Publié le 10 juin 2012Lecture 8 min
Faut-il traiter la maladie abortive et comment ?
E. PASQUIER, Département de médecine Interne, EA3878, CHU de Brest
La maladie abortive reste inexpliquée une fois sur deux. L’intense détresse qu’elle occasionne chez les couples contraste avec un bon pronostic spontané qui ne doit jamais être perdu de vu. Aucun consensus thérapeutique n’existe actuellement dans la maladie abortive idiopathique. Les données récentes suggèrent fortement l’absence d’intérêt de l’aspirine. La place de l’héparine reste encore à définir. La prise en charge repose sur le cocooning et la validation de nos pratiques grâce à des essais thérapeutiques.
La « maladie abortive », une entité clinique ? L’individualisation de l’entité clinique « maladie abortive » ne tient qu’à un fil pour plusieurs raisons : • Si la fréquence des fausses couches spontanées (FCS) sporadiques est de 15 %, la fréquence attendue pour deux FCS consécutives est de 2 à 3 % et pour trois FCS de 0,34 %. En fait, dans les études épidémiologiques, la fréquence observée est à peine supérieure pour deux FCS, environ 5 %. Néanmoins, la fréquence observée pour trois FCS est clairement supérieure, 1 %. Il apparaît donc que trois FCS successives ne constituent pas un événement clinique lié au seul hasard. • La fréquence des anomalies chromosomiques embryonnaires ou foetales diminue avec le nombre de FCS antérieures, ce qui suggère d’autres mécanismes que la répétition malchanceuse d’accidents méiotiques. Après quatre FCS, le taux d’anomalie du caryotype se stabilise autour de 20 %. Deux ou trois fausses couches spontanées ? Le critère de deux plutôt que trois (ou plus) fausses couches spontanées successives est souvent retenu dans les études publiées même si alors l’authenticité d’une réelle « maladie abortive » est moins claire. Une étude rétrospective récente réactive le débat. L’analyse de 1 020 femmes ayant subi deux FCS versus ≥ trois FCS ne retrouve pas de caractéristiques distinctives entre les deux groupes (en particulier concernant la prévalence des étiologies validées détectées) (1). Le bilan étiologique en médecine interne Le médecin interniste est parfois sollicité pour conduire une partie du bilan étiologique. Auto-immunité et maladie abortive : le syndrome des antiphospholipides (SAPL) Le SAPL est la seule maladie dite « auto-immune » responsable de maladie abortive. Néanmoins, le niveau de preuve (HAS) n’est que de IV alors même que les nouveaux critères d’imputabilité sont plus restrictifs : « Trois (ou plus) fausses couches spontanées inexpliquées survenues avant la 10e semaine d’aménorrhée. Toute cause anatomique, hormonale et cytogénétique (parents) doit avoir été exclue », selon les termes du consensus (2). Le SAPL est une entité bicéphale comportant obligatoirement un événement clinique thrombotique ou obstétrical (encadré 1) et la présence d’anticorps antiphospholipides, dont il est intéressant de rappeler les critères de positivité : – anticoagulant de type antiprothrombinase détecté au moins à deux reprises à au moins 12 semaines d’intervalle ; – et/ou anticorps anticardiolipine d’isotype IgG et/ou IgM, détectés par un test standardisé ELISA, à des taux > 40 GPL ou MPL, à au moins deux reprises, à plus de 12 semaines d’intervalle ; – et/ou anticorps anti-β2GPI d’isotype IgG et/ou IgM, détectés par un test standardisé ELISA, à des taux > 99e percentile, à au moins deux reprises, à plus de 12 semaines d’intervalle. Les FCS répétées secondaires au SAPL sont rares (5 à 15 % des séries de FCS répétées) ; néanmoins, leur identification est importante car les traitements par héparine et aspirine montrent une certaine efficacité. Le lupus érythémateux systémique, maladie auto-immune vedette, n’est pas à l’origine de FCS répétées en l’absence d’un SAPL associé. Pour ce qui est des auto-anticorps, en dehors d’une maladie auto-immune authentifiée, ni les études castémoins ni les études de cohorte ne suggèrent un intérêt à leur recherche. Les thrombophilies constitutionnelles Depuis 1990, les thrombophilies constitutionnelles sont l’objet d’un débat encore non résolu. Ces années ont été marquées par l’identification de deux facteurs de risque génétiques de maladie veineuse thromboembolique à forte prévalence dans la population caucasienne : le facteur V Leiden et la mutation G20210A de la prothrombine. Très rapidement leur implication a été explorée dans d’autres situations cliniques, présumées en rapport avec un état prothrombotique. Ainsi, en 2003, la métaanalyse de Rey(3) suggéra l’implication du facteur V Leiden, de la mutation G20210A du gène de la prothrombine et du déficit en protéine S dans les « pertes foetales précoces » répétées et surtout les « pertes foetales tardives ». Cependant, depuis, la littérature exprime plus de prudence concernant l’impact et la nature du lien, l’implication des thrombophilies constitutives dans les fausses couches spontanées répétées inexpliquées avant 10 semaines d’aménorrhée (OR < 2 dans la maladie abortive) et surtout dans le fondement des attitudes thérapeutiques (énoxaparine). À ce jour, seules la thrombocytémie essentielle et le syndrome des antiphospholipides associent clairement état prothrombotique et FCS répétées/mort foetales in utero. Le pronostic de la maladie abortive est bon En dehors du nombre de FCS antérieures, seul l’âge de la femme a clairement un impact sur le risque de récidive des FCS dites inexpliquées (tableau). Interventions thérapeutiques Le syndrome des antiphospholipides Il a fait l’objet des premières publications. L’évolution est souvent dramatique puisque le taux de grossesse achevée sans traitement est très faible (parfois moins de 10 %). Le rôle de la thrombose placentaire et/ou choriale, sans être univoque, est accepté dans les pertes foetales des 2e et 3e trimestres. Pour expliquer les événements du 1er trimestre, une meilleure connaissance des mécanismes d’action des antiphospholipides se fait jour. Ainsi, les anticorps antiphospholipides interféreraient avec les mécanismes régulateurs de la décidualisation ; ils induiraient l’apoptose des cellules trophoblastiques et inhiberaient l’invasion trophoblastique. In vitro, les héparines de bas poids moléculaire peuvent s’opposer à ces effets. L’efficacité des thérapeutiques antiagrégantes et anticoagulantes est vraisemblable quel que soit le terme, y compris pour les fausses couches très précoces du 1er trimestre. Les thrombophilies constitutionnelles Elles ont fait l’objet principalement d’un essai ouvert randomisé : énoxaparine 40 mg versus aspirine 100 mg chez des femmes ayant subi une perte foetale après la 10e semaine d’aménorrhée(5). La supériorité de l’énoxaparine sur l’aspirine y est rapportée. Néanmoins, le taux de pertes embryonnaires et foetales chez les femmes en intention de traiter (n = 174) est inhabituellement élevé dans le bras aspirine (73 %). Des études randomisées en double aveugle avec des effectifs suffisants sont encore attendues pour conclure. Dans la maladie abortive idiopathique En l’absence de thrombophilie maternelle effective ou recherchée, des hypothèses physiopathologiques ont été à l’origine d’essais thérapeutiques dont la méthodologie est hétérogène. Certaines impressions ont pu toutefois être précisées : – le support psychologique est efficace ; – les corticoïdes sont plus délétères qu’efficaces ; – aucune thérapeutique hormonale n’a pu démontrer son intérêt ; – l’immunisation de la mère avec des globules blancs du père pour prévenir le rejet de son foetus est inefficace ; – la prescription de veinoglobulines et surtout d’anti-TNF soulève des problèmes éthiques, surtout dans les FCS répétées dites « idiopathiques » dont le pronostic spontané est globalement favorable. Enfin, quelle place réserver à la procréation maternelle assistée dans une maladie dont le pronostic global est aussi favorable, même si une réduction de la réserve ovarienne à l’origine d’une augmentation des accidents méiotiques est parfois suspectée ? En l’absence de thrombophilie détectée, dans l’hypothèse d’un état prothrombotique latent intriqué à une endothéliopathie sous-jacente, des héparines de bas poids moléculaire à dose préventive et/ou l’aspirine à dose antiagrégante ont été largement prescrites. Deux essais thérapeutiques publiés en 2010 (6,7) soulignent l’absence d’efficacité de l’aspirine dans la maladie abortive, un effet délétère pourrait même être suspecté. Dans ces essais, l’héparine (bas poids moléculaire, dose préventive) n’est testée qu’en association avec l’aspirine et jamais en double aveugle. Sa place dans la prévention des FCS n’est donc toujours pas définie. Ainsi, l’essai thérapeutique multicentrique français PREFIX actuellement en progression reste d’actualité et devrait permettre de mieux évaluer s’il reste une place pour l’héparine dans la maladie abortive idiopathique (encadré 2).
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