Publié le 04 nov 2021Lecture 5 min
Sexualité, infertilité et assistance médicale à la procréation
Émilie MOREAU(1), Axelle ROMBY(2), Paris
Les liens entre sexualité, infertilité et AMP peuvent se traduire à quatre moments du parcours des couples ayant un projet procréatif : durant le parcours pour obtenir une grossesse spontanée, au moment de l’annonce d’infertilité, au moment de la prise en charge AMP et après la prise en charge AMP.
Dans cet article, nous n’évoquerons que les situations relevant du cadre légal actuellement en cours en France, c’est-à-dire le fait que l’AMP s’adresse à un couple (femme et homme) en âge de procréer, dont une infertilité a été médicalement constatée, ou pour éviter la transmission d’une maladie grave à l’enfant ou à l’un des membres du couple (loi relative à la bioéthique n°2004-800 du 6 août 2004, modifiée en 2011).
Du parcours procréatif…
Les parcours procréatifs peuvent fragiliser la relation conjugale en général et la sexualité en particulier. Si une grossesse ne survient pas rapidement, certains couples commenceront à être vigilants sur la période d’activité sexuelle pénétrative au moment de l’ovulation. Ce processus peut engendrer des difficultés sexuelles allant du trouble du désir aux difficultés, qui érectiles si elles peuvent être passagères, peuvent aussi se chroniciser. Ces rapports programmés vont à contresens de l’évolution sociale des dernières décennies dissociant sexualité et procréation ; la sexualité dans ce contexte peut alors être perturbée, en termes de satisfaction et de désir. Les difficultés sexuelles pouvant apparaître dans cette période particulière sont d’origine psychogène et font régulièrement l’objet de demande de prise en charge sexologique.
… à l’annonce d’infertilité
Le passage du désir de grossesse spontané à celui de l’investigation des causes d’une possible infertilité constitue également un possible déclencheur de troubles de la sexualité. Pour les deux membres du couple, l’annonce d’une infertilité peut générer de la culpabilité, mais également des symptômes dépressifs, souvent à l’origine de troubles du désir. Plus spécifiquement, le diagnostic d ’azoospermie par exemple peut être narcissiquement fragilisant pour un homme. Ainsi, sans corrélation physiologique, certains hommes peuvent éprouver des difficultés érectiles à la suite d’une telle annonce, la puissance associée à la capacité procréative se déplaçant sur la fonction sexuelle. Il peut aller de même pour les femmes confrontées à un diagnostic d’insuffisance ovarienne précoce, faisant face à un sentiment de dévalorisation et de perte d’estime de soi qui peut aussi altérer la vie sexuelle.
Les difficultés sexuelles à l’origine d’une infertilité
10 % des infertilités sont considérées comme idiopathiques, aucune raison médicale n’expliquant la situation. Parmi les causes de ces infertilités, les études s’accordent pour avancer qu’une partie d’entre elles sont liées à des difficultés sexuelles empêchant la survenue d’une grossesse(1). Du côté masculin, on pensera aux causes anatomiques, comme un micropénis, un hypospadias ou une courbure congénitale du pénis, mais également aux anomalies morphologiques acquises, comme la maladie de Lapeyronie. Du point de vue des dysfonctions sexuelles, la prévalence de la dysfonction érectile est deux fois plus importante chez les hommes infertiles (15 à 22 %) comparativement aux hommes du même âge (7 à 9 %)(2), l’éjaculation prématurée (si elle est anteportas) ainsi que l’anéjaculation et l’éjaculation rétrograde totale sont aussi à investiguer.
La prévalence des dysfonctions sexuelles chez les femmes au sein des couples infertiles est également plus importante que dans la population générale. Cause ou conséquence de l’infertilité, cette prévalence est également importante à prendre en compte. Parmi les causes de l’infertilité, les deux principales difficultés sexuelles repérées vont être le vaginisme primaire et secondaire et les dyspareunies, dont les vulvodynies. Pour les femmes comme pour les hommes, les troubles du désir ainsi qu’un désir sexuel considéré comme hypo actif au regard de la norme peuvent être à l’origine d’une demande de prise en charge en AMP, comme le mentionne le Dr Naouel Ahdad-Yata, gynécologue en médecine de la reproduction à l’hôpital Tenon, à qui nous avons demandé la place que tenait la sexualité dans sa consultation auprès de couples en parcours AMP. Pour elle, la sexualité est un élément très important à investiguer lors de la première rencontre avec un couple. Elle pose ainsi systématiquement la question du nombre moyen de rapports sexuels par mois et l’éventuelle présence de difficultés sexuelles. Le nombre de rapports sexuels est un indicateur important pour démarrer les procédures d’AMP. S’il est faible, il peut en effet venir expliquer l’infertilité en l’absence d’éléments physiologiques observables. Pour autant, ce n’est pas un critère excluant à une éventuelle prise en charge. Elle explore avec les couples les raisons d’un éventuel trouble du désir et, s’il s’inscrit dans une dynamique de couple sans autres difficultés, il peut augurer d’un accompagnement en AMP.
Cela vient poser la question de la reconnaissance d’un trouble sexuel comme justifiant d’un recours à l’AMP. Actuellement, les dispositions légales évoquent une infertilité médicalement prouvée comme critère d’accompagnement ; certains médecins considèrent ainsi que certaines dysfonctions ou difficultés sexuelles peuvent s’inscrire dans ce cadre, telles que l’hypo désir ou le vaginisme, par exemple. Par ailleurs, considérant la place importante de la sexualité dans le bien-être d’un couple, elle s’intéresse à cette sphère, même si une infertilité physiologique motive la prise en charge en AMP.
Les conséquences de l’AMP
La question de l’impact des traitements hormonaux et de la difficulté du parcours sur la qualité sexuelle des personnes en parcours AMP est un élément important à prendre en compte. La finalité de l’accompagnement porte sur l’enjeu d’une grossesse, les répercussions possiblement délétères de l’AMP passent ainsi en second plan. Or, les effets secondaires de la stimulation ovarienne ressentis par certaines femmes peuvent avoir un retentissement sur l’estime de soi et sur la qualité de vie sexuelle. La dimension anxiogène de l’AMP va également avoir un rôle sur la sexualité, certains couples n’ayant pas de rapports sexuels après l’injection intra-utérine ou la fécondation in vitro, par peur d’entraver le processus. De même, la médicalisation du processus procréatif peut fragiliser le couple et créer un éloignement qui se répercute sur la sexualité(3).
En pratique
L’investigation de la qualité de vie sexuelle des personnes reçues en consultation gynécologique pour un bilan de fertilité, pour un suivi AMP, pour un suivi de grossesse post-AMP, est fondamentale. La sexualité pouvant être pensée en termes de cause et/ou de conséquence dans le parcours procréatif, elle y tient une place centrale. L’évaluation de la difficulté sexuelle éprouvée en termes de durée et de répercussion sur le vécu individuel et /ou conjugal permettra de délivrer des conseils ou l’orientation vers une sexologue afin de permettre aux couples de trouver un espace pour parler de sa sexualité dans ce contexte particulier.
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