Publié le 07 juin 2015Lecture 8 min
La vitrification ovocytaire de convenance : l’expérience espagnole
V. VERNAEVE, M. J. LÓPEZ, F. POISOT, Clínica Eugin, Barcelone (Espagne)
Le report de la maternité au-delà de la trentaine est une réalité dans les pays occidentaux. On est ainsi confronté à une recrudescence d’infertilité par insuffisance ovarienne. Depuis ces dernières années, grâce aux progrès de la congélation ultrarapide (dite « vitrification »), les femmes sont capables de stopper l’horloge biologique et de décider du moment idéal de leur grossesse. Les risques en sont faibles et les garanties encourageantes. L’Espagne a déjà acquis une vaste expérience en la matière.
On connaît bien la relation de causalité entre diminution de la fertilité, augmentation du taux de fausses couches et âge féminin. La principale raison en est la diminution du nombre de follicules et la qualité des ovocytes. On considère que l’âge biologique idéal pour être mère se situe entre 18 et 30 ans. À partir de 35 ans, il est progressivement plus difficile d’être enceinte, tant de façon naturelle, qu’avec l’aide de la médecine reproductive. Paradoxalement, depuis les années 1970, on observe une augmentation du pourcentage de femmes qui repoussent leur maternité. L’Espagne est le premier pays concerné avec presque 20 % de femmes qui ont leur premier enfant à partir de 35 ans(1). Le risque de ne pas avoir d’enfants croît ainsi involontairement depuis une génération. On estime qu’environ 7 % des Espagnoles seraient dans cette situation à l’heure actuelle, ce qui a, bien sûr, un impact psychologique négatif important(2). Par ailleurs, l’âge moyen des femmes qui mettent au monde leur premier enfant se situe, en Espagne, autour de 31,5 ans, avec en moyenne 1,36 enfant par femme. En France, l’âge moyen de la première grossesse est de 30,1 ans avec en moyenne 2,01 enfants par femme. Il a été calculé que, pour assurer le renouvellement d’une population, le taux d’enfants par femme doit être > 2,1. Par conséquent, la pyramide des âges est inversée dans la majorité des pays européens. Avantages et inconvénients du retard de la maternité Selon une étude publiée en 2012 par Mac Dougall et coll., repousser la maternité au-delà de 40 ans a des avantages. Cette enquête américaine a été menée entre 2009 et 2011 auprès de 46 couples et 15 célibataires qui ont décidé de repousser leur maternité. Les sujets de l’étude se disent mieux préparés émotionnellement, ils ont une sécurité financière, une flexibilité professionnelle et une meilleure perception de la famille. En revanche, cela nécessite un recours plus important aux traitements de procréation médi calement assistée. Les parents ont aussi moins d’énergie et passent moins de temps avec les enfants. Les familles sont moins nombreuses et se sentent stigmatisées parce que les parents sont âgés(3). Profils des utilisatrices de la vitrification de convenance D’après une enquête réalisée auprès de 1 049 femmes âgées de 21 à 40 ans en Belgique(4), 31,5 % envisageaient l’option de vitrifier leurs ovocytes. Parmi elles, 3,1 % considéraient l’option de manière ferme. Il y a différentes sources d’information en ce qui concerne le profil des femmes qui envisagent cette alternative. Ainsi, Gold et coll. (2006) décrivent que 80 % des femmes new-yorkaises interrogées n’avaient pas de partenaire, toutes avaient un niveau d’études élevé et la moyenne d’âge était de 38,6 ans. Selon ces femmes, l’âge moyen d’utilisation de leurs ovocytes vitrifiés dans le futur serait de 40,8 ans (entre 40 et 43 ans). L’étude de Stoop et coll. (2010) montre que, sur 15 femmes bruxelloises intéressées, 93 % n’avaient pas de partenaire et que, là encore, toutes avaient un niveau d’études élevé. Il est par ailleurs intéressant de constater que 73,4 % d’entre elles avaient connu cette alternative à travers la presse et/ou internet. Ces femmes estimaient que l’âge moyen d’utilisation ultérieure des ovocytes vitrifiés serait de 43,4 ans. La plupart de ces femmes congelaient leurs ovocytes parce qu’elles n’avaient pas trouvé le partenaire idéal et d’autres le faisaient pour avoir une assurance contre l’infertilité. Il est difficile d’estimer combien de femmes utiliseront finalement leurs ovocytes congelés. Les seules données à ce sujet sont une estimation mathématique réalisée par Sobotka(5) et une étude avec un suivi de 2 ans(6). Ces auteurs estiment que seulement 5 % des femmes utiliseront leurs ovocytes vitrifiés. Selon l’étude de van Loendersloot et coll., le coût-bénéfice de cette technique serait rentable si 61 % des femmes avaient recours à leurs propres ovocytes vitrifiés(7). Taux de grossesses et sécurité de la vitrification ovocytaire Les taux de survie des ovocytes après dévitrification sont de 8595 % et les taux de fécondation ultérieurs de 75 %, c’est-à-dire semblables à ceux des ovocytes frais. Les taux de grossesses se rapprochent également de ceux des ovocytes frais. Par conséquent, la vitrification ovocytaire peut être considérée comme une technique efficace et reproductible(8). En ce qui concerne la sécurité du traitement, les risques sont assimilables à ceux d’un cycle de don d’ovocytes. En raison de l’absence de transfert embryonnaire dans le même cycle, la stimulation peut être réalisée en protocole antagoniste avec déclenchement par agoniste de la GnRh. Le risque d’hyperstimulation est ainsi minime, proche de zéro (Bodri et coll., 2010). Les complications chirurgicales après une ponction folliculaire sont de l’ordre de 0,35 % (Bodri et coll., 2009). Par ailleurs, les données publiées à ce jour sur les enfants nés d’ovocytes vitrifiés sont rassurantes et comparables à celles avec ovocytes frais (9,10). Désormais, on peut affirmer que la vitrification ovocytaire n’est plus une technique expérimentale (ESHRE 2012 ; ASRM 2013). Combien d’ovocytes une femme devrait-elle vitrifier ? Le taux de grossesses par ovocyte dévitrifié se situe entre 4,5 et 12 %(11). Selon l’étude de Rienzi, si l’on congèle avant 38 ans plus de 8 ovocytes, le taux d’accouchements est de 62,5 %(12). L’objectif serait de pouvoir vitrifier au minimum 9 ovocytes en métaphase II, ce qui dépend, bien sûr, de l’âge de la femme au moment de la conservation. Il est important que ces données soient bien expliquées à la patiente avant d’entamer la procédure. L’éthique et la vitrification de convenance Des centaines de femmes décident de repousser leur maternité après 30 ans pour différentes raisons. Cependant, le temps qui passe ne joue pas en faveur de la fertilité. Devant cette situation, sans la vitrification ovocytaire, quelles sont les alternatives ? Avoir recours à un don de sperme sans avoir la chance de trouver le partenaire idéal ? Être mère jeune mais sans le confort d’une situation professionnelle et financière stable ? Une relation d’un soir ? Ou le don d’ovocytes pour celles qui se seront donné du temps, en dépit de l’horloge biologique ? Ces alternatives sont-elles préférables à la vitrification ovocytaire ? À nos yeux, la vitrification ovocytaire est une solution bien plus élégante. Certains pensent qu’elle devrait être réservée uniquement à des raisons médicales et que l’âge ne peut être considéré comme une maladie. Néanmoins, qu’en est-il des maladies liées à l’âge (Alzheimer, par exemple) ? Ne serait-on pas satisfait de trouver un traitement ou de prévenir ces maladies ? Qu’en est-il des indications de FIV pour l’âge ? Ne s’agitil pas finalement des mêmes femmes à un autre moment de leur vie ? Est-il d’ailleurs vraiment juste de l’appeler vitrification « de convenance » ? Ne serait-il pas souhaitable de l’appeler plus simplement « préservation de la fertilité », ou de trouver une traduction adéquate des termes anglais AGE Banking(anticipation of gamete exhaustion) ou age-related oocyte freezing ? Situation légale Les lois qui régissent les traitements de médecine de la reproduction sont très différentes d’un pays à l’autre. Il en est de même pour la vitrification ovocytaire. En Espagne, par exemple, deux lois régulent la situation. D’une part, la loi de 2006, qui régit les techniques de médecine de la reproduction, autorise une aide médicale indépendamment de l’orientation sexuelle et de l’état civil du patient. D’autre part, la loi de 2010 sur la santé sexuelle, reproductive et l’interruption volontaire de la grossesse men tionne que « la décision d’avoir des enfants et quand les avoir est l’une des décisions les plus intimes et personnelles que les gens prennent au cours de leur vie ». L’expérience de la clinique Eugin Le programme Timefreezede la clinique Eugin a été lancé début 2011. Entre 2011 et 2012, 142 femmes se sont présentées à la consultation pour la réalisation d’une préservation de leur fertilité. Quatre-vingt-quinze pour cent d’entre elles étaient célibataires, 64 % avaient un niveau d’études universitaires et 97 % travaillaient (21 % dans le secteur de la santé, 9,5 % étaient avocates, 9,5 % dans la vente et 7 % dans l’éducation). Soixante-quatre pour cent des femmes n’avaient jamais été enceintes et 98 % étaient nullipares. Toutes les stimulations ovariennes ont été réalisées avec un protocole antagoniste et déclenchement par agoniste de la GnRh. La moyenne d’ovocytes obtenus et d’ovocytes matures était respectivement de 8,5 (SD ± 6,7) et de 6,2 (SD ± 5), et le nombre moyen de cycles réalisés de 1,12 par femme. Conclusion Le report de la maternité est un problème réel qui touche des milliers de femmes dans les pays développés. La vitrification ovocytaire est une technique reproductible et sûre. Elle peut être, à nos yeux, considérée comme une alternative éthiquement acceptable pour les femmes qui veulent retarder leur maternité. Les cliniques espagnoles ont commencé à proposer cette technique de manière courante.
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