratios. B. Selon le statut des récepteurs hormonaux (RH +/ RH -) de la tumeur. C. Selon le délai entre la fin du traitement et la survenue de la grossesse. (Métaanalyse de M. Lambertini et coll. ; 11 études).
Figure 7. Survie globale.
A. Survie globale pour l’ensemble des femmes qui ont eu une grossesse après cancer du sein (même légende que la figure 6). B. Selon le statut ganglionnaire initial. C. Selon le délai entre la fin du traitement et la survenue de la grossesse ; et chez les patientes porteuses d’un variant BRCA.
Procédures de préservation de la fertilité
Le désir de certaines patientes d’entreprendre une grossesse au décours de leur cancer souligne l’importance d’inclure une consultation d’onco-fertilité dans le plan de traitement initial, même si, dans un premier temps, nombre d’entre elles affirment ne pas avoir de désir ultérieur de grossesse. Dès le diagnostic de cancer posé, la patiente doit être référée et vue en urgence, dans un centre susceptible de mettre en œuvre les différentes techniques de préservation.
Dans l’étude de cohorte, 124 patientes ont bénéficié d’une procédure de préservation de la fertilité, et 16 grossesses sur 133 ont été obtenues après PMA (figure 2). Néanmoins, il faut souligner que l’on dispose d’un nombre limité de données sur le pronostic des grossesses obtenues après stimulation ovarienne en vue de procédures de préservation de la fertilité. La publication d’A. Marklund et coll. est cependant rassurante à cet égard(3). Ces auteurs ont analysé le pronostic oncologique de 367 patientes qui ont bénéficié d’une stimulation ovarienne en vue d’une procédure de préservation ovarienne. Ils n’ont pas noté d’effet délétère sur la survie sans récidive ou la survie globale.
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