Médecine fœtale
Publié le 25 sep 2024Lecture 6 min
Mieux comprendre les morts maternelles pour les éviter
Denise CARO, d’après les communications de la session « Mortalité maternelle en France 2016‐2018 : qui sont ces femmes ? de quoi meurent‐elles ?
La mort maternelle est un événement « sentinelle en santé » qui constitue une alerte sur le système de soins pour les pouvoirs publics et les soignants. Le dispositif de surveillance de la mortalité maternelle, qui existe dans une dizaine de pays européens, renseigne non seulement sur les causes de décès mais aussi sur les événements morbides qui les ont précédés et qui procèdent des mêmes facteurs de risque ainsi que sur les moyens de les éviter. Suivre le taux de morts maternelles renseigne sur son évolution et permet aux pays européens ayant des systèmes d’enregistrement similaires de se comparer.
Étant donné la rareté des décès maternels, chaque rapport de l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) regroupe les données sur trois ans. Le 7e rapport, publié en avril 2024, porte sur les décès survenus entre 2016 et 2018(1). Il fait état de 272 décès (sur 2 311 783 naissances vivantes), soit un taux de mortalité maternelle de 11,8/100 000 naissances vivantes. Ce taux est stable par rapport aux périodes précédentes, avec une très légère augmentation non significative (10,8/100 000 en 2013‐2015, 10,3/100 000 en 2010‐2012). Cela représente à peu près 90 morts maternelles par an en France. Sont comptabilisés les décès survenus durant la grossesse et ses suites jusqu’à un an après l’accouchement. Au fil des années, on a inclus dans les statistiques davantage de causes potentiellement liées à la grossesse (notamment en prenant en compte les suicides). Si on limite les données à 42 jours après l’accouchement, le taux de mortalité maternelle est de 8,5/100 000 naissances.
En comparaison avec les autres pays européens, la France est en position médiane : elle fait moins bien que la Norvège (2,7/100 000), le Danemark (3,4/100 000), les Pays‐Bas (6,3/100 000) et la Finlande (7,3/100 000), mais mieux que l’Italie (8,7/100 000), le Royaume‐Uni (9,7/100 000) et la Slovaquie (10,9/100 000)(2). Les disparités régionales, elles aussi, évoluent. La mortalité maternelle est plus élevée dans les DROM que dans l’Hexagone, mais elle a fortement diminué depuis 2010 et l’écart se réduit.
Cinq fois plus de risque chez les ≥ 40 ans
L’âge de la mère est un facteur de risque de complications graves et de mortalité maternelle. Sur les quatre dernières périodes, par rapport aux femmes de 20‐24 ans, le taux de mortalité maternelle est multiplié par 2 ou 2,5 chez les 35‐ 39 ans et par 5 chez les ≥ 40 ans. Or, les femmes enceintes de ≥ 35 ans sont de plus en plus nombreuses (6 % des grossesses en 1980, 27 % en 2022). Selon le Dr Catherine Deneux‐Tharaux (Inserm, équipe EPOPé Paris), « c’est quelque chose auquel les soignants doivent être préparés ». Les femmes migrantes d’Afrique subsaharienne ont un risque de mortalité 2 fois plus élevé que la moyenne ; ce qui n’est désormais plus le cas de celles venues d’Afrique du Nord.
La vulnérabilité sociale augmente également le risque de mort maternelle, cela du fait de facteurs de risque individuels et/ou liés au parcours de soins. Elle concerne 34 % des morts maternelles et 22 % des parturientes.
Enfin, l’obésité est elle aussi un facteur de risque à la fois individuel et social. Elle est deux fois plus fréquente parmi les femmes décédées de mort maternelle que parmi l’ensemble des parturientes. Or, elle est en augmentation chez les femmes enceintes avec un risque accru de complications gravidiques(3).
Circonstances du décès
Le moment et les circonstances du décès sont intéressants à étudier. Dans 8,1 %, le décès intervient après un arrêt précoce de la grossesse : grossesse extra‐utérine (1,1 %), interruption volontaire de grossesse (2,6 %), interruption médicale de grossesse (1,8 %), fausse couche spontanée (2,6 %). Dans 16,9 % au cours de la grossesse : 7,7 % avant 22 SA et 9,2 % après 22 SA. Enfin, dans 75 % des cas, le décès survient en per‐ ou en postpartum : 22,1 % dans les 24 heures, 11,8 % la 1re semaine, 16,9 % entre J7 et J42 et 24,3 % entre J43 et 1 an.
Toutefois, si on considère le moment de la survenue de la complication responsable du décès (moment où l’on devrait intervenir pour éviter le décès), dans la moitié des cas cela se passe durant la grossesse et dans un quart des cas durant la 1re semaine après l’accouchement, c’est‐à‐dire lorsque la femme est suivie pour sa grossesse et qu’il est possible de mettre en place des dépistages et des prises en charge rapides.
Prépondérance des troubles psychiatriques et cardiovasculaires
Les deux principales causes de décès sont les suicides et les causes psychiatriques (17 %) et les maladies cardiovasculaires (15 %). Viennent ensuite les causes plus classiques comme les embolies amniotiques (8 %), les thrombo‐embolies veineuses (7 %), les hémorragies obstétricales (7 %, en baisse par rapport aux années précédentes), les AVC (7 %). Les cancers (5 %), les infections à porte d’entrée génitale (5 %), les complications hypertensives gravidiques (5 %) et l’épilepsie (5 %) sont plus minoritaires. « Il faut bien connaître les adaptations du traitement de l’épilepsie aux différentes étapes de la grossesse et du postpartum », a rappelé le Dr Deneux‐Tharaux. D’autres causes directes ou indirectes sont plus rares et pas toujours bien définies.
À noter que les suicides et les décès de causes psychiatriques interviennent à distance de l’accouchement. C’est également le cas des décès cardiovasculaires et par cancer. Les décès dus aux autres causes surviennent majoritairement dans les 6 premières semaines.
On enregistre une baisse statistiquement significative (ce qui est rare étant donné le faible effectif) des causes directes comme les hémorragies obstétricales (les atonies utérines ont quasiment disparu). Parallèlement, on note une augmentation (non statistiquement significative, mais devant susciter la vigilance) des infections à porte d’entrée génitale, des cancers et des suicides. Bien qu’en nette baisse les décès par hémorragie obstétricale sont plus fréquents en France que dans d’autres pays comme les pays du Nord ou le Royaume‐Uni(2).
Des morts possiblement ou probablement évitables
Le caractère évitable ou non des morts maternelles a une part de subjectivité. Le comité d’experts se fonde sur les recommandations en vigueur au moment du décès ou sur l’état des connaissances pour dire s’il y avait dans la prise en charge ou dans l’organisation des soins un élément qui, s’il avait été effectué différemment, aurait pu possiblement ou probablement éviter le décès. « L’idée n’est pas de juger ou de sanctionner les professionnels de santé impliqués, mais de mettre à jour dans une logique d’amélioration et de progression de la qualité ce qui pourrait être fait différemment parce que cela a contribué possiblement ou probablement à l’issue fatale », précise le Dr Deneux‐Tharaux. Entre 2016 et 2018, 59,6 % des décès maternels sont considérés comme possiblement ou probablement évitables ; ce taux varie peu depuis 2007. Les causes directes (hémorragies, éclampsies…) sont plus souvent possiblement ou probablement évitables que les causes indirectes.
Le caractère évitable du décès est très variable en fonction de sa cause : 79 % des suicides et des causes psychiatriques, 67 % des morts cardiovasculaires, 35 % des embolies amniotiques, 47 % des thrombo‐embolies veineuses, 95 % des hémorragies obstétricales, 23 % des AVC, 69 % des infections à porte d’entrée génitale, 67 % des complications hypertensives gravidiques et 64 % des maladies pré‐existantes hors maladie cardiovasculaire. Au total, 59,6 % des décès sont possiblement ou probablement évitables.
Enseignements à tirer de l’étude
Certains des résultats de 2016‐2018 offrent matière à se réjouir. Tel est le cas de la stabilité des morts maternelles malgré un nombre plus important de femmes enceintes à risque (du fait de l’âge notamment) et de la nette amélioration dans les DROM.
Toutefois, les disparités régionales (hausse dans les Hauts‐de‐ France et la région PACA), les inégalités sociales et la stagnation après une baisse des hémorragies sont des points de vigilance. Des priorités apparaissent clairement, comme la santé mentale maternelle et la santé cardiovasculaire qui ne sont pas directement obstétricales et doivent amener les soignants de l’obstétrique à se familiariser avec ces pathologies et à travailler en multidisciplinarité avec les spécialistes de ces domaines.
D’après les communications de la session « Mortalité maternelle en France 2016‐2018 : qui sont ces femmes ? de quoi meurent‐elles ? » de Catherine Deneux‐Tharaux, Monica Saucedo pour le CNEMM, Inserm, équipe EPOPé Paris (recherche épidémiologique en santé obstétricale, périnatale et pédiatrique).
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