Publié le 03 juil 2007Lecture 12 min
Foie et grossesse : quand faire un bilan hépatique ?
A.Guillygomarc'h CHU Pontchaillou, Rennes
En cas de point d’appel clinique évocateur d’hépatopathie durant la grossesse, le seul bilan à réaliser est un dosage sérique des transaminases (ALAT). Des anomalies des tests hépatiques surviennent dans 3 % des grossesses. Il est important de diagnostiquer précocement les hépatopathies gravidiques, il en va du pronostic maternel et fœtal. Le cours des hépatopathies virales n’est pas modifié par la grossesse, mais nécessite une prise en charge spécialisée en post-partum. La prise en charge des femmes enceintes souffrant de perturbations du bilan hépatique, quelle qu’en soit la cause, nécessite une collaboration régulière entre les équipes obstétricale et hépatologique.
Modifications physiologiques durant la grossesse Au cours de la grossesse normale, aucun bilan hépatique n’est systématique. Seul le dosage sérique de l’AgHBs au 6e mois de grossesse est obligatoire même chez les femmes vaccinées contre l’hépatite B. Un dépistage de l’hépatite chronique virale C est recommandé en cas de facteurs de risque (transfusions sanguines, toxicomanie). La grossesse entraîne la mise en jeu de nombreux phénomènes d’adaptation afin de permettre le développement et la croissance du fœtus. Certains tests sériques sont modifiés au cours de la grossesse (encadré ci-dessous) : les phosphatases alcalines sont augmentées au 3e trimestre du fait de la sécrétion d’une iso-enzyme placentaire, l’albuminémie est diminuée par l’hémodilution. On peut observer des angiomes stellaires et un érythème palmaire (hyperestrogénie) dès le 2e mois de grossesse. Sur le plan morphologique, le volume vésiculaire augmente dès le 1er trimestre, sans modification des voies biliaires. Interprétation des tests hépatiques au cours de la grossesse Tests non modifiés par la grossesse – Transaminases (ALAT, ASAT) – Taux de prothrombine – Concentration des acides biliaires totaux (à jeun) Tests modifiés par la grossesse – Phosphatases alcalines : aug- mentation au 3e trimestre – 5'nucléotidase : augmenta- tion modérée – Bilirubinémie : diminution dès le 1er trimestre – GGT : diminution en fin de grossesse – Albuminémie : diminution dès le 1er trimestre Quand réaliser un bilan hépatique ? • Lors de l’apparition de signes cliniques orientant vers une maladie hépatique (encadré ci-après). • S’il existe une hépatopathie diffuse ou focale avant la grossesse. Principaux signes évocateurs d’une hépatopathie Signes hépatiques – Prurit (surtout s'il prédomine aux extrémités) – Ictère – Nausées ou vomissements (au 3e trimestre) – Douleurs épigastriques ou de l'hypocondre droit Signes extrahépatiques – HTA (surtout si protéinurie) – Polyuropolydipsie sans dia- bète sucré – Thrombopénie Cirrhose La grossesse est rare en cas de cirrhose en raison de troubles hormonaux secondaires à l’insuffisance hépatocellulaire, responsables d’une hypofertilité. Quand elle survient, il s’agit d’une grossesse à risque avec 15 à 20 % d’avortements spontanés, de prématurité et de mort-nés. La grossesse aggrave une hypertension portale préexistante avec un risque de rupture de varices œsophagiennes de 20 à 45 %, et un risque de mortalité de 20 %. En règle générale, les tests hépatiques s’améliorent durant les 2e et 3e trimestres. Hépatite auto-immune La grossesse confère une immunotolérance et les tests hépatiques se normalisent chez 72 % des femmes. Les poussées de la maladie surviennent dans 22 % des cas avant 12 SA et dans 52 % des cas en post-partum. Le risque de fausse-couche spontanée a été évalué à 19 % avant la 20e SA. Le risque de mort périnatale peut atteindre 4 %, celui de prématurité 17 %. Il n’est pas décrit de sur-risque de malformations fœtales. Il est conseillé de ne pas arrêter un traitement par azathioprine débuté avant la grossesse, l’allaitement sous ce traitement reste discuté. En pratique, une surveillance mensuelle des transaminases est recommandée pendant la grossesse et surtout après l’accouchement. Hépatite chronique virale B Si la mère est porteuse de l’AgHBs, il faut réaliser un dosage de l’ADN VHB par PCR. Le risque de contamination fœtale atteint 90 % si l’ADN est positif et descend à 10 % en cas d’ADN négatif. La transmission, surtout périnatale, est d’autant plus importante que la charge virale B est élevée. Certaines équipes conseillent d’entreprendre un traitement antiviral par lamivudine en fin de grossesse chez les patientes ayant une forte charge virale. L’hépatite chronique virale n’est responsable ni d’embryopathie ni de fœtopathie. Le risque de passage à la chronicité chez un enfant infecté s’élève à 80 %, il est donc impératif de réaliser une sérovaccination des enfants à la naissance. L’allaitement est recommandé. Hépatite chronique virale C Chez les femmes enceintes ayant des facteurs de risques, il est recommandé de réaliser un dépistage de l’hépatite virale C par un dosage sérique des Ac anti-VHC, qui, s’ils sont positifs, font réaliser un dosage de l’ARN du VHC par PCR qui affirme la réplication virale. Le risque de transmission périnatale varie de 0 à 5 % (< 10 % en cas de co-infection HIV-VHC). Le virus C n’est responsable ni d’embryopathie ni de fœtopathie. L’allaitement n’est pas contre-indiqué. Un dépistage viral est conseillé chez l’enfant après son 15e mois. Hépatopathies dysmétaboliques La maladie de Wilson, responsable d’une surcharge hépatique en cuivre, est classiquement traitée par la D-pénicillamine. En cas de grossesse, il est conseillé de remplacer ce traitement par de la trientine, voire par des sels de zinc. L’hémochromatose génétique, responsable d’une surcharge en fer, est traitée par des phlébotomies. En cas de grossesse, les phlébotomies sont arrêtées et la supplémentation martiale contre-indiquée. Hépatopathies focales Angiome Tumeur hépatique bénigne la plus fréquente, l’angiome, en règle générale, ne subit pas de modification au cours de la grossesse, mais quelques cas d'augmentation de taille de volumineux angiomes ont été décrits. L’hyperplasie nodulaire focale ne se modifie pas pendant la grossesse. Adénome L’adénome est une tumeur bénigne hormonodépendante, la grossesse pourrait favoriser le risque d'hémorragie intratumorale, la rupture restant peu fréquente. Un adénome de petite taille ne contre-indique pas une grossesse. Si un adénome est découvert au cours de la grossesse, une surveillance échographique doit être réalisée. Quel bilan hépatique réaliser ? Le seul bilan initial à réaliser est le dosage sérique des transaminases (ALAT). • Si les transaminases sont normales, il est conseillé de les redoser à 15 jours. En cas de normalité, on peut conclure à l’absence de pathologie hépatique. • L’élévation des transaminases témoigne soit d’une pathologie intercurrente non liée à la grossesse, soit d’une hépatopathie gravidique. Les pathologies intercurrentes non liées à la grossesse Infection urinaire Elle peut entraîner une cholestase transitoire ou aggraver une cholestase intrahépatique gravidique. La réalisation d’un examen cytobactériologique des urines est systématique chez une femme enceinte ayant des anomalies des tests hépatiques. Lithiase biliaire L’indice lithogénique de la bile augmente durant les 2 derniers trimestres, ce qui favorise la formation de calculs. 3,5 à 10 % des femmes enceintes sont porteuses de lithiases asymptomatiques qui disparaissent en post-partum. Elles sont très rarement symptomatiques (0,05 à 0,3 %). Le recours à une cholécystectomie est estimé à 1/1 600 à 1/10 000 grossesses, possible par voie cœlioscopique avant la 28e ou la 30e SA. En l’absence de sanction thérapeutique systématique, il s’avère inutile de vérifier la vésicule au cours des échographies de surveillance fœtale. Hépatites virales aiguës Le cours d'une hépatite virale aiguë A, B ou C n’est pas modifié par la grossesse et le diagnostic repose sur les mêmes arguments cliniques, épidémiologiques et sérologiques qu'en dehors de la grossesse. Le pronostic maternel et fœtal n’est pas modifié en cas d'hépatite A, B, ou C. En revanche, en cas d'hépatite E, le risque d'hépatite fulminante est beaucoup plus élevé durant le 3e trimestre (jusqu’à 40 %). En cas d’hépatite aiguë B, le risque de contamination fœtale périnatale dépend de la date à laquelle la femme enceinte a contracté le virus (tableau). Le VHB n’est responsable ni d’embryopathie ni de fœtopathie. Le risque de passage à la chronicité du nouveau-né contaminé s’élève à 80 %. Il est donc primordial de sérovacciner à la naissance les enfants nés de mère porteuse de l’AgHBs. Si une femme enceinte AgHBs négative a eu des risques de contamination par le VHB, la vaccination est possible dans les 72 heures. Hépatite médicamenteuse Elle demeure peu fréquente au cours de la grossesse, mais il faut y penser et réaliser une enquête médicamenteuse soigneuse. Certains médicaments utilisés durant la grossesse sont potentiellement hépatotoxiques comme la méthyldopa (HTA) ou les phénothiazines (vomissements). Les hépatopathies liées à la grossesse Hyperemesis gravidarum Sa prévalence est de 0,3 à 1 % des grossesses au 1er trimestre. Son diagnostic repose sur l’apparition de vomissements incoercibles responsables d’un amaigrissement, de troubles hydroélectrolytiques. Biologiquement, il existe une hypertransaminasémie importante, une hyperbilirubinémie. Son pronostic est toujours favorable. Sa prise en charge consiste en un isolement de la femme enceinte, une correction des troubles ioniques, parfois un recours à la méthylprednisolone. Cholestase intrahépatique gravidique Sa prévalence est de 2 à 7/1 000, aux 2e et 3e trimestres. Son diagnostic repose sur l’apparition d’un prurit et d’un ictère (10 %). Biologiquement, il existe une cytolyse à 10 fois la normale, un TP conservé ou bas (en rapport avec une hypovitaminose K), la bilirubinémie et les GGT sont normales ou élevées, les acides biliaires totaux sont élevés. Avant de porter le diagnostic de CIG, il convient d’éliminer une infection urinaire par la réalisation d’une bandelette urinaire complétée par un examen cytobactériologique des urines, une hépatite virale aiguë par la réalisation de sérologies (Ac anti-VHA IgM, AgHBs, anti-HBc IgM, Ac anti-VHC, IgG et IgM CMV). Son pronostic est favorable pour la mère, mais les récidives sont fréquentes (deux tiers), beaucoup plus défavorable pour l’enfant avec un risque de mort in utero de 1 à 3 % et de prématurité de 20 à 40 %. Il est conseillé de réaliser, lors des grossesses ultérieures, un bilan hépatique mensuel à partir du 2e trimestre. Sa prise en charge repose, dès l’apparition de signes cliniques évocateurs, sur une surveillance hebdomadaire du TP et du bilan hépatique. Il est recommandé de déclencher l’accouchement à 38 SA s’il n’existe pas d’ictère, dès 36 SA si la bilirubinémie dépasse 30 µmol/l. La principale avancée thérapeutique repose sur la prescription d’acide ursodésoxycholique lorsque la cholestase débute précocement ou qu’il existe un antécédent de mort in utero. La posologie actuellement recommandée est de 1 g/j réparti en 2 prises, le délai d’action est de 1 à 2 semaines, sa prescription est donc inutile en fin de grossesse. Intérêt du dosage sérique des acides biliaires totaux – Dosage effectué à jeun – Ce n’est pas un test de rou- tine, effectué dans quelques laboratoires – Non remboursable – Relation entre concentration des acides biliaires et souf- france fœtale : utilité du dosage non démontrée En pratique – Prurit sans hypertransamina- émie – Avant 34 SA pour débuter un traitement par AUDC – En fin de grossesse pour hos- pitaliser la patiente Stéatose aiguë gravidique Sa prévalence est de 1/10 000 grossesses, au 3e trimestre. Le diagnostic est porté sur l’apparition de nausées, de vomissements, de douleurs abdominales, d’une polyuropolydipsie sans diabète. Sur le plan biologique, il est mis en évidence une hypertransaminasémie modérée, une hyperbilirubinémie, une baisse du TP (en rapport avec une insuffisance hépatocellulaire), une thrombopénie. L’échographie montre un foie hyperéchogène. Le pronostic maternel était effroyable avant les années 70 avec 90 % de mortalité. Actuellement, il est amélioré en l’absence de retard diagnostique par l’évacuation utérine précoce qui améliore aussi le pronostic fœtal. Compte-tenu du risque de récidive, il est préconisé une surveillance systématique des tests hépatiques et de la numération plaquettaire au cours du 3e trimestre des grossesses ultérieures. Foie prééclamptique Plus fréquent chez les nullipares, la prévalence du foie prééclamptique est de 1 à 10 % des grossesses au 3e trimestre. Les lésions hépatiques sont secondaires à des dépôts intravasculaires de fibrine, responsables de foyers de nécrose, voire d’hématome intrahépatique. La principale complication hépatique réside dans un risque de rupture de cet hématome qui se rencontre en cas de retard diagnostique. Le diagnostic est porté devant l’apparition d’une hypertension artérielle et de douleurs abdominales. Biologiquement, il existe une protéinurie, une thrombopénie, une cytolyse ; la bilirubinémie est normale. Le syndrome hemolysis-elevated liver enzym-low platelet count (HELLP) est un élément de mauvais pronostic. Le traitement repose sur l’évacuation utérine en urgence. Points à retenir Des perturbations du bilan hépatique surviennent dans 3 % des grossesses. Certains tests hépatiques sont modifiés de façon physiologique pendant la grossesse. Le premier test sérique hépatique à réaliser est un dosage sérique des transaminases en particulier des ALAT. Toute élévation des transaminases doit être considérée comme pathologique. Ce dosage est effectué dans 2 circonstances : – soit en cas de point d’appel clinique évocateur d’hépatopathie survenant au cours de la grossesse, – soit en cas d’hépatopathie préexistante connue avant la grossesse. Le diagnostic des hépatopathies gravidiques doit être posé le plus tôt possible car il en va du pronostic maternel et fœtal. La découverte d’une hépatopathie non liée à la grossesse est importante compte tenu du risque de contamination fœtale (en cas d’hépatite B) et de la prise en charge maternelle ultérieure. La survenue d’une hépatopathie durant la grossesse nécessite dans tous les cas une prise en charge obstétricale et hépatologique concertée.
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