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Publié le 16 fév 2010Lecture 9 min

Oméga-3, mercure et poissons : un faux problème ?

J.-M. BOURRE, Membre de l’Académie de Médecine

Éviter un risque théorique crée un danger bien réel. Ce qu’il faut manger, vrais et faux dangers : voilà une véritable question d’actualité, avec toutes ces rumeurs portant sur l’alimentation. La réponse, en contrepoint, se trouve dans la dénonciation formelle d’innombrables dangers authentiques (de manger) générés, notamment, par le principe de précaution.

Pourquoi cette question ? Où se situe le problème ? Tout d’abord constat doit être fait que la terreur alimentaire accapare le devant de la scène ; les cassandres tiennent le haut du pavé. La chape de « l’intellectuellement correct » fonde son insuffisance sur un principe de précaution dévoyé et érigé en principe existentiel de vie. Alors que nous devrions demander à nos aliments de respecter les 3 « S », être sûrs, sains et savoureux, l’obsession du « sûr » conduit à sacrifier le « savoureux », et souvent même le « sain ». Il devient urgent de pacifier les rapports à l’alimentation, pour lui permettre de retrouver toute sa valeur. D’autant que manger constitue incontestablement l’une des activités humaines parmi les plus sûres, les accidents sont très exceptionnels (mille intoxications pour cent milliards de repas pris chaque année), mais il en est fait grand étalage. Pour simplifier, les exemples de terreurs abusives fourmillent, issues des mondes agro-alimentaire et politique, du business de la toxicologie, de l’idéologique.   Que fait le business du toxique ? Il met en exergue le risque et le danger du toxique, occultant le fait que les aliments doivent avant tout nourrir. Doser est devenu intoxiquer. Ainsi, par crainte du mercure, on voudrait limiter (considérablement) la consommation de poisson, tout particulièrement chez les femmes enceintes. Pour éviter un danger, pourtant situé à la frontière du théorique en France métropolitaine, on a généré un autre danger bien réel, celui de la malnutrition ! Faut-il, incidemment, élargir cette précaution aux hommes, chez qui les risques de grossesse sont pour le moins limités, à l’évidence. C’est pourtant ce qu’impose le « nutritionnellement correct », à la suite d’oukases émis par des promoteurs idéologiques. Il y a malheureusement de nombreux autres exemples. Mais, qu’en est-il réellement, en particulier pour les femmes, des oméga-3, du poisson et du mercure ?   La santé de la mère Réduire considérablement la consommation de poisson induit, au seul titre de leurs oméga-3, de réels problèmes de santé pour la mère : prééclampsie multipliée par plus de 3, prématurité multipliée par jusque 20 (naissance 3 semaines avant la date estimée), etc. La grossesse étant prolongée de 6 jours environ, l’enfant bénéficie d’un poids supplémentaire de 140 g, son périmètre crânien est un peu plus élevé. Quant à la dépression post-partum, son incidence est en relation avec la consommation de poisson. Si la relation est faite avec la présence d’oméga-3 dans son lait, la relation s’en trouve linéaire ; ce qui, de plus, est bénéfique pour l’enfant allaité. En d’autres termes, manger du poisson apporte des oméga-3 qui réduisent la dépression post-partum, et permettrait au lait de contenir des teneurs accrues en oméga- 3, pour le bénéfice, entre autres, du cerveau de l’enfant allaité. Or, tout déficit in utero peut entraîner des perturbations plusieurs années encore après la naissance. Ainsi, il peut induire une altération de l’utilisation des graisses au niveau du foie du foetus ; en persistant, il peut contribuer à perturber le métabolisme des lipides ultérieurement chez l’adulte, ancien hypotrophe. Cela représente pour lui un risque accru de maladie cardiovasculaire ou d’obésité, entre autres. Bien évidemment, avec la consommation d’oméga-3, la femme bénéficie, entre autres, d’une prévention de maladies cardiovasculaires et de certains cancers, du côlon et du sein en particulier.   Un tissu adipeux de meilleure qualité Le cerveau de l’enfant est pour partie formé d’oméga-3 mangés de très nombreuses semaines par la future mère, bien avant la conception, puis stockés dans le tissu adipeux (de la mère et de l’enfant). Or, dans ce tissu, seulement la moitié des graisses est renouvelée chaque année (la demi-vie de leurs acides gras est de plusieurs mois, voire plusieurs années ; l’adipocyte est une cellule dont la vie est extrêmement longue). En d’autres termes, pour qu’un oméga-3 soit présent dans le tissu adipeux, plus de 6 mois sont nécessaires pour qu’il y remplace un autre acide gras. En fait, comme pour les folates, il faut penser aux oméga-3 dès le premier désir de grossesse et ne pas hésiter à les prescrire. Il existe évidemment maintes différences entre le prématuré et l’enfant né à terme. L’une d’entre elles réside dans le volume de leurs tissus adipeux. Chez les premiers, très réduit, il n’y a donc pas de réserves énergétiques, ni d’oméga-3 en stock. En revanche, les seconds bénéficient d’un tissu adipeux capable de délivrer quantités d’oméga-3, quand leur alimentation en est déficitaire, à la condition expresse que leur mère en ait mangé. De ce fait, le prématuré est beaucoup plus sensible à la qualité de l’alimentation qu’il reçoit.   Le foetus et le nouveau-né La consommation de poisson, notamment gras, permet à la femme enceinte d’optimiser le cerveau de son enfant, comme l’ont montré de multiples études. Or, au nom du mercure, il s’agirait de les priver de ces avantages ! La précaution prescrirait de limiter la consommation de poisson, car le danger du mercure contrarierait (annihilerait, dépasserait même, pour les plus inquiets !) le bénéfice des oméga-3 (outre celui de l’iode, des vitamines D et B12 et du sélénium). Or, le coefficient de neuro-développement du nourrisson (ce sont 5 points de différence) est en relation avec la teneur en oméga-3 des hématies de sa mère, elle-même linéaire avec le contenu de son lait, et donc avec l’absorption alimentaire. L’effet persiste dans le temps ; il devient mesurable à un âge plus avancé, à l’aide du QI. Ainsi, une équipe américaine, étudiant une population anglaise, a montré que le QI des enfants âgés de 8 ans était proportionnel à la quantité de poisson mangée par leur mère pendant sa grossesse ! Il était déjà reconnu que le QI était influencé par 25 facteurs (dont beaucoup sont culturels, économiques, sociaux ; aucun n’était alimentaire, sauf l’allaitement au sein) ; la consommation de poisson représente dorénavant le 26e. En fait, les chercheurs ont démontré que la probabilité que les enfants présentent un QI trop bas est augmentée en proportion de sa restriction de consommation de poisson. D’ailleurs, outre le QI, des paramètres de sociabilité suivent les mêmes variations. Or, l’effet se manifeste avec plus de netteté encore à des niveaux de consommation qui dépassent les limites demandées (exigées !) par les toxicologues, du fait du risque « mercure ». En d’autres termes, au prétexte de la « précaution », limiter la consommation de poissons préserve d’un risque faible, sinon théorique (celui de la très peu probable intoxication au mercure de la personne qui consommerait de l’espadon ou du thon rouge, plusieurs fois par semaine), pour créer un danger bien réel, celui de donner naissance à un enfant dont l’intelligence ne sera pas optimale ! Le Lancet, a publié un éditorial pour tenter de mettre fin à cette « mercurophobie » poissonnière. Myers et Davidson ont écrit, en février 2007, qu’en dehors du Japon, il n’a jamais été trouvé un seul enfant intoxiqué au mercure du fait de la consommation de poisson ! En fait, pour être exact, une telle contamination a été suspectée en 2006 (mais pendant la période prénatale) aux Iles Feröe, où les femmes ont une alimentation très particulière, incluant force viande et blanc de baleine. Au contraire, chez les Seychellois, bien qu’ils mangent dix fois plus de poisson que nous, rien n’a été trouvé en rapport à la pollution métallique. Chez les enfants eux-mêmes, il est difficile d’incriminer la consommation de poisson dans l’intoxication mercurique, sauf situation alimentaire absolument exceptionnelle : il faut aller en Nouvelle-Zélande, dans quelques communautés restreintes, pour trouver ceux qui mangent force viande de requin, comme cela a été décrit en 1998. Il n’y a pas d’autres études   Qu’en est-il de l’intoxication due aux dérivés organiques du mercure ? En fait, trois formes chimiques (dont les toxicologies sont totalement différentes) sont à prendre en considération : le mercure métallique, le mercure sous forme de sel et le mercure organique. C’est d’ailleurs ce dernier qui concerne les produits de la mer. La première fut observée lors de la catastrophe de Minamata, dans la préfecture de Kumamoto, au Japon. Elle a été à l’origine d’une longue série de travaux, qui ont permis de découvrir l’extraordinaire pouvoir de concentration du mercure dans les chaînes alimentaires, en milieu aquatique, par suite de sa transformation en mercure organique, encore plus accumulable dans les cellules et les organismes, parce que liposoluble. L’intoxication massive par le mercure s’est soldée, en 1956 par 121 cas d’intoxications, à symptomatologie nerveuse, dont 54 décès. La population touchée était une communauté de pêcheurs qui consommaient une forte quantité de chair de poisson contenant du méthylmercure. Il provenait de la méthylation, par des bactéries proliférant dans les eaux stagnantes de la baie de Minamata, du mercure minéral contenu dans les eaux résiduaires d’une usine produisant du chlorure de vinyle (qui sert à fabriquer des matières plastiques) en utilisant le chlorure et le sulfate de mercure comme catalyseur. Une autre intoxication collective se produisit en 1965 sur les bords de la rivière Agano, dans la préfecture Niigata. En 2000, on dénombrait encore 2 000 intoxiqués vivants.  

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