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Médecine fœtale

Publié le 18 juin 2009Lecture 13 min

Recherche sur l’embryon humain : est-ce une transgression ?

S. HAMAMAH, Hôpital Arnaud de Villeneuve, Montpellier

Les progrès scientifiques avancent de plus en plus rapidement. Ce qui, hier encore, apparaissait comme de la science-fiction est souvent aujourd’hui une réalité. Les possibilités de réaliser un projet parental voient sans cesse reculer leurs limites. Nous allons non seulement vivre de plus en plus longtemps mais aussi, dans la plupart des cas, avec des capacités physiques et intellectuelles conservées ou « réparées ». Alors que les sciences de la « maîtrise du vivant » se développent à grande vitesse, qu’elles font entrevoir à l’homme l’espoir à terme d’une forme de « paradis intégralement médicalisé », il est nécessaire de refonder les rapports entre l’homme et la science. Voilà l’enjeu de ces débats bioéthiques et l’ambition affirmée des lois bioéthiques existantes et à venir.

Il n’est pas réaliste de penser que les avancées de la science trouveront des limites parce qu’elles seraient jugées « non convenables », surtout à l’heure de la mondialisation à laquelle le savoir n’échappe pas (et c’est heureux qu’il en soit ainsi). D’où l’impérieuse nécessité de les accompagner et même de les faire précéder, dans toute la mesure du possible, d’une réflexion éthique. Le 24 février 1982, le premier « bébé éprouvette » français est né. Quatre ans auparavant, Louise Brown était née en Angleterre par FIV. Ces bébés ont d’emblée intéressé les médias ; depuis une trentaine d’années, l’opinion publique comprend l’importance de ce nouveau mode de procréation. Pour la première fois, l’homme intervient sur le commencement de la vie et de facto la disponibilité des embryons obtenus in vitro dits « surnuméraires » pose la question du statut de l’embryon. L’assistance médicale à la procréation (AMP) reste un sujet sensible en raison des implications philosophiques, morales, médicales, sociologiques et religieuses. À cela s’ajoute, depuis 1998, l’obtention à « volonté » des cellules souches embryonnaires (ES) pouvant servir au traitement de certaines maladies.    Une nouvelle ère de la biologie Une cellule souche est une cellule indifférenciée, issue de l’embryon, du fœtus ou de l’adulte. Elle est caractérisée par ses capacités d’auto renouvellement (multiplication à l’identique pour produire des cellules souches), de différenciation dans certaines conditions (pour engendrer les cellules spécialisées qui constituent les différents tissus et donc immortelles), et de prolifération cellulaire en culture. Des découvertes très récentes ont démontré la possibilité d’obtenir des cellules souches pluripotentes, plus communément appelées cellules souches embryonnaires ou cellules ES capables de régénérer n’importe quel organe déficient. Une nouvelle ère dans la biologie des cellules souches embryonnaires chez l’homme a débuté il y a une dizaine d’années, avec l’obtention de cellules issues de blastocystes et de tissus fœtaux ayant la possibilité unique de se différencier en cellules de n’importe quel autre tissu de l’organisme. Les cellules souches représentent donc aujourd’hui un enjeu scientifique majeur et leur utilisation dans le cadre de nouvelles thérapies semble ouvrir des perspectives nouvelles. Ce qui nous inquiète aujourd’hui, c’est la tricherie mise en lumière après la publication de l’équipe de Hwang. Dès 2004, ces résultats publiés dans le journal Science ont été mis en cause. Leur reproductibilité par d’autres équipes compétentes s’est avérée impossible. L’article publié en 2004 représentait-il déjà une fraude volontaire ? Doit-on incriminer la compétition et l’immense pression médiatique et financière subie par un chercheur adulé dans son pays ? Malheureusement, la fraude n’est pas rare en science et en médecine. Des cliniciens des États-Unis ont essayé, dans le passé, de tricher sur le devenir et l’évolution de la tentative de FIV en faisant croire aux patientes qu’elles étaient enceintes via la simple administration de l’hormone hCG avant de leur annoncer une prétendue fausse-couche. D’autres cliniciens ont utilisé leur propre sperme afin d’encaisser le bénéfice engendré par ces dons. Bien sûr, ces affaires-là ont donné lieu à des procès et à l’emprisonnement des fautifs. Par ailleurs, ce scandale a amplifié les peurs existantes à l’égard de la recherche sur l’embryon humain. Heureusement, la vaste majorité des chercheurs est animée par un sens aigu de la vertu et par une réelle motivation pour le progrès des outils thérapeutiques au service de l’homme.   Situation juridique de la recherche sur l’embryon humain en France La notion d’embryon humain a toujours divisé les populations et l’opinion publique et ce, depuis la loi Weil de 1975. Mais en ce qui concerne les recherches sur l’embryon, trois positions sont défendues : • certains prônent l’absence de recherche sur les embryons sauf à des fins thérapeutiques ; • d’autres admettent la recherche, mais limitée aux embryons surnuméraires ; • enfin, certains acceptent la recherche à la fois sur des embryons surnuméraires et sur des embryons spécialement créés. L’article 16.4 du code civil français prohibe toute « atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine ». L’article L 2141.8 du Code de la santé publique prohibe clairement toute expérimentation sur l’embryon et interdit également la conception in vitro d’embryons à des fins d’études, de recherche ou d’expérimentation. Il permet que soient menées, à titre exceptionnel, des études sur les embryons à la condition que celles-ci aient une finalité médicale et qu’elles ne portent pas atteinte à l’embryon, sous réserve du consentement écrit des géniteurs. La Convention d’Oviedo de 1997 pourrait être contraignante si la France la ratifiait ; selon l’article 18, « lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l’embryon ». Il appartient à chaque pays d’autoriser ou non la recherche sur les embryons. Selon l’avis du 23 novembre 1998 du Groupe européen d’éthique (GEE), « l’embryon humain… mérite la protection de la loi ». Alors même qu’il existe un continuum de la vie humaine, cette protection doit être renforcée au fur et à mesure du développement de l’embryon et du fœtus. Le groupe estime « conforme à l’éthique… de ne pas exclure, a priori, des financements communautaires, les recherches sur l’embryon humain » en raison des divergences étatiques sur le sujet. La nouvelle loi Bioéthique du 6 août 2004 réalise une avancée considérable en ce qu’elle autorise, aux nouveaux articles L. 2151-1 à L. 2153-2 du CSP, les recherches sur l’embryon. Est ainsi créé un titre V dans le livre 1er de la 2e partie du CSP intitulé « Recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires ». Il prévoit que, lorsqu’un couple ayant eu recours à une AMP n’a plus de projet parental, les embryons peuvent, avec le consentement écrit du couple, non seulement faire l’objet d’un don à un autre couple ou d’une destruction comme le prévoient les lois de 1994, mais aussi d’une recherche. L’admission des recherches sur l’embryon est toutefois strictement encadrée par l’article L. 2151-3 du CSP. Ces recherches sont en effet envisagées de manière exceptionnelle, l’alinéa 1er du texte posant le principe de l’interdiction des recherches sur l’embryon. En outre, ce texte présente un caractère expérimental en ce sens que son application devrait être limitée à une durée de 5 ans. Cette période transitoire a été justifiée par l’idée que, durant celle-ci, il sera possible de vérifier si l’utilisation de cellules souches adultes rend inutile le recours à l’embryon. En réalité, il s’agit d’une première mise en forme rassurante de la transgression qui ne saurait faire illusion. Conditions de la recherche sur l’embryon Ces recherches doivent être autorisées.  Elles doivent présenter un double caractère : d’une part, être susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et, d’autre part, ne pas pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable en l’état des connaissances scientifiques.  Elles ne peuvent être effectuées que sur des embryons « orphelins », conçus in vitro dans le cadre d’une AMP et sans projet parental. La « conception in vitro d’embryons (…) humains à des fins de recherche » est donc formellement interdite (Code pénal, art. 511-18). On notera que la loi semble avoir omis de prohiber la conception d’embryon, y compris par clonage, à des fins d’études ne lui portant pas atteinte. Embryon humain obtenu par fécondation in vitro âgé de 5 jours.  Elles sont soumises au consentement du couple formulé par écrit, qui doit être confirmé à l’issue d’un délai de réflexion de 3 mois et qui est révocable à tout moment, sans motif.  Elles supposent qu’un protocole ait été autorisé par l’Agence de la biomédecine (ABM) après avis en Conseil d’orientation (CO). La décision d’autorisation est prise en fonction de la pertinence scientifique du projet de recherche, de ses conditions de mise en oeuvre au regard des principes éthiques et de son intérêt pour la santé publique. Il est également précisé que les embryons ayant fait l’objet d’une recherche ne pourront pas être transférés à des fins de gestation.   Des incohérences L’étude de l’embryon humain (à la différence de la recherche qui voue l’embryon à la destruction, « l’étude » ne porte pas atteinte à l’intégrité de l’embryon) est permise à titre exceptionnel. Le consentement du couple doit être confirmé après un délai de réflexion de 3 mois. Les études ne doivent pas porter atteinte à l’embryon. Pour les autres conditions, le législateur opère un renvoi aux dispositions aux alinéas 4, 5, 6 et 7 qui intéressent les recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires. Or, le 4e alinéa vise les embryons qui ne font plus l’objet d’un projet parental, et le 7e interdit le transfert des embryons in utero après recherche. Incohérence dans la rédaction du texte, regrettable. Comment concilier, d’une part, l’idée que l’étude ne doit pas porter atteinte à l’embryon et, d’autre part, que celui-ci ne doit plus être inscrit dans un projet parental ni être implanté après étude ?   Une nouvelle transgression au principe de protection de la vie humaine Le législateur a donc pris le parti de déroger au principe d’interdiction des recherches sur l’embryon humain. Il s’agit là d’une nouvelle transgression du principe de la protection de la vie humaine dès son commencement. Dès lors que la finalité de l’expérimentation n’est pas l’intérêt de l’embryon, ni la protection d’un droit fondamental d’un tiers identifié et dont la défense serait incompatible avec celle d’un embryon, il ne s’agit finalement que de concilier la protection de l’embryon avec un intérêt collectif. Or, la mise en oeuvre du principe de la dignité de l’embryon induit l’impossibilité qu’il puisse céder le pas devant des intérêts collectifs. La loi de 2004 est, certes, qualifiée de bioéthique, mais après examen, l’éthique de la vie dont s’est inspiré le législateur y est bien moins manifeste qu’en 1994, à moins qu’il ne s’agisse d’une « éthique de la transgression ». Quoi qu’il en soit, il apparaît clairement que la question, face à cette loi, n’est plus de savoir si elle avalise une régression de la protection de l’être humain, mais de rechercher comment et au bénéfice de quoi s’organise cette régression, et ce qu’il reste à l’homme comme protection.   Dispositions de loi qui semblent consacrer cette régression L’introduction d’une notion selon laquelle « la dignité de l’embryon humain serait fonction du projet parental dont il est porteur » : la dignité de l’embryon in vitro et donc la possibilité de l’introduire dans un protocole de recherche seraient fonction du projet parental dont il est porteur. La France s’est prononcée de facto pour la réification de l’embryon humain in vitro. En effet, le principe fondateur suivant lequel « La loi garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie » (article 16 du code civil) peut-il, sans s’effondrer, supporter de dérogation ? « Vous serez comme des dieux », voici la tentation première et permanente qui vient solliciter l’orgueil humain. L’un des premiers actes de la Genèse concentre la problématique de la bioéthique : Adam et Eve, au Jardin d’Eden, jouissent de la liberté en harmonie avec le créateur et sa création. Mais cette félicité est brisée, lorsque leur curiosité, attisée par le serpent, les pousse à faire un usage désordonné de la liberté en transgressant l’unique interdiction divine : goûter au fruit de l’arbre de la connaissance. Conclusion Depuis, l’Homme recherche son équilibre, entre obéissance et révolte, soumission à Dieu et concurrence. Le débat bioéthique se pose aujourd’hui dans les mêmes termes, dans son prolongement même :  l’Homme doit-il user de sa liberté pour goûter une fois de plus à la connaissance ? Peut il se permettre d’opérer une nouvelle transgression, en s’appropriant la « maîtrise du vivant », et pourquoi pas, penser devenir, un peu plus encore, comme des dieux ?  Est-il capable de distinguer, dans cette soif de connaissances, celles qui ne sont désirées que pour elles-mêmes, et celles qui sont recherchées pour le bien de l’Homme ?  Est-il capable d’admettre que d’un mal ne peut procéder un bien ? L’« humanisme », qui a si longtemps guidé cette recherche, se trouve aujourd’hui obsolète. Lui qui prônait la liberté de la science comme principe d’action et moyen, pour mener l’Homme – sa finalité – à la perfection par la ressemblance maximale de Dieu, est dépassé par la science elle-même. La Science, par ses développements récents, a fait passer l’Homme du statut de finalité à celui d’objet de connaissance, et de moyen de pouvoir. Les expériences récentes de totalitarismes scientifiques en témoignent, elles sont d’ailleurs le facteur déclencheur de la réflexion bioéthique contemporaine.

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