Publié le 28 mai 2021Lecture 6 min
Sexualité et maladie chronique, des interactions à prendre en soins
A. ROMBY1 , É. MOREAU2
En France, 28 millions de personnes suivent un traitement au long cours, 9 millions sont déclarées porteuses d’une affection de longue durée (ALD), 15 millions sont considérées porteuses d’une maladie chronique (MC), d’un handicap ou sont en situation de dépendance. Leur accompagnement est considéré comme un enjeu majeur de santé publique.
Les maladies chroniques et leurs répercussions : enjeux objectifs et subjectifs
Les principales ALD déclarées sont les affections cardiovasculaires (2,8 millions de personnes), les cancers (1,7 million), le diabète (3,5 millions) et les affections psychiatriques de longue durée (950 000 personnes). La prise en compte des répercussions des maladies chroniques sur la qualité de vie des personnes est un enjeu majeur de santé publique. La prise en compte de la sexualité des personnes porteuses de MC est à ce titre inscrite dans la stratégie nationale de santé sexuelle 2017- 2030.
Perrin et coll. proposent une définition dynamique de la maladie chronique, permettant d’en saisir les différentes dimensions et enjeux. Il s’agit pour eux de la présence d’un substratum organique, psychologique ou cognitif avec : une ancienneté de trois mois à un an ; une ou plusieurs limitations fonctionnelles des activités et de la participation ; une dépendance afin de compenser ou de minimiser les limitations fonctionnelles ; un besoin de soins médicaux ou paramédicaux, de services psychologiques, d’éducation ou d’adaptation.
Le concept de santé perçue est également intéressant à utiliser dans la prise en compte des MC. Il est en effet mieux ajusté à la limitation de vie découlant de la MC, et laisse la pleine place à la subjectivité du vécu de la personne.
Des répercussions identitaires
Les MC ont la spécificité de centrer l’attention sur les activités physiques ou les fonctions corporelles considérées jusque-là comme acquises et devenues limitées et/ou limitantes. En effet, elles perturbent les gestes automatiques qui auparavant n’étaient pas perçus comme essentiels à la conception du soi (marcher, s’habiller, parler, etc.) et provoquent alors une menace pour le soi.
Des études se sont intéressées à l’impact sur les domaines d’investissement du vécu d’une MC. Par exemple, le fait d’être réaliste, de faire confiance, de jouir de la vie, de prendre soin de soi et d’être patient étaient significativement plus investis par les patient.e.s souffrant de MC que par le passé. A contrario étaient désinvestis la nécessité du sentiment de compétence, de réussite professionnelle mais également le fait d’avoir une sexualité et d’être satisfait.e sexuellement.
Face à ce remaniement imposé, deux profils psychologiques se distinguent. Certaines personnes vivent leur maladie dans une forme de distanciation, de résignation voire de refus, qui peut être associée à une attitude de passivité. D’autres, au contraire, vont parvenir à accepter, à intégrer, à s’approprier leur maladie et leurs soins.
Des répercussions sur la sexualité
Les études montrent que la sexualité dans ce contexte peut être éteinte ou évacuée. « Ce n’est plus pour moi », « ce n’est plus mon temps » diront certain.e.s.
Cependant, nous observons souvent le désir de maintien d’une vie sexuelle malgré les difficultés. Ces dernières sont en lien avec les répercussions psychologiques de la maladie, les répercussions de celle-ci sur le couple et son fonctionnement, mais également avec les interférences de la maladie et de ses traitements sur les fonctionnements sexuels physiologiques.
En effet, certaines maladies chroniques et/ou les effets iatrogènes des traitements ont un impact direct sur la réponse sexuelle. Ils peuvent atteindre : la motivation sexuelle (désir hypoactif) ; la 1re phase de la réponse sexuelle (excitation : sécheresse vaginale chez les femmes) ; la 2e phase (plateau) avec difficultés au recrutement sensoriel nécessaire au déclenchement orgasmique ; la 3e phase avec une diminution ou une disparition de l’orgasme.
Les troubles sexuels dans le cadre de vécus de maladie chronique sont le plus souvent la résultante d’une interdépendance entre le biologique, le psychologique et le socioculturel.
Le remaniement de l’identité de soi peut en effet avoir un impact sur l’image de soi, la perception de son corps comme lieu de plaisir potentiel, la perception de soi comme sujet sexuel, désirant et désirable.
La dimension socioculturelle peut s’exercer par l’adhésion à de fausses croyances, comme de considérer ne pas être légitime à l’expression d’un désir sexuel quand on est malade ou partenaire d’une personne malade.
Elle peut également s’exprimer dans une difficulté à revoir les scripts de la sexualité dans le couple, en ne parvenant pas à envisager une sexualité en dehors de la pénétration par exemple.
Il est également important d’avoir en tête les interactions entre dysfonctions sexuelles et MC. La dysfonction peut être un symptôme sentinelle, comme dans le cas de la dysfonction érectile et des maladies cardiovasculaires.
Elle peut le plus souvent être secondaire au trouble, bien sûr, mais également entraîner la détérioration du vécu et de la prise en soins de la MC. En effet, en altérant la qualité de vie, le trouble sexuel peut être un élément œuvrant à un positionnement défensif vis-à-vis de la maladie, diminuant ainsi la capacité de l’individu à se saisir de celle-ci et de son parcours de soins. Elle peut également être la cause d’arrêt de traitement lorsque celui-ci est le désigné coupable d’une dysfonction sexuelle. C’est particulièrement le cas des pathologies psychiatriques, les traitements psychoactifs étant souvent pourvoyeurs de dysfonctions sexuelles.
Il est alors particulièrement important d’entendre et de permettre une prise en soins des troubles sexuels et, ce, afin de favoriser la qualité de vie de la personne mais également ses possibilités d’adhésion au traitement de la MC.
La.le partenaire, un élément important de l’accompagnement
Les études montrent une diminution de la satisfaction conjugale et de l’entente dans le couple en lien avec le vécu d’une MC. Celleci est d’autant plus importante en cas de dysfonction sexuelle associée. Si une bonne communication n’est pas établie sur la sexualité dans le couple, la dysfonction peut entraîner chez la.le patient.e une dévalorisation, de la honte, de la culpabilité, une angoisse de performance voire un évitement de la sexualité. Cette situation peut entraîner chez le.la partenaire de la frustration, des réactions négatives, de l’hostilité et alimenter le cercle vicieux de la dysfonction.
Il est ainsi important d’inclure la.le partenaire dans l’accompagnement. Il s’agit d’évaluer le fonctionnement de couple, l’impact de la MC sur le couple et sur la.le partenaire, le fonctionnement sexuel du couple, avant et depuis la MC, le positionnement du.de la partenaire auprès du patient (soutenant, soignant, conflictuel, etc.) ainsi que d’éventuelles dysfonctions propres au.à la partenaire.
Le dépistage, un enjeu majeur
Les études montrent que le dépistage des troubles sexuels est trop rarement réalisé par les médecins de premier recours et que les patient.e.s osent trop peu souvent aborder le sujet. Par exemple, 68 % des hommes atteints de sclérose en plaques aimeraient aborder la question de la sexualité avec leur médecin, tandis que seuls 6 % osent le faire. On sait également que moins de 10 % des médecins recherchent une dysfonction sexuelle en présence d’une MC.
De ce fait, il est clair que les dysfonctions sexuelles sont aujourd’hui sous-dépistées et que nombre de nos patient.e.s restent sans prise en soins de celles-ci et de leurs répercussions.
Les possibilités de prises en soins sont multiples, bien que fluctuantes en fonction des territoires et des ressources individuelles : psychothérapies, éducation thérapeutique, prise en charge de la douleur, accompagnement socio-esthétique, sexothérapie, etc. Il s’agira bien sûr d’inclure le.la patient.e ainsi que son.sa partenaire éventuel dans cet accompagnement.
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