Publié le 26 oct 2014Lecture 10 min
Mécanismes de l’aménorrhée au cours des hyperprolactinémies : conséquences thérapeutiques
N. BINART*,**, C. SONIGO*,**, J. YOUNG*,**,***/*Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) U693, Le Kremlin-Bicêtre/**Université Paris-Sud, faculté de médecine Paris-Sud, Unité mixte de recherche (UMR)-S693, Le Kremlin-Bicêtre/***S
Grâce à un modèle de souris reproduisant l’hyperprolactinémie, nous avons démontré que la prolactine inhibe la sécrétion de neurones situés en amont des neurones à GnRH, essentiels à leur fonctionnement. Ces neurones sécrètent une neurohormone appelée « kisspeptine ». Les taux élevés de PRL inhibent directement la sécrétion de kisspeptine et empêchent ainsi la sécrétion de GnRH et la cyclicité ovarienne. L’administration de kisspeptine permet de rétablir la libération de GnRH et le fonctionnement cyclique des ovaires malgré l’hyperprolactinémie. Cette découverte physiopathologique explique le lien entre infertilité et hyperprolactinémie et permet une ouverture thérapeutique originale.
Hyperprolactinémie : causes et conséquences L’hyperprolactinémie est définie par une élévation de la concentration plasmatique de prolactine (PRL) au-delà de la limite supérieure des valeurs présentes dans la population normale (variant, selon les méthodes utilisées, de 15 à 25 ng/ml). Cette élévation de PRL peut être responsable, chez l’homme, de baisse de la libido, d’infertilité ou, plus rarement, de galactorrhée. Chez la femme, c’est une des principales causes de galactorrhée, de troubles du cycle ou d’infertilité par anovulation. Hormis les causes physiologiques (grossesse et allaitement), une hyperprolactinémie est retrouvée dans des situations pathologiques : c’est la cause la plus fréquente de pathologie hypothalamo-hypophysaire (tableau). Une analyse de 1 607 patients traités par agonistes dopaminergiques pour hyperprolactinémie montre que la prévalence moyenne est environ de 10/100 000 hommes et de 30/100 000 femmes(1). Les prolactinomes, étiologie courante des hyperprolactinémies non physiologiques, sont les tumeurs hypophysaires sécrétantes les plus fréquentes et représentent près de 40 % de toutes les tumeurs hypophysaires. La taille des prolactinomes, déterminée par l’IRM hypophysaire, permet de les classer en micro-adénomes et macroadénomes selon le diamètre de 10 mm défini comme limite et le taux de PRL circulante (< 200 ng/ml dans les micro-adénomes et supérieur à cette valeur pour les macroadénomes). Dans la plupart des cas, les adénomes à PRL sont bénins et d’origine monoclonale. L’IRM hypophysaire permet de diagnostiquer d’autres étiologies d’hyperprolactinémie, comme les lésions tumorales suprahypophysaires ou hypophysaires non lactototropes (crâniopharyngiomes ou dysgerminomes), ou encore les lésions infiltratives (sarcoïdose, tuberculose) entraînant des hyperprolactinémies dites « de déconnexion ». La PRL s’élève secondairement à la levée du tonus inhibiteur dopaminergique, conséquence d’une compression ou destruction de la tige pituitaire ; ses valeurs sont en général modérées (< 100 ng/ml). Enfin, de nombreux médicaments peuvent induire des hyperprolactinémies et leur recherche à l’interrogatoire est primordiale. Mécanismes du déficit gonadotrope : anciennes données Il est admis depuis plus de 30 ans que la cause de ce déficit gonadotrope partiel est l’altération de la sécrétion de GnRH, principale hormone gouvernant l’axe gonadotrope. En effet, des études réalisées dans les années 1980 ont montré que l’administration de GnRH chez l’homme comme chez la femme rétablit un fonctionnement testiculaire ou ovarien normal, chez des sujets dont l’hyperprolactinémie est persistante. Selon l’opinion communément admise, le déficit gonadotrope serait secondaire à une augmentation du tonus dopaminergique qui inhiberait la pulsatilité de la GnRH. On pensait jusqu’alors que la PRL en excès pouvait agir directement sur les neurones à GnRH, mais les neurones à GnRH expriment peu ou pas le récepteur de la PRL(2). Il semblerait donc exister une voie intermédiaire impliquant d’autres systèmes neuronaux. La représentation classique de l’axe gonadotrope était constituée des neurones hypothalamiques sécrétant de manière pulsatile la GnRH, stimulant les cellules gonadotropes hypophysaires pour induire la sécrétion des gonadotrophines LH et FSH. Ces hormones agissent sur les ovaires pour stimuler la production des stéroïdes sexuels, estradiol et progestérone, chez la femme. Ces trois niveaux de l’axe gonadotrope sont liés par une régulation complexe faisant intervenir un double rétrocontrôle positif et négatif. Cependant, depuis une dizaine d’années de nouveaux acteurs fondamentaux gouvernant l’axe gonadotrope ont été découverts. Mécanismes du déficit gonadotrope : nouvelles données En 2003, deux équipes ont mis simultanément en évidence des mutations du récepteur de la kisspeptine (KISS1R anciennement appelé GPR54) chez des individus atteints d’un hypogonadisme hypogonadotrope avec une absence de puberté(3,4). Cette découverte a conduit à démontrer que la kisspeptine (Kp) était un des déclencheurs de la puberté et le plus puissant stimulant de la sécrétion de GnRH. Ce peptide, codé par le gène KISS1, a d’abord été identifié comme gène suppresseur de métastases dans des cellules de mélanome et est maintenant considéré comme l’effecteur fondamental de l’axe gonadotrope. Depuis, plusieurs études ont montré que les Kp, sécrétées par des neurones hypothalamiques, sont impliquées dans les rétrocontrôles positifs et négatifs des stéroïdes sexuels sur l’axe hypothalamo-hypophysaire constituant le relais de signaux périphériques influant sur l’axe gonadotrope comme la leptine ou la photopériode. C’est dans ce contexte que l’hypothèse d’une intervention des Kp dans le déficit gonadotrope secondaire à l’hyperprolactinémie a été posée. Les mécanismes moléculaires exacts du déficit gonadotrope partiel étaient, jusqu’à ce jour, inconnus. Notre étude a permis de mettre en évidence que la Kp était le chaînon manquant du déficit gonadotrope dans l’hyperprolactinémie(5). Figure 1. Schéma expérimental. Quatre groupes de souris sont étudiés pendant 28 j. CTRL : pompe délivrant du PBS en continu (rose) ; PRL : pompe délivrant de la prolactine en continu pendant 28 j (orange) ; Kp : pompe délivrant de la prolactine en continu pendant 28 j et 1 injection/j de kisspeptine (Kp) (trait jaune) à partir de J8. Les frottis vaginaux quotidiens permettent d’évaluer la cyclicité des animaux. Nous avons mis au point un modèle de souris hyperprolactinémique grâce à des micropompes délivrant la PRL de manière continue pendant 4 semaines(1). Rapidement, ces souris ont présenté des altérations de la cyclicité avec des cycles irréguliers, voire inexistants, reproduisant ainsi la pathologie humaine (figure 2). Figure 2. Effets de l’infusion de PRL sur la cyclicité. A. Chaque diagramme représente la cyclicité d’un animal pendant 28 j. Les souris en hyperprolactinémie (orange) présentent une altération de la cyclicité par rapport aux souris contrôles (rose). L’administration de Kp (jaune) restaure la cyclicité. B. Nombre de cycles œstraux pendant 20 j. Les souris en hyperprolactinémie présentent un pourcentage significativement diminué d’œstrus (p < 0,001) par rapport aux souris contrôles. L’anovulation a été confirmée par l’analyse histologique des ovaires, qui retrouvait une absence de corps jaunes, témoins de l’ovulation (figure 3). Afin de valider l’hypothèse, des injections régulières, intrapéritonéales de Kp ou de placebo ont été réalisées chez ces souris hyperprolactinémiques (voir protocole de la figure 1). Une restauration de cycles réguliers a lieu chez les souris recevant la Kp, s’accompagnant de la présence de corps jaunes en quantité normale dans les ovaires (figures 2 et 3). Figure 3. Effets de l’infusion de PRL sur l’ovulation. A. Coupe d’ovaire de souris montrant un corps jaune (C.J.). B. Nombre de corps jaunes chez les souris en fin de traitement. Après administration de Kp chez les souris en hyperprolactinémie, le nombre de C.J. est restauré, témoignant d’une ovulation normale. En revanche, aucune amélioration n’a été retrouvée chez les souris traitées par placebo. La Kp semble donc restaurer une cyclicité et une ovulation normales chez les souris hyperprolactinémiques. L’analyse de l’expression des peptides hypothalamo-hypophysaires a permis d’évaluer les mécanismes moléculaires impliqués. Alors qu’il n’y avait pas de variation de l’expression de la GnRH,une chute de l’expression des gènes des hormones hypophysaires FSH et LH était observée chez les animaux en hyperprolactinémie (figure 4). Figure 4. Expression des gènes de la GnRH, LHß et FSHß. L’expression de GnRH est équivalente entre les souris contrôles (rose) et les souris en hyperpolactinémie (orange). En revanche, l’expression des gènes LHß et FSHß est significativement diminuée chez les souris en hyperprolactinémie par rapport aux souris contrôles (p < 0,01). Celle-ci est restaurée après traitement par Kp. Ces résultats sont en faveur d’une altération de la sécrétion ou de la pulsatilité de GnRH induisant une baisse de la production de LH et FSH. L’analyse de l’expression deKpdans l’hypothalamus (figure 5) de ces souris, ainsi que l’analyse immunohistochimique du peptide dans les noyaux hypothalamiques (figure 6) révèlent une nette diminution chez les souris en hyperprolactinémie comparativement aux animaux témoins. La PRL en excès induit donc, chez la souris comme dans l’espèce humaine, une altération de la sécrétion de GnRH. Figure 5. Expression du gène kiss dans l’hypothalamus des souris traitées à la prolactine. L’expression de kiss est significativement plus basse chez les souris en hyperpolactinémie (orange) par rapport à celle des souris contrôles (rose). Figure 6. Immunomarquage des neurones Kp dans l’ARC et l’AVPV de souris traitées ou non par la PRL. Une baisse de l’immunomarquage est clairement visible dans les noyaux arqués (ARC) et antéroventraux périventriculaires (AVPV). Barre échelle : 50 µm. Ces données ont été confirmées, in vitro, par la mise en culture d’explants hypothalamiques de souris en présence de PRL. Ces explants sécrètent de faibles taux de GnRH alors que, mis en culture dans un milieu contenant à la fois de la PRL et la Kp, ils se remettent à sécréter la GnRH. Ces résultats permettent de confirmer que l’hyperprolactinémie induit une dysfonction de la sécrétion de GnRH et que celle-ci est restaurée par la Kp (figure 7). Cette étude est confortée par une publication récente montrant que, chez le rongeur, peu de neurones à GnRH expriment l’ARNm du récepteur de la PRL, alors que la majorité des neurones exprimant l’ARNm de Kp expriment aussi celui du récepteur de la PRL(6). Ces résultats sont donc en faveur d’une action de la PRL viales neurones à Kp sur les neurones à GnRH. Figure 7. Inhibition par la PRL du relargage de la GnRH par les explants hypothalamiques en culture. Le relargage de GnRH dans le milieu de culture des explants hypothalamiques est significativement inhibé après exposition à la PRL. L’addition de Kp (500 nM) pendant l’heure suivante est capable de restaurer une sécrétion de GnRH. Conclusion Ce travail, chez des rongeurs, a permis de décrypter les mécanismes induisant le déficit gonadotrope dans l’hyperprolactinémie. Afin de confirmer cette hypothèse chez la femme, une étude chez des patientes en hyperprolactinémie, résistantes au traitement médicamenteux est en cours par injections de Kp. Si ces données sont validées, l’administration de Kp pourrait devenir un nouvel élément dans l’arsenal thérapeutique des femmes en hyperprolactinémie, résistantes au traitement médical, essentiellement en ce qui concerne leur prise en charge pour infertilité. Cette découverte permet non seulement de mieux comprendre la physiopathologie de l’infertilité dans l’hyper-prolactinémie, mais constitue également une avancée thérapeutique.
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