Publié le 16 juin 2013Lecture 5 min
Emotions sexuelles
Philippe BRENOT, Psychiatre, Directeur des enseignements de Sexologie et Sexualité Humaine à l’université Paris Descartes
Pour être épanouie, la vie intime se doit de respecter quelques règles très simples. Tout d’abord, distinguer les trois domaines que sont l’intime, le privé et le public : l’intime étant ce que l’on ne partage qu’avec soi dans l’enfance, puis par la suite avec le partenaire choisi et désiré ; le privé, c’est le domaine des proches, des amis et de la famille ; le public est enfin un domaine plus large où, en général, on ne partage pas ce qui est privé et, en tout cas, jamais l’intime. Le respect de ces trois domaines est certainement très structurant pour tout individu lorsqu’il est bien compris, c’està- dire dès l’enfance. Enfin, un seul interdit persiste aujourd’hui dans nos sociétés occidentales libres de jugement moral : l’interdit de l’irruption de la sexualité adulte dans celle de l’enfant, interdit qui ne doit comporter aucun aménagement dans la mesure où le petit enfant, cet être encore en construction, est fragile aux émotions et aux influences. Émotions négatives intenses Avec l’Observatoire international du couple, nous utilisons une notion nouvelle mais très opérationnelle pour évaluer les difficultés du vécu intime et sexuel : les émotions négatives intenses. Lors de notre dernière grande enquête sur 3 400 femmes*, une femme sur deux (48,8 %) dit avoir vécu dans l’enfance, l’adolescence ou l’âge adulte, une ou plusieurs émotions négatives intenses (peur, douleur, dégoût, honte, culpabilité…) lors d’actes ou de situations sexuels. Cette proportion peut paraître « effarante » et en tout cas troublante tant elle est importante, c’est-à-dire tant la condition féminine (car il ne s’agit plus de cas particulier lorsqu’on parle d’une femme sur deux !) est difficile dans son intimité. Il faut pour cela rappeler la façon dont les évènements de vie sont stockés dans notre mémoire affective. Ils sont en fait mémorisés s’ils sont fortement liés à des émotions. « Je me souviens du jour où, avec une grande joie, j’ai été reçu à mon baccalauréat, je m’en souviens même dans les moindres détails. Je n’ai, par contre, aucun souvenir d’un évènement « neutre » que j’ai vécu il n’y a que huit jours comme, par exemple, croiser telle personne inconnue dans la rue, le contenu d’un article de presse, la poignée de main que j’ai donnée à mon voisin la semaine dernière. » Cette sélection par l’émotion permet de gérer la mémoire avec économie dans la mesure où tous les actes de la vie courante ne peuvent être retenus. C’est ainsi que toute émotion (et surtout négative) sera mémorisée en lien avec l’événement qui l’a provoquée : « Lors de mon premier rapport à l’âge de 20 ans, témoigne Karine, j’ai eu très peur et du coup j’ai eu très mal. Je pense que je me sentais honteuse de ce que faisais ! J’ai un gros blocage depuis ce premier rapport, car j’ai attendu très longtemps avant d’en avoir un autre. » L’angoisse d’anticipation dont parle Karine est encore présente aujourd’hui, plus de dix ans après, d’autant que la pression d’Adrien, son compagnon, ne facilite pas les choses : « Il a des besoins énormes côté sexe. Il aimerait avoir beaucoup plus de rapports. Moi, j’aimerais qu’il comprenne que j’ai besoin de plus de préliminaires ou de petits gestes d’attention dans la vie de tous les jours et qu’il me montre ses sentiments. » Les émotions négatives intenses qui ont marqué la vie de nombreuses femmes peuvent trouver une libération par un travail psycho- et sexothérapique, dans la mesure où les conditions de la vie intime ne les confrontent pas plus encore à cette « effraction » qu’elles ont vécue. La pression du compagnon de Karine est un facteur sinon aggravant, du moins empêchant la levée des inhibitions. C’est un cas clinique que l’on rencontre très souvent, c’est-à-dire celui d’une femme blessée et d’un homme qui ne comprend pas que ses attentes ne soient pas satisfaites. Le travail est alors double et une prise en charge du couple aide souvent à un meilleur climat pour la levée du symptôme. Rappel du souvenir Marlène explique bien la façon dont des éléments de la vie courante et quotidienne peuvent rappeler un trauma plus ancien : « Après avoir vécu une relation d’une violence psychologique extrême, la moindre insulte, colère déplacée ou humiliation, et parfois même une simple réflexion, devient pour moi un acte irrémédiable. Mais il m’a fallu y survivre pour le comprendre. Ma vie en est irrémédiablement marquée. » Nous devons être réellement à l’écoute de ces blessures intimes si (trop) fréquentes chez les femmes, nos patientes, et même susciter leur expression dans un climat de confiance, en leur demandant directement s’il ne s’est pas passé quelque chose d’intime dans leur enfance, leur adolescence ou à l’âge adulte, car la plupart n’en témoignent jamais spontanément. *Les femmes, le sexe et l’amour ; 3000 femmes témoignent. Les Arènes, 2012.
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