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Ménopause

Publié le 11 avr 2024Lecture 8 min

Traitement hormonal de la ménopause et risques vasculaires

Sandrine PÉROL, service de gynécologie médicale et endocrinienne, hôpital Port-Royal, Paris

Le traitement hormonal de la ménopause (THM), constitue la principale solution thérapeutique dans la gestion du syndrome climatérique. Il occupe également une place majeure dans la prise en charge et la prévention de l’ostéoporose chez la femme.

Plusieurs modalités thérapeutiques existent sur le marché. En France, le schéma habituel de prescription est constitué d’estradiol, disponible par voie orale ou transdermique (patch ou gel), et d’une molécule de progestérone ou de dydrogestérone. Toute prescription de ces molécules devra faire l’objet d’une évaluation de la balance bénéfices-risques. En effet, les antécédents ou facteurs de risques artériels et/ou veineux des patientes influencent les possibilités de prescription, les posologies ou les voies d’administration de ces traitements. Pour comprendre ces enjeux, penchons-nous sur deux cas cliniques.   Cas clinique n°1 Le risque veineux   Mme R., 52 ans, se présente en consultation dans le cadre de bouffées de chaleur pluri quotidiennes invalidantes associées à des arthralgies, des troubles de l’humeur et des sécheresses vaginales. Elle est ménopausée depuis un an. Dans ses antécédents personnels on note la présence d’une mutation hétérozygote du facteur V Leiden, découverte lors d’une enquête familiale à la suite d’une embolie pulmonaire de sa sœur à l’âge de 40 ans après un long voyage.   QUESTIONS • La mise en place d’un traitement hormonal vous semble-t-elle envisageable ? • Quelles seraient alors les précautions à prendre chez cette patiente ?   Afin de prendre en charge Mme R. il est important de rappeler les données actuelles de la littérature concernant les schémas d’administration du THM et le risque veineux. L’estradiol est disponible sous différentes galéniques. Les voies d’administration orale et transdermique sont d’efficacité comparable dans la prise en charge des boufféesde chaleur et dans l’effet bénéfique osseux notamment. Néanmoins, la métaanalyse menée par P.-Y. Scarabin a montré une augmentation du risque de thrombose veineuse lors de l’utilisation d’estradiol par voie orale en comparaison avec les non-utilisatrices(RR = 1,48 ; IC 95% : 1,39 -1,48 pour les utilisatrices d’estradiol seul). Ce risque n’est pas retrouvé avec l’utilisation d’estradiol par voie transdermique(1). Ces résultats sont biologiquement plausibles. Les estrogènes par voie orale modifient défavorablement les paramètres biologiques de l’hémostase en faveur d’un état procoagulant. Ces marqueurs biologiques ne semblent pas modifiés par l’utilisation d’estrogènes par voie transdermique(2). Concernant le type de progestatif, l’étude de Scarabin a mis en évidence un impact du type de progestatif sur le risque thromboembolique(1 . En effet, une augmentation du risque d’événements veineux a été retrouvé lors de l’utilisation de THM combinant un progestatif norpregnane avec de l’estradiol transdermique en comparaison avec les non-utilisatrices. Cette association n’avait pas été retrouvée avec la progestérone naturelle(ou un dérivé de la progestérone) qui apparaît donc comme un schéma thérapeutique neutre sur le plan du risque thromboembolique veineux. Quelques données spécifiques aux femmes les plus à risque sur le plan veineux (thrombophilies biologiques ou antécédent thrombotique personnel) sont également disponibles. En effet, les données issues de l’étude cas-témoin française ESTHER (Estrogène Hémostase Risque) concernant les femmes porteuses de mutations du facteur V Leiden ou du facteurII ne mettent pas en évidence d’augmentation du risque de thrombose chez les utilisatrices de THM avec l’estradiol transdermique en comparaison avec les femmes non utilisatrices (OR ajusté = 1,1 ; IC 95% : 0,4-2,8), alors que ce risque est nettement majoré avec les estrogènes oraux (ORa = 6,2 ; IC 95% : 1,5-25,3)(3). Il est cependant important de souligner qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de données chez les femmes porteuses de thrombophilies constitutionnelles plus sévères telles que les déficits en antithrombine ou en protéines C ou S. L’utilisation des traitements hormonaux chez ces femmes doit donc rester prudente. Concernant le risque de récidive après un premier événement de thrombose veineuse lié à l’utilisation d’un THM, des données globalement similaires ont été publiées dans la métaanalyse de V. Olié en 2010(4). Ainsi, dans cette population à haut risque, la voie orale est associée à une augmentation significative du risque de récidive, ce qui ne semble pas être retrouvé dans le cas des estrogènes administrés par voie transdermique ; peu de données sont cependant disponibles. Dans le cadre spécifique des traitements estrogéniques locaux pour la prise en charge du syndrome génito-urinaire de la ménopause, le passage systémique restant faible, il ne semble pas y avoir d’augmentation du risque de premier événement ou de récidive thrombotique veineux(5).   • Que faire pour Mme R. ? La prescription d’un traitement de la ménopause pourra être proposé. L’association de l’estradiol parpatch ou gel et de la progestérone sera alors recommandée, en complément d’une estrogénothérapie locale dans le cadre de la prise en charge des sécheresses vaginales. Cette prescription devra être précédée de l’évaluation mammaire et vasculaire complète (risque artériel) et d’une information claire de la patiente sur les connaissances actuelles.   Cas clinique n°2 Le risque artériel   Mme C., 50 ans, ménopausée depuis 15 mois, vient consulter pour un syndrome climatérique invalidant. Elle a comme antécédent une hypertension artérielle bien contrôlée par un traitement et un tabagisme actif. Elle a eu deux grossesses, marquées par une prééclampsie. Ces grossesses ont été obtenues par FIV pour endométriose. Dans ses antécédents familiaux, on note un accident vasculaire cérébral chez sa mère à 63 ans.   QUESTIONS • La mise en place d’un traitement hormonal vous semble-t-elle envisageable ? • Quelles seraient alors les précautions à prendre chez cette patiente ?   Le risque cardiovasculaire du THM a fait l’objet de vives polémiques au cours des dernières décennies. En effet, après plusieurs années de prescriptions étendues, les essais cliniques américains de la HERS (Heart and Estrogen/progestin Replacement Study) en 1998 et de la WHI (Women Health Initiative) en 2002 ont mis un frein à leur apogée. En effet, ces études ont mis en évidence une augmentation du risque d’événements artériels chez les femmes utilisatrices de THM. Par la suite, ces résultats ont été critiqués du fait des caractéristiques desfemmesincluses, des indications de prescriptions ou des moléculesthérapeutiques utilisées notamment. Plusieurs études ont ensuite été publiées et ont permis d’affiner ces données. Ainsi, le risque vasculaire artériel du traitement hormonal de la ménopause paraît influencé par le type de molécules utilisées, le délai entre le début de la ménopause et l’introduction du THM et les comorbidités vasculaires sous-jacentes. La voie d’administration de l’estradiol semble, en effet, impacter le risque d’accident vasculaire cérébral. Les résultats de l’étude française des données de santé de la SNIIRAM (Système national d’information inter-régimes de l’Assurance-maladie) entre 2009 et 2011 concernant les femmes entre 51 et 62 ans ne mettent pas en évidence d’augmentation du risque d’accident vasculaire cérébral avec l’estrogénothérapie par voie transdermique alors qu’une augmentation significative du risque est décrit pour les estrogènes administrés par voie orale en comparaison avec les non-utilisatrices (OR = 1,58 ; IC 95% : 1,01-2,49) (6) . Un effet-dose est également décrit pour la voie orale : plus la dose d’estradiol est élevée, plus le risque d’AVC ischémique semble augmenter. En 2010, les données d’une étude anglaise avaient également mis en évidence une augmentation du risque d’AVC avec l’utilisation d’estradiol par voie orale (toutes posologies) mais semblaient également mettre en évidence une augmentation du risque avec de fortes doses d’estradiol par voie transdermique (> 50 µg/jour)(7). Dans l’étude française précédemment décrite, les auteurs mettent aussi en évidence un lien entre la molécule progestative et le risque d’AVC mais non retrouvé avec l’utilisation de progestérone naturelle. Peu d’études concernant le risque d’infarctus du myocarde (IDM) selon les modalités de prescriptions françaises sont disponibles. La notion de « fenêtre d’intervention » a également été décrite. Ainsi, selon les données publiées par la Cochrane en 2015, l’initiation d’un traitement hormonal de la ménopause combiné (toutes molécules confondues) au-delà des 10 ans après la date de début de la ménopause est associée à une augmentation du risque de mortalité et d’IDM(8). Ce risque n’est pas retrouvé pour une initiation de traitement avant ce délai. Au contraire, dans cette situation le THM semble bénéfique sur le risque cardiovasculaire, dans cette métaanalyse. L’une des hypothèses physiopathologiques liées à l’importance de cette « fenêtre d’intervention » serait l’impact négatif potentiel des estrogènes sur le risque de rupture des plaques athéromateuses constituées antérieurement. Cela expliquerait également en partie les risques augmentés décrits dans la littérature chez les femmes dans le cadre des essais en « prévention secondaire » du risque cardiovasculaire. Les données concernant le risque artériel lié à l’utilisation des traitements hormonaux de la ménopause sont donc relativement hétérogènes. Le dépistage de touslesfacteurs de risques artériels doit être systématique avant la prescription d’un THM. Néanmoins l’utilisation de petites doses d’estradiol par voie transdermique associées à la progestérone semble être un schéma envisageable chez les femmes à faible risque vasculaire et dans un délai proche de la ménopause. La Société française d’hypertension artérielle a récemment publié un consensus d’expert dans le cadre de ces prescriptions afin d’établir une conduite à tenir en fonction de l’évaluation du risque cardiovasculaire global de la patiente(9). La réalisation d’un bilan cardiovasculaire personnalisé sera proposée dans les situations de risque vasculaire intermédiaire et l’indication du THM discutée collégialement au cas par cas. Le cas clinique spécifique de Mme C. nous permet de discuter de situations à risque vasculaire émergentes spécifiques de la femme. Ainsi, une métaanalyse publiée en 2013 montre que l’antécédent de prééclampsie est un facteur de risque de maladies cardiovasculaires (OR = 2,28 ; IC 95% : 1,87-2,77) et de maladie cérébrovasculaire (OR = 1,77 ; IC 95% : 1,43-2,21)(10). Ce risque paraît plus important en cas d’épisode récidivant de prééclampsie(11). Enfin, une métaanalyse publiée en 2023, reprenant les données de 5 études de cohortes internationales, a mis en évidence chez les patientes ayant un antécédent d’endométriose une augmentation du risque d’infarctus du myocarde (HR = 1,50 ; IC 95% : 1,37-1,65) et d’accidents vasculaires cérébraux (HR = 1,17 ; IC 95% : 1,07-1,29).   • Que faire pour Mme C. ? Du fait des antécédents personnels (HTA, tabagisme actif, prééclampsie et endométriose) et familiaux (événement artériel chez la mère) de la patiente, il convient de lui proposer un bilan cardiovasculaire personnalisé. La prescription d’un THM, constitué de petites doses d’estradiol par voie transdermique et de progestérone naturelle, pourra ensuite être discutée avec le cardiologue, le délai depuis le début de la ménopause étant respecté.   En conclusion   L’introduction et le renouvellement d’un THM doivent systématiquement faire l’objet d’une évaluation de la balance bénéfice/risque du traitement avec notamment la recherche des risques vasculaires artériels et veineux. Le schéma contenant de petites doses d’estradiol par voie transdermique associées à de la progestérone naturelle (ou dydrogestérone) devra être favorisé afin de limiter les effets indésirables vasculaires. Dans les situations médicales complexes, une discussion collégiale multidisciplinaire devra être réalisée.

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