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Publié le 06 mai 2008Lecture 11 min

Trouble bipolaire : CAT avant et pendant la grossesse

B. ÉTAIN, Praticien hospitalier, pôle de psychiatrie, groupe hospitalier Mondor-Chenevier, Créteil

La question de la grossesse chez une patiente souffrant de troubles bipolaires est délicate car elle soulève de très nombreuses questions concernant le rapport bénéfice/risque des traitements psychotropes. Quels sont les psychotropes utilisables pendant la grossesse, c’est-à-dire ceux qui sont efficaces sur la prévention des épisodes thymiques sans être tératogènes ? Quel est le risque tératogène associé au maintien d’un traitement thymorégulateur ? Et, en cas d’arrêt du traitement, quel est le risque pour la future mère (et les conséquences potentiellement graves pour le fœtus) de survenue d’un épisode thymique pendant la grossesse ? Le principe de précaution dicte que le praticien doit interrompre tout médicament potentiellement tératogène durant la grossesse. Cependant, le risque de récurrence thymique peut également être très dangereux pour le fœtus (par exemple risque de conduites suicidaires en cas de dépression chez la future mère).

La grossesse, une période d’accalmie ? Il a longtemps été considéré que la grossesse protégeait les femmes enceintes souffrant de troubles bipolaires d’une récurrence de la maladie. Ainsi, P. Grof considérait que les femmes enceintes souffrant de troubles bipolaires de type I présentaient des rechutes thymiques moins fréquentes et plus courtes, comparativement aux périodes avant et après la grossesse (1). Cette étude, limitée aux patientes ayant répondu favorablement à un traitement prophylactique par lithium, tendait à démontrer que la période de la grossesse constituait une période de relative accalmie de la maladie. Cependant, plusieurs études viennent contredire cette observation.   Des résultats qui s’inscrivent en faux A.C. Viguera a comparé le risque de récurrences pendant la grossesse chez 89 femmes enceintes souffrant de troubles bipolaires (2). Soixante et onze pour cent de ces femmes ont présenté au moins une récurrence au cours de la grossesse. Celles qui ont interrompu leur traitement alors qu’elles étaient enceintes ont rechuté deux fois plus que celles qui ont poursuivi leur traitement médicamenteux. Les récurrences étaient majoritairement dépressives ou mixtes (74 %) et elles sont survenues pendant le premier trimestre de grossesse dans 47 % des cas (2).  A.C. Viguera a également étudié le risque de récurrence chez des femmes (enceintes ou non) souffrant de troubles bipolaires interrompant leur traitement thymorégulateur par lithium (3). Les femmes souffrant de troubles bipolaires avaient un risque comparable de rechutes à l’arrêt du traitement par lithium, qu’elles soient enceintes (58 %) ou non (52 %). Le risque de récurrence était tout particulièrement augmenté après une interruption brutale du lithium en quelques jours (63 %) versus 37 % en cas d’arrêt sur deux à quatre semaines (3). La période de la grossesse ne représente donc pas une période de stabilité thymique pour les femmes souffrant de troubles bipolaires permettant d’envisager sereinement l’interruption d’un traitement thymorégulateur. La prévention des récurrences reste donc cruciale chez la femme souffrant de troubles bipolaires, y compris pendant la grossesse.   Des régulateurs de l’humeur tératogènes ? De très nombreux psychotropes ont des effets tératogènes connus de longue date et bien documentés. Le site internet du CRAT (Centre de référence des agents tératogènes) (4) et le livret « Médicaments et Grossesse – Psychiatrie » établi par l’Afssaps peuvent servir de référence aux praticiens (5). Ils informent sur les risques tératogènes d’un traitement psychotrope, précisent les médicaments psychotropes utilisables pendant la grossesse en indiquant pour chacun les règles de prescription et les modalités de surveillance en cas d’impossibilité d’arrêt du traitement.   Lithium et atteinte cardiaque La mention de l’Afssaps concernant le lithium est la suivante : « effet malformatif mais utilisation envisageable en l’absence d’alternative thérapeutique ». En effet, le lithium entraîne des malformations cardiaques. Les deux premiers mois de la grossesse représentent la période la plus à risque, et tout particulièrement durant la période de la cardiogenèse (J21 à J50 après la conception). Le risque de malformation cardiaque se situerait entre 3,5 et 7 % (contre 0,5 à 1 % de la population générale), avec une fréquence augmentée de maladie d’Ebstein. En cas d’exposition, une surveillance échographique devra impérativement être effectuée. En cas de traitement jusqu’à l’accouchement, des troubles néonataux réversibles sont décrits (cardiaques, rénaux et thyroïdiens)(5).   Dérivés de l’acide valproïque et fermeture du tube neural Ces composés portent la mention « déconseillés » (5). Le risque malformatif est 3 à 4 fois supérieur à celui de la population générale. Le risque de malformations serait dose-dépendant et majeur pour des posologies supérieures à 1 000 mg/j. Il s’agit principalement d’anomalies de fermeture du tube neural (surtout spina bifida), de dysmorphies faciales, de fentes faciales, de craniosténoses, de malformations cardiaques, rénales, urogénitales et de malformations des membres. Elles seront systématiquement dépistées en cas d’exposition. Une diminution des capacités verbales et/ou une augmentation du recours à une prise en charge en orthophonie ou au soutien scolaire ont été décrites chez les jeunes enfants ayant été exposés in utero (5).   Carbamazépine : le tube neural aussi La mention de l’Afssaps concernant la carbamazépine est la suivante : «  effet malformatif mais utilisation envisageable en l’absence d’alternative thérapeutique ». Le risque malformatif est multiplié par 2 à 3 comparativement à la population générale, ceci concernant tout particulièrement des anomalies de fermeture du tube neural, des fentes labiales, des cardiopathies et des hypospadias. En cas d’exposition, un dépistage de ces malformations chez le fœtus devra être systématiquement effectué (5).   L’olanzapine : anomalies de la glycorégulation Son utilisation est « envisageable » selon les recommandations de l’Afssaps. La surveillance concernera plutôt les risques chez la femme enceinte elle-même. Ce risque concerne surtout les anomalies de la glycorégulation, sachant que la grossesse augmente en elle-même le risque d’insulinorésistance (risque de diabète gestationnel). Il existe un risque théorique chez le nouveau-né de signes atropiniques, de sédation et de signes extrapyramidaux (5).   Benzodiazépines et chlorpromazine sous surveillance L’utilisation de certaines benzodiazépines (alprazolam, bromazépam, diazépam) est envisageable en prenant soin de mettre en place une surveillance du nouveau-né face à un possible risque d’imprégnation néonatale immédiate (hypotonie) ou de sevrage néonatal à distance (5). L’utilisation de la chlorpromazine est possible pendant toute la grossesse, en surveillant les signes d’imprégnation du nouveau-né (5). Ces traitements peuvent donc être utilisés notamment pour les manifestations anxieuses.   Bien choisir le traitement antidépresseur Si un traitement antidépresseur est indiqué pendant la grossesse en cas de rechute dépressive, on privilégiera l’utilisation des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (IRS). L’Afssaps ne donne pas d’avis sur l’utilisation des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (et de la noradrénaline), en mentionnant que leur évaluation est en cours. Par contre, le CRAT indique des points importants concernant leur utilisation. La fluoxétine et le citalopram sont utilisables pendant la grossesse, la sertraline pendant la grossesse et l’allaitement. La paroxétine pourrait occasionner des malformations cardiaques et, dans la mesure du possible, on lui préférera un des IRS cités précédemment. Les données concernant la venlafaxine sont peu nombreuses ; non tératogène chez l’animal, on lui préférera cependant un antidépresseur dont les risques tératogènes sont mieux documentés tels que les IRS cités précédemment (4).   Recommandations pour la pratique Les aspects pratiques de la prise en charge sont particulièrement bien détaillés dans les recommandations du NICE (National Institute for Health and Clinical Excellence) (6). Elles peuvent facilement servir de référence au praticien qui doit gérer une grossesse prévue ou survenant sous traitement psychotrope. Un des points les plus importants est de tenter de discuter de cet aspect avec toute patiente bipolaire en âge de procréer pour planifier au mieux la gestion du traitement avant la conception. Bien entendu, la situation de chaque femme sera évaluée en fonction du rapport bénéfice/risque qui prendra en compte notamment le profil évolutif du trouble bipolaire de la femme concernée, la fréquence des récurrences, la notion de réponse ou de résistance antérieures à certains traitements thymorégulateurs, la possibilité de planifier la grossesse ou sa survenue imprévue.   La grossesse est prévue L’utilisation du valproate, de la carbamazépine et des sels de lithium doit être autant que possible évitée lorsqu’une grossesse est planifiée et ces traitements seront idéalement interrompus. Si une femme prenant du lithium désire concevoir un enfant, plusieurs options sont possibles. Si la patiente est normothymique et à faible risque de récurrence, un arrêt progressif du lithium peut être envisagé. Si la patiente n’est pas normothymique et/ou à haut risque de récurrence, on discutera les options suivantes : interruption progressive du lithium et remplacement par un antipsychotique type olanzapine (avec une période de chevauchement des deux molécules) ; interruption progressive du lithium et reprise au second trimestre de grossesse ; poursuite du lithium sous surveillance étroite du risque de malformations. Un dosage de lithiémie plasmatique sera réalisé toutes les 4 semaines, puis toutes les semaines à partir de la 36e semaine et juste avant la naissance. En cas d’interruption du lithium pendant la période de l’organogenèse, sa reprise peut intervenir dès le 50e jour après la conception.   La grossesse n’est pas prévue Il s’agit de la situation la plus délicate à gérer. En règle générale, lors de la découverte de la grossesse, le fœtus a déjà été exposé aux psychotropes pris par sa mère. Il ne s’agit pas alors de céder à la panique devant l’exposition à un traitement tératogène dont l’interruption brutale du jour au lendemain peut s’avérer désastreuse. Le premier temps consiste à confirmer la grossesse. La diminution progressive d’un thymorégulateur tératogène (lithium, valproate, carbamazépine) et son remplacement par l’olanzapine doivent être envisagés. La surveillance échographique est, dans tous les cas, indispensable. En cas d’exposition au lithium pendant la période de l’organogenèse, une échographie de dépistage des malformations cardiaques devra être réalisée à 22-24 semaines d’aménorrhée dans un centre de référence. Si on ne peut interrompre le valproate, on devra rechercher la dose minimale efficace, inférieure à 1 000 mg/jour, en monothérapie, en fractionnant les prises. L’acide folique est recommandé afin de réduire le risque de malformations même si son rôle préventif reste à prouver. Les anomalies de fermeture du tube neural devront être dépistées entre 12-13 semaines et à 22 semaines d’aménorrhée, le dosage d’alphafœtoprotéine est indiqué6.   En cas de rechute maniaque ou dépressive En cas de rechute maniaque, le choix d’un antipsychotique atypique type olanzapine sera privilégié si la patiente ne prend aucun traitement. Si la récurrence maniaque survient sous traitement thymorégulateur, on vérifiera les taux plasmatiques et la compliance. La dose des antipsychotiques atypiques pourra être augmentée. On pourra également considérer le lithium ou les sismothérapies. L’option du valproate peut être considérée malgré ses risques tératogènes, si aucune autre alternative n’est possible, à la dose minimale efficace sans excéder 1 000 mg/j, en plusieurs prises quotidiennes, et avec une supplémentation en acide folique de 5 mg/j6. En cas de récurrence dépressive d’intensité moyenne, avant l’utilisation d’un antidépresseur, on discutera la mise en place d’une prise en charge psychothérapeutique notamment par thérapie cognitivo-comportementale. Si l’intensité est moyenne à sévère, on pourra discuter de la prescription d’un antidépresseur type IRS en évitant la paroxétine (6). Enfin, n’oublions pas que les règles hygiéno-diététiques et les aspects de psycho-éducation sont également primordiaux et aideront à la stabilisation de l’humeur.   Une prise en charge pluridisciplinaire La gestion d’une grossesse chez une femme souffrant de troubles bipolaires est délicate. En effet, le praticien doit connaître les risques tératogènes des psychotropes et savoir évaluer le risque de récurrence de la maladie afin de considérer l’interruption ou le changement du traitement thymorégulateur. La stabilisation de l’humeur pendant la grossesse est primordiale puisqu’elle garantit la sécurité de la mère et du futur enfant et constitue également un élément important de la prévention des décompensations du post-partum, fréquentes chez les femmes souffrant de troubles bipolaires. Notons finalement que la prise en charge de cette période doit être multidisciplinaire, incluant un partenariat étroit entre la psychiatrie, l’obstétrique et la néonatologie. Le médecin psychiatre devra notamment s’appuyer sur un suivi en maternité de niveau 2 ou 3. 

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