Publié le 27 avr 2010Lecture 4 min
« Je suis clitoridienne ! »
Cette affirmation n’étonne aujourd’hui plus personne alors qu’elle est assez récente au plan de sa formulation*. Si le terme est ancien dans la langue française, il apparaît au XVIIe siècle (1611) dérivé du grec kleitoris, signifiant initialement le verrou, qui donnait accès à cette région si intime ; l’évolution des moeurs et une plus grande liberté du langage ont créé des abréviations comme cli-cli (1953), puis plus familièrement « clito » dès 1972. Si l’adjectif « clitoridien -ienne » est attesté depuis le XIXe siècle (1864) il ne s’est répandu avec son sens actuel de « sensible du clitoris » qu’au XXe à partir de la conception freudienne de deux sexualités qui seraient bien distinctes : la jouissance vaginale et la jouissance clitoridienne.
Vaginales et/ou clitoridiennes Nous sommes devant une magistrale idée reçue : tout le monde sait (ou croit) qu’il existe deux sortes de femmes : les vaginales et les clitoridiennes, croyance confirmée par le vécu fataliste de beaucoup d’entre elles qui tient plus de la résignation que de la compréhension. Il s’agit certainement de l’idée fausse qui a fait le plus de mal aux femmes et à leur couple depuis les dernières décennies. « En réalité, il n’existe pas deux catégories de femmes, il n’y a pas de vaginales ni de clitoridiennes, mais seulement des femmes qui vivent, comme elles le peuvent, une sexualité qui ne leur a pas été expliquée, et à qui l’on a dit qu’une femme ne pouvait être que vaginale ou clitoridienne. Alors, elle s’observe, se pense d’une catégorie et s’y conforme.** » Cette idée était celle d’une époque où Freud pensait la sexualité organisée autour du modèle masculin et d’un pénis tout puissant (ce que les femmes n’auraient pas car elles en auraient été castrées !) et reléguait le clitoris au rang d’organe inférieur et infantile dont la pratique, à l’âge adulte, traduirait une immaturité psychique. Les « vraies » femmes, femmes matures, jouiraient alors sous le pénis de l’homme, tandis que les « immatures » poursuivraient une pratique clitoridienne relevant de l’infantile. Nous sommes, là encore, dans une vision très traditionnelle de l’acte sexuel fécondant, seule normalité du couple légitime, dans une époque, au début du XXe siècle, où nous aurions été très nombreux à suivre avec enthousiasme la pensée très novatrice de Freud. La difficulté ne vient pas de ce maître qui était capable de revenir sur ses conceptions lorsqu’elles lui paraissaient fausses ou dépassées, mais de ses continuateurs qui ne peuvent penser en dehors de ce qu’a dit le « père », comme si la vérité toute entière avait été découverte un jour par un seul homme. En matière de sexualité certainement pas ! Depuis Freud, de très nombreuses voix se sont élevées au sein même de la psychanalyse pour s’opposer à cette hypothèse (Karen Horney) et, par ailleurs, des travaux ont été faits sur la sexualité ; notamment, le travail anatomique de Masters et Johnson qui a très clairement montré qu’il n’existe qu’un seul type d’orgasme, toujours centré sur le foyer clitoridien, l’orgasme vaginal n’étant qu’une amplification profonde du plaisir clitoridien. La grande difficulté aujourd’hui est d’échapper à la catégorisation qui fait à une fille jeune se penser « clitoridienne » lorsqu’elle découvre sa propre jouissance par le clitoris, et accepter une sorte de déterminisme qui va progressivement la focaliser de façon obsessionnelle sur sa jouissance clitoridienne. Si elle comprend rapidement qu’il s’agit d’une représentation mentale, la jouissance vaginale lui sera facilement accessible. Lorsqu’elle est recherchée après des années de pratique obsessionnelle fixée sur le clitoris, la jouissance vaginale est beaucoup plus difficile à obtenir. Nous avons ici, nous médecins, un rôle essentiel dans la levée de cette idée fausse : répéter inlassablement qu’il n’existe pas de vaginales et de clitoridiennes et l’expliquer aux filles jeunes lorsqu’elles commencent leur sexualité, afin qu’elles ne se confinent pas dans un comportement limitant de leur sexualité future.
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