Publié le 11 oct 2021Lecture 11 min
Bénéfices-risques du THM
Denise Caro, Boulogne-Billancourt
Cet article est le troisième d’une série consacrée aux recommandations pour la pratique clinique du traitement de la ménopause, parue en mars 2021 et en avril-mai 2021. Dans le premier article, nous avions abordé la question de la première consultation et du diagnostic de la ménopause. Le deuxième article s’intéressait aux traitements à proposer aux patientes. Ce dernier article est consacré aux bénéfices-risques du traitement hormonal de substitution de la ménopause.
THM, maladie d’Alzheimer et déclin cognitif
Chez les femmes souffrant de maladie d’Alzheimer, le THM aggrave les troubles cognitifs (NP1). Il est donc recommandé de ne pas leur prescrire de THM (grade A).
La mise en évidence d’une diminution du risque de maladie d’Alzheimer chez des femmes sous THM dans des études observationnelles (NP2) est discutable du fait d’un biais dit de « bonne santé » (les femmes traitées ont un risque cardio-vasculaire plus faible et un niveau d’études plus élevé, facteurs reconnus comme protecteurs vis-à-vis de la maladie d’Alzheimer).
Une étude ancillaire de la WHI portant sur les femmes de plus de 65 ans rapporte une augmentation du déclin cognitif associé à la combinaison ECE+MPA ou aux ECE seuls (NP1). Plusieurs études d’observation suggèrent qu’un THM débuté précocement en début de ménopause n’a pas d’effet délétère (NP2) et pourrait même avoir un petit effet protecteur (NP3), alors qu’un THM débuté à distance de la ménopause augmenterait le risque de maladie d’Alzheimer (NP2).
Il est donc recommander de ne pas commencer un THM dans le seul but de prévenir une maladie d’Alzheimer (grade C). Concernant le déclin cognitif, les essais randomisés réalisés chez des femmes jeunes, en début de ménopause ou plus à distance, ne montrent ni bénéfice ni dégradation du THM (ECE ou estradiol associé à la progestérone) (NP1). Il n’y a pas lieu de commencer un THM dans le but de prévenir un déclin cognitif (grade B).
THM et ostéoporose
L’ostéoporose est définie par une densité minérale osseuse (DMO) basse avec un T-score inférieur ou égal à 5 ou par la survenue de fractures par fragilité osseuse. Le risque d’ostéoporose est en fonction des facteurs de risque clinique au niveau d’une population (NP1), mais au niveau individuel ils ont une faible valeur prédictive d’ostéoporose et de DMO basse (NP1). Pour connaître la DMO, il faut impérativement la mesurer par la DXA au niveau du rachis et du fémur. Cette mesure permet de diagnostiquer l’ostéoporose et d’évaluer le risque de fracture en début de ménopause. Par conséquent, il est recommandé de mesurer la DMO par DXA pour évaluer le risque d’ostéoporose chez les femmes ménopausées ayant un ou plusieurs facteurs de risque de fracture (grade A), mais aussi au cas par cas, indépendamment des facteurs de risque, chaque fois que la connaissance de la DMO est susceptible de conditionner la prise en charge : discussion du rapport bénéfice/risque du THM (AP). Concernant les bénéfices osseux du THM, il est établi que les estrogènes préviennent la perte osseuse et la dégradation de la microarchitecture osseuse après la ménopause (NP1). Le THM diminue de 20 à 40% le risque de fracture au niveau de tous les sites osseux (y compris chez les femmes à faible risque de fracture) (NP1). Ainsi en début de ménopause chez la femme à risque de fracture, il est recommandé de proposer un THM en 1re intention pour prévenir l’ostéoporose (grade A). Le seuil d’intervention proposé est un T-score (vertébral ou fémoral) inférieur à -2 (AP). Cette décision devra tenir compte des autres facteurs cliniques de risque de fracture et de la balance bénéfice/risque du THM pour la patiente (grade C). Il n’est pas possible de recommander une dose d’estrogènes type, du fait de la variabilité interindividuelle importante de la réponse osseuse aux estrogènes (grade B). Chez une femme prenant un THM en prévention de l’ostéoporose, il est conseillé de répéter la mesure de la DMO lombaire et fémorale après 2 ans de traitement (AP). L’absence de perte osseuse à 2 ans est l’objectif du THM (lorsqu’il est prescrit pour prévenir l’ostéoporose) (NP1). L’arrêt du THM est associé à un phénomène de perte osseuse intéressant l’ensemble du squelette (NP1). Cette perte osseuse est comparable à celle que l’on observe en début de ménopause (NP2). Quand le THM est prescrit pour la prévention du risque de fracture chez une femme à risque majoré, il est conseillé de faire une mesure de la DMO à l’arrêt du THM, en vue d’une prise en charge adaptée (relais possible par un autre traitement de l’ostéoporose et/ou mesures hygiéno-diététiques) (AP).
THM et risque cardio-vasculaire
À la ménopause, il faut évaluer le risque cardio-vasculaire (CV). Il est élevé s’il existe un antécédent d’infarctus du myocarde (IDM) ou d’AVC ischémique, en cas d’artériopathie oblitérante des membres inférieurs, d’anévrisme de l’aorte, d’insuffisance rénale ou de diabète compliqué. Le risque est faible si aucun ou un seul facteur de risque bien contrôlé et non compliqué est retrouvé. Les facteurs de risque à rechercher sont nombreux. Certains sont bien connus comme le tabac, l’hypertension artérielle (HTA) ou le diabète ; d’autres le sont moins et pourraient échapper à l’interrogatoire au moment de la ménopause. Tel est le cas d’un antécédent de HTA gravidique, de prééclampsie ou de diabète gestationnel, mais aussi de la sédentarité, d’un stress chronique ou d’une vulnérabilité sociale. Lors d'une consultation de ménopause, il est recommandé d’évaluer de manière individuelle le risque CV (grade A). Il ne faut pas prescrire un THM après un IDM ou un AVC ischémique (grade B). En l'état actuel des connaissances, il n’est pas conseillé de commencer un THM pour la seule raison de la prévention du risque coronarien (grade B). Le moment où est commencé le THM influe sur le risque CV. Débuté moins de 10 ans après le diagnostic de ménopause, il diminue la mortalité toutes causes (RR = 0,70) ainsi que les maladies coronariennes fatales ou non fatales (RR = 0,52) ; commencé plus de 10 ans après l’installation de la ménopause le RR de mortalité est de 1,07 et celui de maladies coronariennes de 1,06. En revanche, le risque d’AVC ischémiques est augmenté dans les deux cas (1,37 et 1,21). Pour limiter ce risque d’AVC ischémique attribuable au THM par voie orale, il est préférable d’utiliser l’association estradiol transdermique et progestérone (grade B). Dès lors la conduite à tenir est la suivante. Chez une femme de moins de 60 ans, ménopausée depuis moins de 10 ans, avec des symptômes climatériques, il faut stratifier le risque CV. En cas de risque élevé, le THM est contre-indiqué. En cas d’absence de risque ou de risque faible, si le bilan gynécologique est normal on peut proposer un THM associant un estrogène par voie non digestive et la progestérone naturelle. En cas de risque CV intermédiaire, une consultation et un bilan CV permettront de déterminer plus précisément le niveau de risque et de décider ou non du THM.
THM et risque thromboembolique veineux
L'incidence de la maladie veineuse thromboembolique (MVTE) augmente avec l’âge : elle touche 1,25/1 000 femme par an chez les 40-59 ans. Le risque de MVTE doit être évalué dès la 1re consultation avant d’initier le THM et doit être réévalué à chaque renouvellement de traitement. Les estrogènes (ECE et estradiol) par voie orale augmentent le risque de MVTE en population générale (RR = 1,7 par rapport au placebo) (NP1). Le risque semble plus important avec les ECE qu’avec l’estradiol (NP2). L’estradiol par voie cutanée ne semble pas augmenter le risque de MVTE en population générale (NP2). Il est donc recommandé de privilégier l’estradiol par voie transcutanée pour limiter le risque de MVTE observé avec le THM par voie orale (grade B). Par ailleurs le type de progestatif utilisé joue également un rôle. Les dérivés norprégnanes augmentent le risque en population générale (NP3). En cas d'antécédent personnel de MVTE, d’obésité ou de thrombophilie biologique mineure, il est recommandé de ne pas utiliser les estrogènes par voie orale (grade A). Il peut être proposé d’utiliser l’estradiol par voie cutanée, associé à la progestérone en fonction de la balance bénéfice/risque individualisée du THM (grade C). En cas de doute, ne pas hésiter à demander l’avis d’une réunion de concertation pluridisciplinaire.
La gestion des effets secondaires gynécologiques du THM
Face à un saignement utérin anormal chez une femme prenant un THM, il faut rechercher une cause organique. En l’absence de cause organique, il peut s’agir d’une cause fonctionnelle comme la reprise de l’activité ovarienne, une observance médiocre ou des troubles trophiques de l’endomètre (NP3). Il convient de réaliser une échographie pelvienne (grade A) en fin de séquence progestative si le traitement est séquentiel ou n’importe quand si le schéma est combiné (AP). En cas de saignements utérins anormaux récidivants ou lorsque l’épaisseur de l’endomètre est supérieure à 4 mm, des explorations utérines complémentaires (hystéroscopie et histologie) sont recommandées (grade B). Lors d'un épisode unique de saignement utérin anormal, et si l’épaisseur de l’endomètre est inférieure à 4 mm à l’échographie, il est possible de surseoir à la réalisation d’autres explorations utérines (AP).
La surveillance mammaire au cours du THM
La découverte d'une masse mammaire chez une femme ménopausée prenant un THM doit faire suspendre le traitement le temps du diagnostic (grade A). Il faut réaliser une mammographie et une échographie mammaires (grade B). La découverte de micro-calcifications classées BI-RAD 4 et 5 implique de pratiquer des macro-biopsies sous stéréotaxie. La prise en charge des kystes du sein n’est pas modifiée par la prise de THM (se référer aux recommandations du CNGOF sur les tumeurs bénignes mammaires). La poursuite du THM est possible après l’exérèse chirurgicale des lésions bénignes du sein. La découverte d'une lésion maligne conduit à interrompre définitivement le THM, quels que soient le statut des récepteurs hormonaux et le caractère invasif ou in situ de la tumeur mammaire (grade A).
Les femmes sous THM se plaignent parfois de seins douloureux. Que leur proposer ?
La première chose est de pratiquer un examen clinique rigoureux des deux seins. L’imagerie n’est pas contributive pour le diagnostic d’un syndrome douloureux mammaire (SDM) bilatéral sans anomalie clinique associée. Il n’y a pas lieu de modifier les indications habituelles de dépistage du cancer du sein ou ses modalités (AP). Le SDM bilatéral est souvent lié à une sensibilité mammaire augmentée aux estrogènes. En début de THM, il peut être le témoin d’une reprise de l’activité ovarienne. Par conséquent, il est proposé de réduire ou d’interrompre le THM (AP). Les femmes signalant un SDM modéré ou intense préexistant ou associé à l’utilisation d’un THM ont un risque de cancer du sein augmenté comparativement aux femmes n’en souffrant pas (NP1). Habituellement, le SDM diminue après la ménopause ; cette diminution est moins importante chez femmes sous THM (NP1). La prévalence du SDM augmente chez les patientes traitées par ECE et progestatif (NP1) mais pas chez celles récemment ménopausées prenant de faibles doses d’estradiol et de progestérone micronisées (NP2).
Les femmes doivent être averties de l’effet du THM sur le SDM lors de la prescription en raison de la relation avec le risque de cancer du sein (grade B). Au total, si la douleur est bilatérale et l’examen clinique normal, il convient de rassurer la patiente, lui conseiller un soutien-gorge adapté, éventuellement lui prescrire un AINS local et diminuer les doses de THM. Si douleur focale, il faut faire une mammographie et une échographie. Si l’imagerie est BI-RAD1, la conduite est la même que pour le SDM bilatéral. Face à un BI-RAD2, le kyste est ponctionné. Un BI-RAD3 est contrôlé par imagerie tous les 6 mois pendant 2 ans. Enfin face à un BI-RAD 4 ou 5, le THM est arrêté, une microbiopsie est pratiquée, et on suit le référentiel des masses mammaires.
THM, cancers et mortalité
D’après les études WHI (États-Unis, 2003) et les études observationnelles européennes, pour limiter le surrisque de cancer du sein attribuable au THM, il est recommandé de privilégier l’association des estrogènes avec la progestérone ou la dydrogestérone (grade B). En cas d’hystérectomie, il n’y a pas de bénéfice mammaire à associer la progestérone ou un progestatif à l’estradiol (grade A).
Concernant le cancer de l'ovaire, la plupart des études observationnelles montrent une élévation du risque de cancers séreux associés au THM, le risque augmente avec la durée du traitement. En revanche, le risque n’apparaît pas augmenté dans la WHI. Et une métaanalyse de 2015 rapporte un RR de 1,5 soit 1 cas supplémentaire pour 8000 femmes traitées. Il s’agit essentiellement de cancers séreux et endométrioïdes. Concernant le cancer de l’endomètre, les estrogènes utilisés seuls augmentent le risque d’hyperplasie et de cancer de l’endomètre ; le risque augmente avec la durée du traitement (NP1). Il est donc recommandé d’associer un progestatif aux estrogènes (grade A); la durée de prise du progestatif doit être d’au moins 12 jours par mois (grade B) ou selon un schéma combiné (grade A). Le type de progestatif pourrait jouer un rôle : les progestatifs de synthèse seraient plus efficaces que la progestérone ou la dydrogestérone (NP3). De nombreuses études montrent une diminution du risque de cancer colorectal associé au THM (NP2) ; la voie transdermique serait préférable à la voie orale. Le THM est également associé à une diminution du risque de cancer du pancréas (NP2), avec un effet bénéfique de la durée (NP3). Les estrogènes seuls diminuent davantage le risque qu’associés à un progestatif (NP3). Il y a une diminution du risque de cancer de l’œsophage sous THM, quel que soit le type histologique (NP2). Enfin, quelques travaux montrent une diminution du risque de cancer primitif du foie sous THM (NP2) ; les schémas combinés font mieux que les schémas séquentiels (NP3).
Au total, le THM augmente le risque de cancers du sein (NP1) et de l’ovaire de type séreux ou endométrioïde (NP2) et diminue le risque de cancer colorectal (NP2), du pancréas (NP2), de l’œsophage (NP2), de l’estomac (NP2) et du foie (NP3). Il a peu d’effets sur le risque de cancer de l’endomètre s’il s’agit d’un schéma combiné ou si un progestatif est associé au moins 12 jours par mois.
Enfin, le THM n’augmente ni la mortalité globale ni celle liée aux maladies cardio-vasculaires ou au cancer du sein (NP2).
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