Publié le 27 jan 2013Lecture 9 min
Première enquête sur la sexualité et l’intimité des femmes vivant en couple
Philippe BRENOT, Directeur des enseignements de sexologie et sexualité humaine à l’université Paris-Descartes
Nous vivons dans un monde du paradoxe entre liberté et interdits, le monde de l’après libération sexuelle où tous les tabous sont tombés, un monde qui ne juge plus, mais qui ne parle pas non plus de l’intimité d’une façon vraiment libre. Le nu et le sexe sont ostensiblement visibles, la pornographie est gratuitement accessible, chacun ose parler d’une intimité de façade « politiquement correcte » ; cependant, peu d’informations justes circulent et aucune éducation à la sexualité, pourtant indispensable.
On peut surtout qualifier notre époque de « libérée » au sens où nous n’avons plus de jugement moral sur l’intimité et la sexualité. En un sens, tout est permis dans l’intimité avec deux règles essentielles, celle du consentement du partenaire et du seul interdit intangible : l’intrusion de la sexualité adulte dans celle de l’enfant. Du sexe à l’intime Si l’on avance dans cette exploration de l’intime, on prend bien conscience que nous savons peu ce qui se vit dans le huis clos du couple ou de l’individu. Notre expérience de médecins, de cliniciens, de thérapeutes, nous en offre une réalité partielle souvent modifiée par notre propre expérience. Mais comment relativiser ces expériences individuelles pour aider au plus juste nos patients en difficulté, sinon en explorant par d’autres méthodes ce no man’s land de l’intime. Des enquêtes sur de plus larges populations sont ainsi nécessaires pour comprendre l’évolution des comportements. Ce sont les grandes étapes des études sur la sexualité : les rapports Kinsey aux États-Unis (1948 pour les hommes, 1953 pour les femmes), puis celui de Shere Hite (1970) ; et en France les trois études successives de Simon (1972), Spira (1982) et, la plus récente, Nathalie Bajos et Michel Bozon (2008). Si ces études explorent le comportement sexuel de façon générale (fréquence et particularités des pratiques sexuelles, orientation sexuelle, etc.), elles précisent peu le vécu de l’intime et surtout la relation de couple. C’est cette étude que nous avons réalisée avec l’Observatoire International du Couple (www.couple.asso.fr), tout d’abord sur les hommes(1) en 2011 puis, cette année, sur les femmes(2). L’enquête Nous avons pour cela interrogé 3 404 femmes déclarant être hétérosexuelles et vivre en couple. Leur âge moyen est de 35 ans, la plus jeune ayant 15 ans, la plus âgée 80. Leur niveau d’étude est un peu plus élevé que celui de la population générale, mais leurs caractéristiques sociologiques en font des sujets représentatifs de la population féminine en France aujourd’hui. Ces femmes sont mariées (ou pacsées) et vivent avec leur conjoint pour 45 % d’entre elles, elles sont en couple cohabitant non marié pour 32 % et sont 22 % à se déclarer en couple non cohabitant. Elles sont en moyenne en couple depuis 9 ans et sont 55 % à avoir des enfants. Les réponses à ce questionnaire brossent le portrait d’une femme assez différente de ce que nous montrent les études précédentes : une femme de plus en plus épanouie tant sur le plan intime et sexuel que sur le plan relationnel, mais aussi une femme blessée par les difficultés de la vie qui ne sont pas toujours suffisamment comprises autour d’elle. Les résultats Trois faits dominent cette évolution vers la liberté : • Les femmes sont aujourd’hui épanouies avec une bien meilleure image d’elle-même. Leur liberté est grande ; plus rien n’est aujourd’hui vraiment tabou dans leurs comportements. • Dans ces très nombreux témoignages anonymes, c’est une femme décomplexée qui parle, une femme qui a confiance en elle, qui se sent belle (pour plus de 60 %) et sensuelle (67 %). Cette confiance en elle, et en son corps, apparaît clairement, elle traduit la façon dont les femmes décident aujourd’hui de leur destinée. • Enfin, la jouissance étonnante de certaines femmes se connaissant bien et très libres avec elles-mêmes depuis leur plus jeune âge peut nous permettre d’identifier des facteurs constitutionnels de l’accès au plaisir et à l’orgasme. • Subsiste environ un tiers des femmes pour qui la sexualité reste souvent très difficile : – J’ai trop de complexes pour vivre librement ma sexualité. – J'aimerais avoir une libido plus « normale ». Aujourd'hui, je n'ai quasiment pas de désir… – J'aimerais être épanouie et ne plus avoir de problèmes sexuels. On ne fait plus l’amour depuis près de 2 ans. Il faut enfin signaler que près de la moitié de notre échantillon a vécu des « émotions négatives intenses » avec plus ou moins de répercussions sur leur vie intime. Autre remarque d’importance, qui n’est pas contradictoire : si la plupart des femmes sont bien plus épanouies au plan de la liberté sexuelle que les générations précédentes, la jouissance n’est pas obligatoirement au rendez-vous : l’orgasme féminin ne survient en moyenne qu’une fois sur cinq au cours du rapport sexuel. Le terrorisme actuel de l’orgasme doit être dépassé et nous devons bien distinguer les multiples facettes du plaisir vécu par les femmes souvent indépendamment du vécu de l’orgasme. De nombreuses femmes sont ainsi très épanouies et heureuses dans leur sexualité quoique n’ayant pas accès, ou partiellement, à l’orgasme. Ce sont avant tout les hommes et les média féminins qui mettent l’accent sur cette soi-disant absence. Plaisir Le plaisir est très présent dans la vie d’une femme. Plaisir du regard, du toucher, de la rencontre, des caresses de l’être aimé ; plaisir sensoriel des préliminaires, de la jouissance avec soi, de la jouissance avec l’autre. Une seule et grande condition transparaît déjà dans les témoignages : « que le moment soit partagé ». Cette notion est aujourd’hui fondamentale pour reconnaître la gamme très étendue des vécus féminins du plaisir, là où les hommes estiment audessus de tout le plaisir orgasmique, car il est celui qui domine leur vécu. De ce point de vue, la comparaison homme/femme est très asymétrique : l’orgasme, présent lors de chaque rapport pour la presque totalité des hommes, n’est systématique que chez 16 % des femmes. Cette capacité à l’orgasme coïtal est très clairement en lien avec l’apprentissage érotique et la précocité du premier orgasme, ce que de nombreux travaux ont récemment montré. Orgasme Nous avons enfin recueilli le témoignage, assez exceptionnel, de 40 femmes ressentant habituellement un orgasme intérieur profond sans aucune stimulation génitale (par caresse des oreilles ou de la nuque, par massages du crâne, baisers dans le cou, par stimulation du gros orteil…) et recherché le point commun unissant ces 40 témoignages. Il est très évident : l’âge très précoce du premier orgasme par masturbation, en moyenne 10,5 ans (contre 14,2 ans pour la population générale). Cela peut nous amener à penser que la disponibilité, ou même la fonctionnalité, orgasmique peut être facilitée par la précocité de l’orgasme. La vieille formule lamarckienne « la fonction crée l’organe » pourrait avoir quelques justesses dans le cas de la fonction sexuelle : tout individu possède vraisemblablement cette potentialité à la naissance, qui semble pouvoir devenir fonctionnelle par l’apprentissage puis par la pratique régulière de l’auto-érotisme, permettant alors l’extension de cette potentialité à toutes sortes de stimulation, voire à des images mentales. Kinsey l’avait bien remarqué lorsqu’il précisait que : « la femme peut, avec l’expérience, apprendre à éprouver l’orgasme (…) cet apprentissage se fait plus aisément dans les années de jeunesse, quand les inhibitions n’ont pas encore eu le temps de se développer ou ne se sont pas encore trop fermement établies. L’expérience précoce de l’orgasme peut donc contribuer directement à l’harmonie sexuelle d’une union.(3)» Les mystères de l’orgasme sont aujourd’hui mieux compris et les mécanismes mieux connus. Il existe des zonesgâchettes : le clitoris, la face antérieure du vagin…, mais surtout des conditions qui facilitent l’orage orgasmique. La première c’est l’amour, le sentiment intense du « choc amoureux » qui contient toutes les autres conditions. C’est ensuite la détente psychologique et l’abandon sous toutes ses formes. C’est enfin la stimulation physique de l’amant tant attendu. Mais les formes de la jouissance féminine varient à l’infini et les plaisirs intenses ne sont pas tous orgasmiques. Gardons-nous d’un nouveau terrorisme. La face sombre Enfin, cette enquête met le doigt sur l’un des aspects les plus difficiles de la condition féminine : être femme, c’est encore souvent être une « proie », voire une victime. Notre interrogation sur les « émotions négatives intenses » nous dit combien la sexualité féminine, surtout à ses débuts, est marquée par un vécu négatif : près d’une femme sur deux (49 %) a vécu une ou plusieurs émotions sexuelles négatives intenses (peur, douleur, dégoût, honte, culpabilité …) dans leur vie, ce que très peu d’hommes ont vécu, moins de 10 %. À travers ce constat et les nombreux témoignages de ces femmes anonymes, il m’apparaît combien la « condition féminine » est une position difficile, dont les hommes n’ont pas assez conscience. C’est l’une des grandes asymétries entre hommes et femmes qu’il nous faut dénoncer pour permettre aux femmes en difficulté d’en prendre conscience. Évolution Ces résultats sont à la fois l’occasion pour toute femme de se situer dans son histoire personnelle, notamment en confrontant son vécu aux très nombreux témoignages de cette enquête, mais également pour les hommes, leurs compagnons, de mieux comprendre les représentations féminines de la vie afin d’être plus proches des attentes de leur partenaire. Ces résultats peuvent enfin être un outil de connaissance pour les thérapeutes, psychologues, médecins, conseillers conjugaux et autres professionnels de la relation humaine afin de mieux apprécier les facettes les plus intimes des femmes d’aujourd’hui.
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