Publié le 30 oct 2024Lecture 5 min
Grossesse après chirurgie pour endométriose profonde : quel risque de rupture utérine ?
Denise CARO, d’après la communication du Dr Charles‐André Philip
Par analogie avec les utérus cicatriciels pouvant être responsables de fragilisation voire de rupture utérine (notamment après une césarienne compliquée), il est légitime de se demander si l’isthmocèle postérieure après chirurgie pour endométriose peut être associée au même type de complication.
On estime que 0,5 à 1 % des grossesses avec un antécédent de césarienne se soldent par une rupture utérine (OR = 41)(1). C’est également le cas de 0,4 % des grossesses après myomectomie (toutes voies d’accouchement confondues)(2) et de 0,018 % des accouchements, l’adénomyose pouvant alors être un facteur favorisant(1).
L’éventualité d’une rupture utérine postérieure liée à une intervention pour endométriose est‐elle un mythe ou une réalité ? Si une série regroupant 419 femmes ayant accouché après avoir été opérées pour endométriose ne fait état d’aucun cas de rupture utérine(3), l’analyse exhaustive de la littérature retrouve, elle, 13 cas de rupture utérine (sept cas publiés entre 1999 et 2019 et six cas répertoriés dans une revue française de 2020)(4).
La plupart du temps, il s’agit de patientes avec une atteinte utérine profonde postérieure, touchant la cloison recto‐vaginale (CRV), le torus et au moins un des ligaments utéro‐sacrés (LUS). La revue française retrouve de nombreux shavings et/ou résections digestives ainsi qu’une ultracision (bistouri à énergie ultrasonique) dans 100 % des cas(4). La présence de l’ultracision dans tous les dossiers est‐elle le fait de l’impact des énergies utilisées sur la partie postérieure de l’utérus ou est‐ce simplement un marqueur d’une chirurgie de l’endométriose postérieure profonde un peu complexe ?
L’âge de la femme ne semble pas intervenir. Les ruptures se produisent majoritairement durant le travail. Toutefois, dans quatre cas (sur les 13 répertoriés dans la littérature), la rupture survient avant 37 SA, volontiers en dehors du travail ou lors d’une menace d’accouchement prématuré. L’apparition d’une douleur aiguë au cours de la grossesse chez une femme avec un antécédent de chirurgie pour une endométriose profonde doit alerter. Deux tableaux cliniques sont évocateurs. Le premier concerne des douleurs associées à des anomalies du rythme cardiaque fœtal (ARCF). Le second est celui d’une hémorragie de la délivrance ou de douleurs croissantes post‐accouchement associées à un état de choc ; l’imagerie met en évidence le saignement et éventuellement la rupture (soit postérieure, soit autour de la corne).
Un amincissement de l’isthme postérieur
La publication de ces quelques cas dans la littérature interroge sur la cause de la fragilisation utérine après chirurgie pour endométriose. L’objectif de l’étude rétrospective menée par le Dr Charles‐André Philip (hôpital de la Croix‐Rousse, Lyon) était d’évaluer par IRM les modifications de l’isthme utérin postérieur et du col chez toutes les femmes qui avaient eu une résection des lésions d’endométriose du torus uterinum et/ou des LUS entre 2016 et 2020. Les auteurs ont également recherché des facteurs de risque d’un amincissement de l’utérus (caractéristiques des patientes, types de chirurgie, évolution postopératoire). Quarante‐deux femmes ont été incluses. Près de la moitié (40,5 %) avaient un autre antécédent de chirurgie pour endométriose. Le nodule mesurait 24,4 mm en moyenne selon le grand axe et avait un volume moyen de 3,7 cm3. La comparaison des IRM préopératoires et postopératoires a montré une diminution d’épaisseur de l’isthme postérieur de 2,25 mm (soit moins 20 % en moyenne, avec d’importantes variations selon les dossiers). L’amincissement de l’isthme était associé à la présence d’une iléostomie peropératoire (p = 0,02) et des résidus post‐mictionnels post‐op (p < 0,015) (facteurs volontiers relatifs à une chirurgie lourde). Dans cette série assez courte, il y a eu six grossesses postopératoires, dont une fausse couche spontanée, un accouchement par voie basse à 24 SA (soldé par un décès périnatal) et quatre césariennes à plus de 37 SA. Il n’y a eu aucune rupture utérine.
L’étude des cas rapportés, plus riche d’enseignements, ne permet cependant pas de déterminer quelle est la meilleure conduite pour prévenir une rupture utérine. Une cure d’isthmocèle, plus ou moins un cerclage ou un renfort prothétique, peut être envisagée avec la même réserve que pour les isthmocèles antérieurs.
En définitive, la prise en charge se calque sur celle des utérus cicatriciels classiques. Une consultation médicale spécialisée en fin de grossesse permet de faire le point sur la situation et d’informer la patiente sur les voies d’accouchement envisagées. En salle de travail, des précautions doivent être prises ; il faut notamment limiter les déclenchements (ou les réaliser sous étroite surveillance). Le plus souvent, l’accouchement par voie basse est possible. Toutefois il ne faut pas hésiter à faire une césarienne en cas de douleur ou/et d’anomalie de l’ARCF. Une césarienne prophylactique précoce est proposée en cas d’antécédent de rupture ou d’aspect pathologique à l’imagerie. De même, il faut avoir la révision utérine facile en cas de symptômes suspects (ARCF/saignements/douleurs en cours de travail ou après accouchement) avec un contrôle de l’isthme postérieur en imagerie.
Au total, le traitement d’une rupture utérine après chirurgie pour endométriose ne diffère pas de celui des ruptures utérines classiques. Les suites maternelles et fœtales sont généralement bonnes, en particulier si la rupture se produit au cours du travail ou/et proche du terme.
« Le plus important est que le chirurgien sache prendre en compte le projet obstétrical de la patiente avant d’opérer et que l’obstétricien se soucie des antécédents de chirurgie pour endométriose au cours du suivi de la grossesse et lors de l’accouchement », a conclu le Dr Philip.
D’après la communication du Dr Charles‐André Philip (hôpital Mère‐Enfant, hôpital de la Croix‐Rousse, Lyon), 21e congrès de la Société de chirurgie gynécologique et pelvienne (SCGP), septembre 2024.
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