Obstétrique
Publié le 12 déc 2022Lecture 5 min
Accouchement des patientes sous anticoagulation curative avec nécessité d’un relais par héparine IV
Matthieu CHAMAGNE(a), S. LECAM(a), M. DOMMERGUES(a), L. DUBOIS GOZLAN(b) a. Service de gynécologie-obstétrique, hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris b. Service d’anesthésie-réanimation, hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris
La majorité des patientes sous anticoagulation curative par héparine de bas poids moléculaire (HBPm) en fin de grossesse peuvent bénéficier d’une fenêtre thérapeutique « classique » de 48 heures pour encadrer l’accouchement avec un risque thrombogène faible. Il existe des situations où cette fenêtre expose à un risque important de récidive ou d’extension de la thrombose, indiquant de réduire au maximum sa durée. C’est le cas, par exemple, des patientes avec survenue d’une embolie pulmonaire (eP) dans le mois précédant l’accouchement, des patientes porteuses d’une prothèse valvulaire mécanique ou du syndrome des antiphospholipides thrombotique traité au long cours. Nous présentons dans cet article le protocole de notre service.
En France, il est recommandé depuis 2003 de « programmer l’accouchement à partir de 39 SA » en cas d’anticoagulation efficace(1). Les études plus récentes ont confirmé le bénéfice de ne pas attendre une mise en travail spontanée, notamment pour permettre l’accès à une anesthésie périmédullaire(2).
La réalisation de cette fenêtre thérapeutique peut être difficile à mettre en place et expose la patiente à une durée prolongée sans anticoagulation.
Dans une série française de 2015, les auteurs retrouvent seulement 58 % de patientes ayant bénéficié d’une fenêtre thérapeutique alors que celle-ci était pro grammée. La durée sans anti coagulant dépassait 55 heures en moyenne(3).
Pour autant, on estime que la proportion de patientes n’ayant pu bénéficier d’une péridurale du fait d’une fenêtre thérapeutique trop courte était de 5,1 % en cas d’anticoagulation par HBPM à dose curative.
Le relais des HBPM par héparine non fractionnée (HNF) n’est recommandé que dans les cas où le risque de récidive de thrombose est important, afin de réduire au maximum la durée de la fenêtre thérapeutique(4). Les HNF ont l’avantage d’être rapidement réversibles (4 heures) et leur efficacité dosable par l’activité anti-Xa HNF. La grossesse modifie fréquemment cette durée (l’allonge), ce qui influe sur la gestion de la fenêtre thérapeutique.
Relais HBPM-HNF
Compte tenu des variations interindividuelles importantes des réponses des patientes à la gestion des anticoagulants, il est nécessaire de commencer le protocole 2 jours avant le début de la maturation cervicale/accouchement (J-2). Cela permet de s’approcher au plus près des objectifs d’anticoagulation. Le traitement par HNF est débuté par voie intraveineuse à la seringue électrique (IVSE) à 300 UI/kg/j sans dose de charge, 10 heures après la dernière injection d’HBPM. Un dosage de l’héparinémie est effectué 6 heures après le début du traitement par HNF, ce premier contrôle ayant pour but de s’assurer de l’absence d’un surdosage : objectif anti-Xa < 1 UI/ml (l’activité des HBPM étant toujours présente, il faudra préciser l’heure de la dernière injection sur la demande d’examen).
Un nouveau dosage de l’anti-Xa est effectué 24 heures après l’arrêt des HBPM (J-1). Si l’héparinémie est dans les objectifs (0,5-0,6), la suite du protoco le pourra débuter. Si l’objectif n’est pas atteint, des paliers de 50 UI/kg/j seront utilisés pour ajuster la dose d’héparine avec une héparinémie de contrôle 6 heures après la modification de dose.
A J-0, la perfusion d’HNF est arrêtée à 2 heures du matin. A 4 heures de l’arrêt et en fonction du score de Bishop, on procèdera soit à une maturation cervicale, soit au déclenchement du travail.
L’héparinémie sera dosée à 6 heures de l’arrêt de la perfusion d’HNF. Si l’anti-Xa HNF est < 0,1 UI/ml, une anesthésie périmédullaire sera réalisable.
Maturation cervicale
Si le col est défavorable, une maturation cervicale est réalisée par pose d’un ballonnet extra-amniotique associée à 10 mg de prostaglandine E2 par système de diffusion vaginal. Le déclenchement du travail est effectué dès que le col le permet. Si le col n’est pas déclenchable 12 heures après le début de la maturationcervicale, une césarienne est réalisée.
Déclenchement
Le déclenchement est réalisé par amniotomie associée d’emblée à la perfusion d’ocytocine. Si la patiente n’est pas entrée en phase active après 12 heures de déclenchement, une césarienne est réalisée.
En phase active, une stagnation sera définie par l’absence de modification cervicale entre deux examens espacés de 2 heures. Ces pratiques diffèrent des recommandations sur la gestion du travail émises par le Collège national des obstétriciens français(5). Les critères choisis pour définir la stagnation du travail sont en effet plus restrictifs.
Mais nous décrivons ici des situations à risque de thrombose où l’objectif principal de la gestion du travail est de réduire au maximum la fenêtre d’anticoagulant.
Post-partum
Après un accouchement par voie basse sans complication hémorragique, la reprise du traitement par HBPM se fait 6 heures après l’ablation du cathéter de péridurale ou à 6 heures du post-partum en l’absence d’analgésie périmédullaire.
En cas d’accouchement par césarienne ou d’hémorragie du post-partum, le traitement anticoagulant est réintroduit 12 heures après l’accouchement. La première dose est réalisée à posologie préventive. Les doses d’HBPM sont augmentées de manière progressive sous contrôle de l’anti-Xa pour éviter le risque hémorragique. La dose est adaptée au poids, soit 1 000 UI par 10 kg, 2 fois par jour d’énoxaparine en utilisant le poids antérieur à la grossesse.
Si la patiente était sous antivitamine K (AVK) avant la grossesse, leur reprise serait à discuter en concertation médico-chirurgicale afin d’évaluer le risque hémorragique.
En cas d’allaitement, il faudra utiliser la warfarine.
Conclusion
Chez les patientes à très haut risque thrombo-embolique, la planification de l’accouchement a pour but non seulement de permettre l’accès à une analgésie périmédullaire mais aussi d’obtenir une durée limitée sans traitement anticoagulant. Cette gestion sera immanquablement multidisciplinaire afin de réduire au maximum le risque hémorragique sans omettre le risque de récidive de thrombose lors de la réalisation de la fenêtre thérapeutique. L’accouchement devra avoir lieu dans une maternité disposant d’un plateau technique de réanimation et de cardiologie adapté à la pathologie, et le suivi y sera effectué le plus précocement possible. Il n’y a pas d’indication de césarienne programmée en dehors des indications obstétricales habituelles, sauf en cas de décompensation cardiaque sévère(6).
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