Publié le 28 fév 2025Lecture 4 min
La grande morbidité urinaire de la kétamine
Hélène JOUBERT, d’après la communication du Dr François Meyer (hôpital Saint‐Louis, Paris)

La kétamine, consommée de manière croissante chez les jeunes, est une grande pourvoyeuse de troubles urinaires majeurs. Les recommandations de l’Association française d’urologie concernant la prise en charge des cystites à la kétamine ont été publiées en octobre 2024 (CUROPF/CTMH).
La kétamine, découverte dans les années 1960, a été détournée à des fins récréatives dans les années 1970. Selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives, 2,6 % des adultes ont déjà consommé ce stupéfiant, surpassant désormais l’héroïne. Elle expose à des atteintes physiques irréversibles, notamment urinaires, digestives, des perforations du septum nasal et des troubles neurocognitifs.
La physiopathologie de la kétamine au niveau urinaire est complexe. L’excrétion urinaire de son métabolite actif entraîne des atteintes sur l’ensemble de l’urothélium, pas seulement sur la vessie. « Bien que la cystite à la kétamine soit souvent évoquée, il ne faut pas négliger les atteintes du haut appareil urinaire, qui concernent 30 % des cas », faisait remarquer le Dr François Meyer (hôpital Saint‐Louis, AP‐HP) lors d’une présentation au CFU 2024. « La présentation clinique typique concerne des hommes jeunes, autour de 25 ans, consommateurs depuis au moins un an avant l’apparition des troubles mictionnels. »
L’uropathie induite par la kétamine
Les patients ayant des troubles urinaires liés à la kétamine présentent principalement des troubles du bas appareil urinaire, dont une pollakiurie (77 %) – parfois jusqu’à 50 mictions par jour – et une urgenturie (70 %) intenses, ainsi que des douleurs sus‐pubiennes (60 %) très importantes. La nycturie touche 58 % des patients et la dysurie 50 % d’entre eux. Une hématurie macroscopique est observée chez 46 % des individus et une incontinence chez 43 %. Mais le haut appareil urinaire peut être touché, avec une urétéro‐hydronéphrose (30 %) qui peut être liée à un reflux vésico‐urétéral (22 %) ou à une sténose urétérale (19 %). Dans près de 10 % des cas apparaît une insuffisance rénale. Les examens complémentaires comprennent un ECBU, une créatinémie, une échographie pour détecter un résidu postmictionnel, un caillot vésical ou une dilatation du haut appareil urinaire, un uroscanner et une urétrocystographie rétrograde et mictionnelle qui permet d’objectiver le reflux. En raison des douleurs intenses, celle‐ci est généralement effectuée sous anesthésie générale. Elle permet en même temps de réaliser une hydrodistension, des biopsies qui retrouvent fréquemment des zones inflammatoires, une néovascularisation, des ulcères, des zones nécrotiques et parfois une béance urétérale pouvant expliquer le reflux. De plus, un bilan urodynamique peut être effectué, si les douleurs le permettent. Il révèle souvent des petites vessies hypo‐contractiles, peu compliantes, hypersensibles et hyperactives. Les biopsies montrent des caractéristiques communes avec le syndrome douloureux vésical, telles que l’inflammation épithéliale, l’infiltration mastocytaire et le dénudement de l’urothélium. Elles présentent des caractéristiques propres, notamment une néovas‐ cularisation, une infiltration transmurale et éosinophilique.
Le sevrage est essentiel, souvent difficile à suivre, d’où une orientation vers des spécialistes en addictologie, algologie et psychiatrie. Les troubles urinaires peuvent être réversibles dans 50 à 85 % des cas, selon les études. Une rechute après un sevrage entraînera un retour rapide des symptômes. Le suivi doit être à long terme, vis‐à‐vis de la fonction rénale, hépatique, avec des tests urinaires pour s’assurer du sevrage. « Sur le plan médicamenteux, les antalgiques de palier 2 et les AINS sont efficaces, tout comme la prégabaline voire les opioïdes, bien que le risque de dépendance soit un facteur à considérer », commente François Meyer. « Elmiron (pentosane polysulfate sodique), indiqué dans la cystite interstitielle, semblerait avoir une certaine efficacité dans la cystite à la kétamine, selon les quelques études disponibles. L’hydrodistension et les injections détrusoriennes de toxine botulique soulagent les symptômes, tout comme les instillations endovésicales de glycosaminoglycanes. La chirurgie doit être envisagée après une concertation pluridisciplinaire et en s’assurant que les patients sont bien sevrés. La cystectomie, l’entérocystoplastie d’agrandissement ou la reconstruction du haut appareil urinaire posent des questions, notamment en raison des risques liés à l’utilisation d’un intestin endommagé par la kétamine et l’apparition d’une sténose urétérale. Si les patients continuent de consommer de la kétamine, ces interventions risquent de ne pas être efficaces et peuvent aggraver les atteintes du haut appareil urinaire. »
D’après la communication du Dr François Meyer (hôpital Saint‐Louis, Paris), « Drogues et troubles mictionnels », 118e Congrès français d’urologie, 21 novembre 2024, Paris.
Pour en savoir plus
• Bourillon A, Cornu JN, Herve F et al. Management of ketamine cystitis : National guidelines from the French Association of Urology (CUROPF/CTMH). Fr J Urol 2024, 34(14) : 102754.
• Skeldon SC, Goldenberg SL. Urological complications of illicit drug use. Nat Rev Urol 2014 ; 11(3) : 169‐77.
• Wani M, Hamdoon M, Dewar G et al. Urological implications associated with the use of recreational drugs : A narrative review. Turk J Urol 2022 ; 48(4) : 254‐61.
• Chan EOT, Chan VWS, Tang TST et al. Systematic review and meta‐analysis of ketamine‐associated uropathy. Hong Kong Med J 2022 ; 28(6) : 466‐74.
• Anderson DJ, Cao DY, Zhou J et al. Opioids in urology : how well are we preventing opioid dependence and how can we do better ? Health Psychol Res 2022 ; 10(3) : 38243.
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