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Obstétrique

Publié le 25 oct 2023Lecture 10 min

Faut-il corriger le microbiote des enfants nés par césarienne  ?

Daniel ROTTEN, Paris

Contrairement à ce que pourrait laisser entendre une lecture rapide, « l’ensemencement vaginal » ne consiste pas à inoculer un cocktail de germes dans le vagin. Ce terme désigne le badigeonnage de nouveau-nés nés par césarienne avec les sécrétions vaginales de leur mère – donc les germes qui y sont présents. Cette pratique a été proposée à la suite d’une construction intellectuelle en cascade.

Le taux de césariennes a fortement augmenté dans le monde, en particulier dans le monde industrialisé. La prévalence des maladies non transmissibles, elle, continue à augmenter. Diverses études épidémiologiques ont décrit chez les enfants nés par césarienne un risque accru d’une myriade de maladies non transmissibles, impliquant le système immunitaire (asthme infantile, allergies, maladies auto-immunes, maladies inflammatoires de l’intestin), déficits cognitifs à l’âge scolaire et troubles de la régulation métabolique (obésité, diabète).   Importance du microbiote des nouveau-nés pour le développement   Il est expérimentalement établi que la création de déséquilibres du microbiote chez les nouveau-nés impacte de manière durable leurs fonctions de régulation métabolique, la maturation de leur système immunitaire et des processus inflammatoires au cours de leur développement. Au-delà du déséquilibre de la composition du microbiote, la perturbation de la séquence d’apparition des germes qui colonisent l’intestin est également délétère, car il existe des fenêtres temporelles critiques. Normalement, chez les nouveau-nés puis les nourrissons, il existe une évolution dans le temps de la quantité totale et de la quantité relative des différentes espèces bactériennes présentes. La maturation du microbiote suit une évolution en deux phases. Après un premier temps de diversité microbienne faible, celle-ci augmente progressivement plus tard dans l’enfance.   Césariennes et microbiote   Il a été démontré que le microbiote des nourrissons nés par césarienne est différent de celui des enfants nés par voie basse. Les communautés bactériennes retrouvées dans les selles des enfants nés par voie vaginale tendent à ressembler au microbiote vaginal de leur mère, avec une abondance de germes habituellement présents dans le vagin, en particulier de Lactobacillus. Les selles des enfants nés par césarienne ont un microbiote où dominent des germes habituellement commensaux de la peau, comme des Staphylococcus et des Corynebacterium, et d’autres germes présents dans l’environnement, les salles d’opération en particulier. On incrimine la différence de composition de microbiote des enfants nés par césarienne à l’absence d’imprégnation bactérienne lors du passage par les voies génitales maternelles.   Pour tenir compte de tous ces éléments, des praticiens ont proposé de corriger le déséquilibre observé chez les enfants nés par césarienne, et, pour leur éviter un funeste destin, de les faire bénéficier du microbiote vaginal de leur mère. De là est issue l’idée de l’ensemencement vaginal. Cependant, les fondements sur lesquels cette construction repose ne sont pas toujours solides. Par exemple, plusieurs études épidémiologiques invoquées ne distinguent pas les césariennes électives et les césariennes en cours de travail.   L’étude de N.T. Mueller et coll.   La première question que pose la pratique de l’ensemencement vaginal est celle de son efficacité bactériologique. L’intervention conduit-elle à une modification durable du microbiote des enfants ? Pour répondre à cette interrogation, Noel T. Mueller et coll. ont réalisé une étude comparant l’évolution des microbiotes cutanés et digestifs chez des nourrissons nés par césarienne, selon qu’ils ont ou non bénéficié d’un ensemencement vaginal à la naissance(1).   Protocole clinique Vingt femmes enceintes devant bénéficier d’une césarienne élective à terme ont été incluses dans l’étude. Celle-ci est réalisée en double aveugle et randomisée. Dix nouveau-nés ont été randomisés dans le groupe « ensemencement vaginal ». Quelques minutes après la naissance, et avant tout contact peau à peau avec la mère, ces nouveau-nés sont badigeonnés au niveau de la bouche, de la face et du corps, à l’aide d’une compresse qui avait préalablement été insérée dans le vagin de la mère avant la césarienne. Pour les 10 nouveau-nés témoins, une procédure similaire est faite avec une compresse préalablement imprégnée de sérum physiologique. Les investigateurs se sont entourés d’un maximum de précautions destinées à minimiser le risque d’infection materno-fœtale. Un pH vaginal ≤ 4,5, indicatif d’un microbiote dominé par des lactobacilles, était requis. Un antécédent récent de vaginose bactérienne ou d’infection urinaire maternelles était un motif d’exclusion. Les femmes ayant des antécédents d’herpès génital, d’infection à streptocoque B et à HPV ont été exclues. La négativité des tests suivants a été contrôlée en fin de grossesse : dépistage de la présence de streptocoque B, gonocoque, syphilis, chlamydiae, hépatite B, hépatite C, Sars-Cov-2, HPV. Enfin, les femmes ne devaient pas avoir reçu d’antibiothérapie dans le mois précédant la césarienne (hormis une antibioprophylaxie périopératoire).   Analyse bactériologique La chronologie et le niveau des sites des prélèvements bactériologiques réalisés par la suite sont résumés dans le tableau­ 1. L’analyse des microbiotes a été faite par biologie moléculaire. Il s’agit en effet de la méthode de choix pour établir la composition de communautés bactériennes complexes.   La première étape est une extraction de l’ADN total de la communauté microbienne. Une PCR quantitative permet d’évaluer la charge totale en ADN bactérien. L’analyse des espèces bactériennes comporte deux étapes. La première est une amplification par PCR du gène codant pour l’ARN ribosomal 16 S (il s’agit de gènes fortement conservés dans le règne bactérien). Les amplicons obtenus sont ensuite séquencés et analysés. On dispose alors d’informations sur les espèces bactériennes présentes qui composent les échantillons et sur leur abondance relative. Il est également possible d’évaluer la diversité bactérienne au sein des échantillons d’un même site ou de comparer la composition de deux sites différents.   Résultats • Microbiote maternel En termes de charge bactérienne, il n’y a pas de différence entre les microbiotes des mères du groupe ensemencement vaginal et celles du groupe témoin. La diversité des germes présents est également similaire. Il existe un recouvrement important des familles de germes présents entre les différents sites maternels (figure­ 1), si bien que l’ensemencement vaginal correspond en fait au transfert de microbiotes représentatifs de différents sites maternels et pas uniquement de la filière vaginale. Les principaux germes retrouvés sur la compresse utilisée pour l’ensemencement sont des Lactobacillus et des Bifidobacterium. Figure 1. Croissance pondérale des enfants. Index pondéral, exprimé sous forme de z-score (moyenne, déviation standard). Il n’y a de différence entre les deux groupes à aucun des 4 temps.   • Microbiote des nouveau-nés Dans la présente étude, la charge microbienne cutanée, évaluée à un jour de vie, est plus élevée chez les nouveau-nés du groupe ensemencement vaginal comparé à celle des nouveau-nés du groupe témoin. En revanche, on observe chez ces derniers une diminution de la diversité de la flore à ce niveau (tableau­ 2). Dans les selles de transition (J2-J3 de vie), comme dans les selles des nourrissons à 30 jours de vie, on observe une charge bactérienne identique entre les deux groupes (tableau­ 2). Cependant la diversité bactérienne reste plus basse chez les enfants du groupe ensemencement vaginal en comparaison avec les nouveau-nés et les nourrissons du groupe contrôle (tableau­ 2). Après ensemencement vaginal, on observe également des modifications qualitatives. L’abondance relative de certaines espèces est augmentée ; à l’inverse, d’autres deviennent plus rares (tableau­ 3). Le microbiote présent dans les selles des enfants du groupe contrôle est plus proche du microbiote cutané maternel que celui des enfants du groupe ensemencement vaginal. Au niveau digestif, on observe après ensemencement vaginal une diminution des germes potentiellement pathogènes comme les Enterobacter ou les Clostridium stricto­sensu;  toutefois, il n’y a pas de différence concernant des germes bénéfiques, comme les germes des genres Bacterioides et Bifidobacterium tableau­ 3).   En résumé Les microbiotes des nouveaunés-nés par césarienne élective diffèrent de ceux des nouveau-nés nés par voie vaginale. L’ensemencement vaginal rapproche le microbiote des enfants traités de celui des enfants du groupe témoin, sans le corriger totalement. L’ensemencement entraîne une augmentation de la charge bactérienne, mais elle est extrêmement transitoire. L’intervention s’accompagne également d’une baisse de la diversité microbienne par rapport au groupe témoin. Cette baisse est durable, et rapproche le microbiote de ces enfants de celui des enfants nés par voie vaginale. Elle s’accompagne d’une modification de l’importance relative des diverses espèces bactériennes présentes dans les selles des enfants.   L’étude de Yang Liu et coll.   Efficacité clinique Si les modifications du microbiote après ensemencement vaginal commencent à être caractérisées, la question est de savoir si cette intervention exerce une influence bénéfique sur la santé ultérieure des enfants. Yang Liu et coll. se sont proposés pour évaluer les conséquences de l’ensemencement vaginal sur le devenir des enfants(2). Leur étude, randomisée, porte sur deux ordres de paramètres, le retentissement métabolique et la maturation immunitaire. • Retentissement métabolique Il est évalué par le suivi du poids et de la taille sur 24 mois. L’index pondéral ne présente pas de différence statistique entre les deux groupes, qu’il soit exprimé de manière brute ou sous forme de z-score, et cela aux quatre temps où il est mesuré (2, 12, 18 et 24 mois) (figure­ 1). • Maturation immunitaire Elle est jugée sur la survenue de symptômes allergiques pendant les 24 premiers mois de vie. On n’observe pas de différence d’occurrence entre les deux groupes. L’évaluation est complétée par la mesure du taux sérique d’immunoglobulines E spécifiques de 20 allergènes à l’âge de 18 mois. Le résultat est présenté sous la forme d’un score composite. Le score est identique entre les deux groupes (figure­ 2). Figure 2. Score de risque allergénique. Score composite, établi sur la mesure du taux sérique d’immunoglobulines E spécifiques de 20 allergènes. Il est mesuré à l’âge de 18 mois. Le résultat est présenté sous la forme de médiane (intervalle interquarile). Il n’y a pas de différence entre les deux groupes.   En résumé L’étude réalisée par Yang Liu et coll. met en évidence l’absence de bénéfice clinique démontré de l’ensemencement vaginal. La méthodologie, en particulier le caractère randomisé avec double aveugle, renforce la valeur de cette conclusion. L’étude a cependant plusieurs limitations, dont la première est la faible taille de l’échantillon. Les données actuelles ne permettent pas d’exclure un effet qui serait visible uniquement sur de larges populations. Autres réserves : le nombre limité de paramètres analysés et l’absence de suivi à long terme. Plusieurs hypothèses peuvent être proposées pour expliquer l’absence d’efficacité de l’intervention. Les germes ne sont pas spécifiques de site, même s’il existe une distribution prépondérante (figure 3). Surtout, les voies de colonisation des nouveau-nés sont en réalité multiples, ce qui relativise l’importance de la source vaginale, et par conséquent, la pertinence de l’ensemencement vaginal. Globalement, les germes du microbiote des nourrissons proviennent principalement (pour environ 60 %) de la mère, mais pour près de 40 % de l’environnement (figure 4). Enfin, une part importante des différences attribuées à l’absence d’exposition au microbiote vaginal est expliquée par des facteurs « extérieurs » : âge gestationnel à la naissance, mode et durée d’allaitement, administration d’antibiotiques per et post-partum, obésité maternelle… Figure 3. Microbiotes présents dans les différents sites maternels. Les différents sites maternels partagent des pourcentages variables du microbiote. Figure 4. Contribution relative des différentes niches selon la voie d’accouchement. Les niches maternelles sont à l’origine d’environ 60 % du microbiote des enfants. Les niches vaginales et digestives maternelles sont fortement représentées après naissance par voie vaginale (flèches marron). La contribution du lait et de la peau prédomine après naissance par césarienne (flèches vertes). Les facteurs environnementaux sont à l’origine de près de la moitié de la colonisation bactérienne des nouveau-nés.   Conclusion   La plupart des auteurs considèrent que les données disponibles actuellement sont loin d’être suffisamment convaincantes pour que l’adoption de l’ensemencement vaginal puisse être recommandée en pratique. Ils conseillent de restreindre son utilisation à des protocoles d’investigation strictement encadrés. Différentes stratégies complémentaires ou alternatives sont proposées. L’une d’elles serait d’associer une transplantation de microbiote d’origine anale maternelle à l’ensemencement vaginal pour renforcer l’efficacité de la transplantation. D’autres mesures sont plus conservatoires, comme le développement de probiotiques spécifiques du microbiote périnatal. Le maniement réfléchi des antibiotiques en peripartum ou la promotion de l’allaitement maternel. Un dernier point est soulevé par les opposants à l’intervention : son innocuité n’est pas établie. Malgré le dépistage préalable du portage vaginal de différents pathogènes (streptocoque B, herpès, chlamydia, gonocoque…), il existe un risque théorique de transmettre un germe pathogène. Mais d’autres praticiens jugent que cet argument n’est pas recevable : le risque n’est pas plus élevé que celui associé à une naissance par les voies naturelles.

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