Publié le 18 mai 2022Lecture 8 min
Les femmes aiment-elles leur sexe ? Implication sur l'épanouissement sexuel
Vanessa BERNARD, Sage-femme sexologue, Centre hospitalier sud-francilien, Corbeil-Essonnes
La libération sexuelle des femmes abrogeant son florilège d'interdictions nous conduit vers une société tournée vers la femme, non pas comme une femme libre, mais comme une femme avec de multiples rôles qu'elle doit arborer de façon parfaite. Elle se doit d'être : femme, mère, épouse au regard de la société et d'une amante idéale dans l'intimité auprès de son/sa partenaire.
Ce 21e siècle, par les avancées technologiques qui en découlent, met la femme au-devant de la scène dans les publicités, les journaux féminins désappropriant ainsi leur féminité. Leur corps est mis à nu et diffusé quotidiennement. L’inimité de leur sexe n’est plus. La féminité devient source de polémiques, de conflits et peut mener à de réelles souffrances intérieures.
Comment ces femmes soi-disant « libérées sexuellement » se sentent-elles femmes dans leur féminité ? Quel regard la femme porte-t-elle sur son sexe ? Lui, qui est censé être « normalement » à l’abri du regard de tous, excepté de celui ou de celle à qui elle veut bien le présenter, fait désormais complexe et peut même conduire à une dysmorphophobie.
Contexte actuel
Il existe une grande variété de sexes féminins et pourtant... il y a une recherche acive de perfection vulvaire. L’ASAPS (American Society for Aesthetic Plastic Surgery) a observé 5,3 fois plus de recours à une chirurgie vulvaire ces 7 dernières années aux États-Unis, 10 787 nymphoplasies comptabilisées en 2017 contre 2 030 en 2010.
À l’échelle française, comme en témoigne l’ISAPS (International Society of Aesthetic Plastic Surgery), on note une augmentation nette du nombre de nymphoplasies, passant de 3097 en 2015 à 3905 en 2016. Ces chiffres continuent d’augmenter chaque année. Les femmes recherchent de plus en plus une « norme » vulvaire et cette demande est de plus en plus précoce, observée dès l’adolescence. En parallèle, des études prônent l’existence d’un lien entre nymphoplasie et trouble psychiatrique : 18 % des femmes recherchant une nymphoplasie sont atteintes d’un trouble dysmorphique corporel (Veale et coll. 2014). Le questionnement éthique que soulève la nymphoplasie est non négligeable : selon certains auteurs, la nymphoplasie serait apparentée à une forme de mutilation.
Le sexe feminin : un otage ?
L’idéal vulvaire est une vulve « aseptisée », sans odeur, sans poils, sans rien qui dépasse, plus communément apparentée le plus souvent à un sexe d'enfant, de petite fille.
Cette perfection recherchée déclinerait-elle d'une éducation sexuelle pauvre, des médias, de la pornographie, du phénomène de mode de l'épilation intégrale, du partenaire ?
L’identité du sexe féminin est remise en question. Peu d’études existent sur sa perception par les femmes et dans la plupart des études, le sexe de la femme est évalué en fonction des normes anatomiques (taille des petites lèvres, du clitoris, etc.). Une seule étude met en lien la perception et la taille des petites lèvres (Lykkebo et coll. 2017). Les petites lèvres déclineraient à elles seules la beauté d’un sexe qui voudrait être parfait.
Étude
Quelle est la perception que les femmes ont de leur sexe dans leur sexualité de tous les jours, seule ou avec un(e) partenaire ? Quelles sont les conséquences d’une mauvaise image de son sexe sur la sexualité des femmes ?
Une étude transversale descriptive regroupant la perception de 278 femmes a été réalisée sur une période de 5 mois entre novembre 2016 et avril 2017. Le questionnaire a été élaboré à partir du BISF-W (questionnaire validé d’évaluation de la sexualité féminine) et grâce à l’inventaire du comportement sexuel en modifiant l’échelle initiale en degrés de confort/inconfort ressentis lors d’activités sexuelles (Dr Trudel et Audet, Montréal).
Nous avions comme seul critère de recueillir le témoignage de femmes majeures, actives sexuellement, sans pour autant avoir un partenaire régulier. Ce recueil a été établi sous forme d’autoquestionnaires anonymes en ligne.
Données générales
Cette étude a recueilli le témoignage de 278 femmes sur 5 mois : 48 femmes complexées (FC) représentant ainsi 17,27 % soit 1,035 femme sur 6. Le nombre total de répondantes nous montre bien à quel point le sujet est tabou dans notre société.
L’âge moyen de la population étudiée était de 36,38 ans, la plus jeune avait 18 ans, la plus âgée 73 ans. Concernant les femmes complexées, l'âge moyen était de 33,74 ans, variant de 19 ans pour la plus jeune à 55 ans pour la plus âgée. Parmi les femmes de notre étude, 51,44 % avaient un niveau d’étude supérieur à BAC + 3, soit 75 % des FC. Le niveau d’instruction plus élevé est un facteur de risque associé au complexe.
Sexualité des femmes
Si le fait d’avoir un partenaire sexuel est similaire dans les 2 populations, il existe une activité sexuelle diminuée chez les femmes complexées. L’anxiété ou le fait d’être mal à l’aise pendant l’activité sexuelle avec un partenaire sexuel est fortement présent dans la population générale (37,10 % des femmes de notre étude). En effet, plus d’une femme sur 3 en souffre. Elle est deux fois plus présente chez la femme complexée. Elles sont 64,70 % à être mal à l’aise ou anxieuses pendant une activité sexuelle avec leur partenaire sexuel.
La moitié des femmes complexées laissent l’initiative de l’activité sexuelle à leur partenaire sexuel la plupart du temps. Ce pourcentage pourrait traduire un trouble du désir plus présent chez ces femmes. Dans la population générale, 53,39 % des femmes ont autant l’initiative de l’activité sexuelle que leur partenaire. Cette tendance est nettement moins présente chez les femmes complexées (35,29 %).
Trouble du désir : désir sexuel hypo-actif
Le complexe est associé à un plus grand évitement des rapports sexuels pour 41,17 % des FC et la fréquence de l’activité sexuelle est jugée trop importante pour 1 FC sur 5. Le manque d’intérêt pour la sexualité est deux fois plus présent chez les femmes nourrissant un complexe.
La majorité (85,29 %) des femmes complexées a ressenti tout le temps ou la plupart du temps du plaisir au décours d’une activité sexuelle avec leur partenaire, chiffre similaire pour les femmes non complexées (FNC) (86,87 %). Un complexe du sexe n’engendre pas de trouble du plaisir. Cependant, une image négative de son sexe peut conduire plus souvent à un évitement des rapports sexuels et engendrer un trouble du désir.
Féminité et méconnaissance de son corps, de son sexe
Le rapport entretenu par une femme envers sa nudité est un élément révélateur de son comportement sexuel. Dans notre étude, 1,20 femme sur 4 a une mauvaise image de son corps ; 54,17 % des FC associent une mauvaise image de leur corps avec leur complexe. Ce sont 11,87 % des femmes de notre étude qui n’ont jamais regardé leur sexe dans le détail, cela concerne 16,67 % des FC alors qu’elles se disent complexées ! L’origine du complexe serait-il dû à un dégoût envers son sexe ou à l’inverse à une obsession ? Le sexe serait alors un objet de honte, une éducation restrictive, ou encore un tabou du sexe encore bien trop présent.
Le regard de la femme ?
Toute femme est à même de regarder son sexe dans un miroir, et pourtant il y a de grandes disparités quand il s’agit de le faire réellement, comme en témoigne le tableau. Nous avons demandé aux femmes de l’étude si elles avaient déjà regardé leur sexe dans le détail. Nous avons remarqué que plus le sexe était détaillé, moins les femmes étaient nombreuses à l’avoir réellement regardé. Cette observation est d’autant plus marquée chez les femmes complexées. Il existe une vraie ambivalence dans les résultats. Nos résultats montrent que pour ces femmes complexées, il y a un réel déni de l’existence de leur sexe en tant que partie intégrante de leur corps.
Le regard de leur partenaire ?
Le sexe est montré au partenaire pour 84,89 % des femmes de l’étude, 77,05 % des FC, soit plus de 3 FC sur 4. Il y a une meilleure perception de leur sexe à travers le regard de leur partenaire, selon ce qu’elles imaginent que leur partenaire voit malgré la présence du complexe. C’est le propre regard que la femme a de son sexe qui crée le complexe, et non celui qu’elle perçoit de son partenaire.
L’insatisfaction de l’apparence physique du sexe est associée au complexe pour 52,09 % des FC, sachant que 45,83 % d’entre elles ne savent pas si l’apparence de leur sexe leur convient.
Serait-ce uniquement dû à une mauvaise connaissance de leur anatomie génitale ?
Facteurs influençants ?
Ce sont 8,99% des femmes qui considèrent que leur sexe est un frein à leur sexualité, dont 39,58 % des FC ; 17,98 % des femmes de l’étude se disent influencées par l’association média-pornographie concernant l’esthétique de leur sexe, soit 1,07 femme sur 6 et 1 femme sur 3 chez les FC.
Parmi les femmes de l’étude, 96,05 % pratiquent l’épilation de leur sexe. L’épilation intégrale est pratiquée par 47,12 % des femmes de notre étude, dont 54,16 % des FC. Parmi les femmes de l’étude, 7,55 % se posent des questions sur l’esthétique de leur sexe. La recherche d’une « norme » en matière de vulve est présente même chez des FNC.
Parole de femmes
« Petit complexe sur mes petites lèvres qui “dépassent” de ± 1 cm. Complexe sur la morphologie de mon vagin, désir d’avoir un vagin idéal (bien serré) alors que je n’ai que 26 ans... Complexe sur le fait de n’avoir jamais eu d’orgasme avec un partenaire, colère contre mon partenaire qui ne me met pas en confiance à tout niveau (physique et sexuel). »
« Je n’aime pas les petites lèvres qui sont trop grandes, mais ça ne m’empêche pas d’avoir une sexualité normale. Aucun homme ne s’est plaint de leur aspect en tout cas. »`
« Le complexe vis-à-vis de mon sexe et de mon corps en général m’empêche d’être détendue et perturbe aussi mon partenaire. C’est la peur de déplaire, malgré la réassurance de l’autre. »
« Je pense qu’il y a une pression (sociale, médiatique, culturelle) par rapport à notre vision de notre sexe. En voyant tous les jours, je trouve que mon sexe n’est pas “esthétiquement beau”, mais cela ne m’empêche pas d’avoir une sexualité épanouie. »
« Merci pour ce questionnaire il m’a permis de me redécouvrir. »
« Je dirais que mon physique freine mon épanouissement (je n’aime pas l’image de mon corps et ce qu’il renvoie). »
Conclusion
Un problème d’image de son sexe peut conduire à une réelle perturbation de la vie sexuelle. Chaque acteur de la santé sexuelle des femmes devrait en avoir conscience.
Éducation, prévention, réponses aux interrogations, et écoute sont les meilleurs outils pour expliquer la grande variété de sexe féminin, la richesse de chacune à travers ce sexe, et surtout leur permettre de l’apprivoiser pour en reconnaître ses qualités.
Les femmes sont en demande : à nous professionnels, de les écouter !
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