Publié le 29 juin 2024Lecture 6 min
Quelle est la place de la neuromodulation dans les douleurs liées à l’endométriose ?
Hélène JOUBERT, d’après la communication du Dr Aurélie Leplus
« La neuromodulation est potentiellement intéressante en cas de douleurs pelviennes réfractaires liées à l’endométriose, malgré le peu d’études spécifiques », estime le Dr Aurélie leplus, neurochirurgienne (CHU de Nice, hôpital Pasteur 2). Techniques, résultats… elle fait le point.
Les douleurs liées à l’endométriose concernent 50 à 90 % des patientes. Plus de la moitié sont chroniques (depuis plus de 6 mois) et souvent résistantes au traitement médical. Elles sont de type inflammatoire, nociceptif, neuropathique et liées au système nerveux autonome. Les manifestations comprennent sciatalgies, pudendalgies, névralgies obturatrices, dysfonctions vésicale et rectale, et syndrome myofascial. «Les douleurs associées à l’endométriose présentent des particularités importantes, précise Aurélie Leplus, notamment un phénomène d’hypersensibilisation. Par ailleurs, une similitude des douleurs endométriosiques avec le syndrome régional complexe (CRPS ; ex-neuroalgodystrophie) est évoquée, du fait des signes vasomoteurs et des douleurs neuropathiques(1) .» Par conséquent, les douleurs pelviennes chroniques (DPC)réfractaires en rapport avec une endométriose pourraient se prêter à la neurostimulation, qu’elle soit non invasive comme la stimulation électrique transcutanée (TENS), ou invasive.
La neurostimulation électrique transcutanée
La neurostimulation électrique transcutanée (TENS) est indiquée pour traiter les dysménorrhées, les douleurs pelviennes et lombaires, les sciatiques et la dysurie. Elle délivre des impulsions électriques via des électrodes cutanées disposées le long des trajets nerveux, à proximité de la zone douloureuse, et qui sont à l’origine de paresthésies. Elles génèrent des signaux qui entrent en compétition avec ceux douloureux envoyés au cerveau, selon la théorie du portillon («gate control»). De plus, la TENS favorise la libération d’endorphines, contribuant ainsi au soulagement de la douleur.
La stimulation nerveuse périphérique
Les mécanismes d’action de la TENS et de la stimulation nerveuse périphérique sont similaires. Cependant, dans cette technique, la stimulation des racines sacrées implique le positionnement d’une électrode par voie percutanée sous contrôle radiologique, généralement au niveau de S3, reliée à un générateur électrique qui délivre un courant continu à l’origine de paresthésies dans la zone douloureuse. «La stimulation des racines sacrées est indiquée pour traiter l’hyperactivité vésicale, l’incontinence urinaire et fécale, les troubles de la vidange vésicale et les DPC. Ce traitement, conservateur et réversible, se déroule en deux étapes : une phase de test de plusieurs jours, suivie d’une phase d’implantation du générateur. Avec un certain succès. Par exemple, les troubles de la vidange vésicale s’améliorent dans 60 % des cas.»
La neuromodulation sacrée
Une des rares études concernant la stimulation des racines sacrées dans le traitement de la douleur due à l’endométriose a paru en 2023. Cette étude pilote,multicentrique, prospective a été réalisée sur une population de 35 femmes souffrant de DPC sans autre pathologie évidente que l’endométriose. Sur la base du questionnaire CGI à 12 mois, 60 % d’entre elles ont rapporté une grande amélioration de leurs symptômes, 20 % une amélioration notable et 13 % une amélioration minime (au total 15 patientes à 12 mois). Aucune n’a indiqué une aggravation des symptômes(2). En moyenne, les scores sur l’échelle visuelle de la douleur sont passés de 9 à 5. «Sur la base des résultats préliminaires de cette petite étude, qu’il faudra reproduire sur un plus grand nombre, indique le Dr Leplus, la neuromodulation sacrée pourrait constituer un traitement prometteur de la douleur pelvienne chronique chez les patientes atteintes d’endométriose.»
La neurostimulation médullaire
La neurostimulation médullaire est une technique consistant en une stimulation électrique des cordons dorsaux, visant à renforcer les contrôles inhibiteurs de la douleur et à moduler l’hypersensibilité spinale, conformément à la théorie du portillon. Une électrode est positionnée au niveau du segment médullaire, à la limite supérieure du territoire douloureux. Cette neuromodulation réversible peut induire des paresthésies perceptibles dans la zone douloureuse. À ce jour, ses indications sont les douleurs à prédominance neuropathique en cas de lésion radiculaire, plexique ou tronculaire, voire médullaire. Elle est préconisée en cas de douleurs topographiquement limitées, sauf au niveau de la face. En pratique, elle est réalisée en cas de douleurs qui persistent après chirurgie du dos («failed back surgery syndromes »), de syndrome régional complexe (CRPS 1) et de neuropathies périphériques douloureuses, lorsque les traitements conventionnels sont inefficaces, contre-indiqués ou mal tolérés. L’objectif de la neuromodulation médullaire est d’améliorer la qualité de vie en réduisant la douleur et la dépendance aux médicaments analgésiques. Concrètement, une électrode est introduite dans l’espace épidural, activée par un générateur de stimulation placé sous la peau.Un test de stimulation est effectué à domicile sur une période de 8 jours. Si une amélioration des douleurs d’au moins 50 % est observée pendant cette période, une implantation définitive est ensuite réalisée chirurgicalement.
Un case report a montré une amélioration de la douleur et de la qualité de vie chez 6 patientes dont 3 présentaient une endométriose, suivies sur une période de 30 mois(3). Le score moyen de la douleur sur l’échelle visuelle analogique est passé de 8 à 3. Les auteurs ont conclu que la neurostimulation médullaire aurait un potentiel thérapeutique pour le traitement de la douleur pelvienne. C’est également la conclusion d’une étude pilote prospective chez des sujets présentant un diagnostic clinique de DPC et des scores de douleur moyens supérieurs ou égaux à 5 sur une EVA de 10(4). La stimulation médullaire (paresthesia-independent 10-kHz spinal cord stimulation) a réduit la douleur pelvienne chez les sujets : à 1 an, 77 % (sur les 13 inclus) étaient répondeurs à la stimulation médullaire (≥ 50 % de soulagement de la douleur), avec une épargne antalgique, notamment en opioïdes(4). Des études plus larges et contrôlées sont nécessaires.
Stimulation du ganglion rachidien dorsal
Quant à la technique de stimulation du ganglion rachidien dorsal (premier neurone de la voie somesthésique), qui a considérablement amélioré le traitement du syndrome douloureux régional complexe, elle est également testée dans les douleurs liées à l’endométriose. «Dans le contexte des douleurs pelviennes, les électrodes sont positionnées en percutané de manière bilatérale au niveau de L1 et L2, précise Aurélie Leplus. L’intervention est réalisée sous anesthésie locale et sous contrôle radiologique. Les indications comprennent le syndrome douloureux régional complexe, ainsi que les DPC avec une composante végétative, cette racine dorsale contenant des neurones végétatifs.» Dans une revue systématique très récente incluant 65 patients dans 9 études prospectives 50 à 80 % des patients ont présenté une amélioration de la douleur (≥ 50 %), associée à une amélioration de la qualité de vie(5).
Globalement, «la neuromodulation peut être considérée comme une technique sûre, ajoute-t-elle, la migration de l’électrode, complication la plus courante et les infections sont rares»(6).
Que choisir ?
« Dans l’utilisation de la stimulation des racines sacrées, les symptômes urinaires doivent prédominer sur la douleur, et celle-ci doit être préférentiellement unilatérale, résume le Dr Leplus. Pour la stimulation du ganglion dorsal de la moelle, il faut plutôt la présence de troubles vasomoteurs. Concernant la stimulation médullaire, elle est plus adaptée aux douleurs à composante neuropathique ainsi qu’à des sciatalgies, ce qui est le cas dans des douleurs pelviennes notamment liées à l’endométriose du fait de l’envahissement diffus. Les stimulations combinées sont également envisageables. »
D’après la communication du Dr Aurélie Leplus, «Place de la neuromodulation dans l’endométriose», Congrès Endo-NICE, mai 2024.
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