Publié le 19 jan 2021Lecture 10 min
Endométriose : un nouveau regard sur la prise en charge
Michèle DEKER, Paris
L’endométriose est à la fois une maladie fréquente, avec une prévalence estimée à 10 % des femmes en âge de procréer, et méconnue, comme en témoigne le long retard à son diagnostic et sa prise en charge, suscitant des attentes très diverses selon l’âge, la symptomatologie clinique et le désir de grossesse des patientes. Les gynécologues pourront bientôt prescrire plus largement le diénogest 2 mg, à présent remboursé.
EndoVie : un panorama de l’endométriose
Une vaste enquête a été réalisée par le laboratoire Gedeon Richter en partenariat avec l’institut Ipsos, EndoFrance (association de lutte contre l’endométriose) et un groupe d’experts gynécologues afin de mieux cerner la prise en charge, la perception et le vécu de la maladie, ainsi que les pistes d’amélioration. L’échantillon comporte 1 557 femmes souffrant d’endométriose ; parallèlement, un échantillon grand public de 1 004 Français ont été interrogés sur l’endométriose en général et leur perception de la maladie ; 100 conjoints de femmes endométriosiques ont également été interrogés afin d’évaluer l’impact de l’endométriose sur leur vie et la vie de couple.
Les symptômes de la maladie sont précoces, survenant à 24 ans en moyenne mais, pour la moitié des femmes, ils débutent à l’adolescence, avant 20 ans. Outre les règles douloureuses, la symptomatologie associe souvent des douleurs pelviennes, une fatigue chronique et, en fonction du type d’endométriose et de sa localisation, des troubles digestifs et urinaires, des douleurs lors des rapports sexuels, des lombalgies, des saignements anormaux, ainsi que des difficultés à concevoir un enfant. La présence d’une endométriose digestive s’accompagne d’une majoration des symptômes. Le professionnel de santé consulté en premier est dans près de 70 % un gynécologue, le plus souvent libéral, un médecin généraliste dans un quart des cas seulement. Le délai pour obtenir le diagnostic depuis la première consultation est de plus de 6 ans, encore plus long en cas d’endométriose profonde et chez les femmes présentant plus de 7 symptômes (> 8 ans en moyenne). Le diagnostic final est posé dans 70 % des cas par un gynécologue, le plus souvent dans un établissement public ou privé, exceptionnellement par un médecin généraliste. Le diagnostic est établi principalement grâce à l’imagerie (81 % des cas) mais chez 46 % des femmes, une chirurgie par cœlioscopie a été réalisée pour poser le diagnostic. Chez les patientes de 18 à 50 ans interrogées, les traitements sont d’abord antalgiques (35 % des cas), anti-inflammatoires (25 %) et hormonaux : contraception estroprogestative (26 %), progestatifs (17 %), agonistes de la GnRH (9 %), stérilet hormonal (8 %). Trois quarts des patientes estiment que les traitements hormonaux sont efficaces, mais 52 % considèrent qu’ils sont responsables d’effets indésirables à l’origine d’un changement de traitement.
L’enquête EndoVie confirme que « l’histoire naturelle de l’endométriose est marquée par une chirurgie itérative » ; en effet, sur les 1 557 femmes de ce panel, 62 % d’entre elles ont déjà eu au moins une intervention, cette proportion s’élève à 74 % chez les femmes atteintes d’endométriose profonde, et 25 % ont subi entre 2 et 3 interventions. Pour un quart des patientes opérées, il s’agissait d’une chirurgie par laparotomie. Le suivi médical au long cours est assuré par le gynécologue dans 70 % des cas et par le médecin généraliste dans 5 % des cas seulement.
L’impact sur la qualité de vie sexuelle, psychologique ou physique est très fort et d’autant plus marqué que l’endométriose est profonde. La vie professionnelle est aussi affectée.
Les sentiments éprouvés par le conjoint sont mitigés : positifs (compréhension, dévouement, confiance), négatifs (inquiétude, frustration, gêne, voire dégoût) et même très négatifs dans 17 % des cas. L’impact de l’endométriose sur le conjoint n’est pas systématique, mais toujours présent sur la vie sexuelle et la vie de couple. C’est l’impact sexuel qui est le plus considérable tant pour les patientes que pour le conjoint : baisse du désir, sentiment d’injustice, abstinence prolongée pour elles, peur de faire mal, baisse de libido, pour eux, et moins de rapports sexuels pour les deux.
Une femme sur deux déclare avoir eu des difficultés pour concevoir un enfant ; 30 % ont eu recours à l’assistance médicale à la procréation, avec succès dans la moitié des cas.
Quant au grand public interrogé, 80 % déclarent avoir déjà entendu parler d’endométriose mais leur connaissance de la pathologie, de sa fréquence et de ses traitements est très superficielle. La plupart considère qu’il s’agit d’une pathologie grave (alors qu’elle est bénigne), mais ils n’en mesurent pas l’impact.
Quant aux pistes d’amélioration pour la prise en charge et le parcours des patientes, la principale amélioration souhaitée par l’ensemble du panel concerne la formation et les connaissances des professionnels de santé sur la maladie. Autre souhait, la création ou la labélisation de centres experts spécialisés dans la prise en charge de l’endométriose.
Diénogest : un progestatif méconnu en France
Le diénogest est un progestatif norstéroïde, dérivé de la testostérone, dont l’affinité pour la SHBG ou la CBG, protéines de transport des progestatifs androgéniques et du cortisol, est nulle. Il en résulte une très bonne biodisponibilité. Sa demi-vie plasmatique est d’environ 10 heures. Ses effets sur l’endomètre et sur l’inhibition de l’ovulation sont équivalents à ceux de tous les progestatifs utilisés habituellement dans le traitement de l’endométriose, et le situent entre un progestatif très puissant et potentiellement atrophiant, et un progestatif ayant un effet antigonadotrope insuffisant pour bloquer le développement des ovocytes, avec un risque de carence estrogénique.
À la dose de 2 mg par jour, le diénogest inhibe la rupture folliculaire ; l’arrêt du traitement est suivi d’un retour rapide de l’ovulation. Comparativement à la progestérone ou d’autres progestatifs, le diénogest exerce des effets très puissants sur l’endomètre à des concentrations très faibles, ce qui confirme sa très grande biodisponibilité.
Des études en cristallographie ont permis d’objectiver la liaison du diénogest aux récepteurs de la progestérone et de mieux comprendre son intérêt dans l’endométriose. Le récepteur A de la progestérone (PRA) agit comme un inhibiteur de l’activité progestative alors que le récepteur B (PRB) transmet l’activité progestative. L’endométriose est caractérisée par un état de résistance à la progestérone, possiblement lié à une anomalie de la répartition entre les PRA et PRB. Les issus endométriosiques comporteraient davantage de PRA que de PRB, ce qui pourrait expliquer la résistance de l’endomètre à la progestérone. Il a été montré en cristallographie que le traitement par diénogest permet de moduler le rapport entre PRA et PRB, le rendant plus perméable à l’action de la progestérone.
Le diénogest exerce aussi des effets sur des molécules pro-inflammatoires, TNF et IL-1ß, qui induisent la production de nerve growth factor (NGF), facteur très impliqué dans la pathogénie de l’endométriose. Une étude sur cellules in vitro a montré que l’effet anti-NGF du diénogest est plus marqué en présence de PRB, eux-mêmes augmentés sous l’effet de ce progestatif.
Outre son effet systémique, le diénogest possède ainsi des effets locaux : effet inhibiteur direct sur la prolifération des issus « endomètre- like » ; modulation des métalloprotéases ; impact sur l’inflammation associée à l’endométriose ; inhibition de l’angiogenèse.
L’étude des interactions avec les récepteurs stéroïdiens permettant d’inférer le profil de tolérance des stéroïdes montre que le diénogest a une faible affinité pour le récepteur des androgènes et celui des corticoïdes, ce qui augure un profil de tolérance favorable. Bien qu’il se lie au récepteur des androgènes, il est dépourvu d’activité androgénique et possède au contraire un effet anti-androgénique. Pour résumer le profil pharmacologique du diénogest, la molécule est dotée d’une double liaison lui permettant d’interagir avec le récepteur de la progestérone, et d’un radical CH2CN qui stabilise sa liaison au récepteur, d’où un effet puissant sur l’endomètre. De plus, il est dénué d’activité estrogénique, minéralocorticoïde ou glucocorticoïde et, en l’absence de liaison à la SHBG, il ne peut déplacer la testostérone, ce qui limite l’éventualité d’effets androgéniques.
Place du diénogest dans la prise en charge de l'endométriose
Le diénogest est un progestatif hybride qui possède des effets des dérivés de la 19-nortestostérone et de la 19-norprogestérone. Il se comporte comme un progestatif puissant, exerçant un effet antigonadotrope modéré, dénué d’activité androgénique, glucocorticoïde ou minéralocorticoïde.
• Une étude mutlicentrique internationale de supériorité, randomisée, en double aveugle a évalué le diénogest 2 mg/jour pendant 12 semaines chez 102 femmes versus 96 sous placebo, associés à l’ibuprofène 400 à 1 200 mg/j en cas de douleurs(1). L’étude a été pro longée en ouvert pendant 53 semaines ; les patientes précédemment sous placebo ont alors reçu du diénogest(2). Trente quatre femmes ont ensuite été suivies après l’arrêt du traitement par diénogest. Une modification significative du critère principal d’efficacité, le score de douleur sur une échelle visuelle analogique (EVA, de 0 aucune douleur à 100 pire douleur imaginable), a été observée dans le groupe diénogest, passant d’un score de 60 à 30 après 12 semaines de traitement. Les patientes switchées du groupe placebo au groupe diénogest ont rapidement atteint le score EVA du groupe d’intervention. L’effet thérapeutique du diénogest est prolongé et atteint un plateau vers la 40e semaine ; le bénéfice perdure après l’arrêt du traitement.
• Le diénogest a été comparé à un agoniste du GnRH, le leuprolide, dans le cadre d’une étude internationale multicentrique de non infériorité ayant inclus 124 et 128 femmes dans chaque groupe respectivement, traitées pendant 24 semaines(3). Une efficacité strictement comparable a été observée entre les deux groupes sur les scores EVA de douleur. Les deux molécules ont démontré leur efficacité pour diminuer la sévérité des signes et symptômes (score total sur l’échelle de Biberoglu et Behman) dès la 12e semaine, ainsi que leur équivalence sur les scores de qualité de vie SF-36. Le traitement par diénogest se distingue néanmoins par la rareté des effets secondaires, en particulier les bouffées de chaleur, fréquentes avec l’agoniste de GnRH. En outre, il n’a pas montré d’impact sur la densité minérale osseuse, diminuée de 25 % chez les femmes traitées par le leuprolide. Parmi les effets indésirables potentiellement liés au traitement, on retiendra des céphalées, présentes dans les deux groupes mais moins fréquentes sous diénogest, un moindre impact du diénogest sur la libido, le moral ou le sommeil. La gêne mammaire, l’humeur dépressive et l’acné, retrouvées chez environ 5 % des femmes traitées par diénogest, s’atténuent habituellement au cours des premiers mois de traitement.
• L’étude VISADO a ciblé une population particulière, les adolescentes ayant une endométriose suspectée ou confirmée par cœlioscopie(4). Cette étude multicentrique en ouvert a évalué la tolérance et l’efficacité du diénogest 2 mg pendant 52 semaines en s’intéressant plus particulièrement à l’impact éventuel sur la densité minérale osseuse (DMO), dans un contexte où les agonistes de GnRH sont contre indiqués. Sous traitement par diénogest, une diminution modérée de -1,2 % de la DMO lombaire a été observée ; cette diminution a été suivie d’une restauration quasi intégrale 6 mois après l’arrêt du traitement. On peut donc en conclure que, après évaluation du rapport bénéfice/ risque, le diénogest pourrait être utilisé dans cette population jeune, en raison de sa très bonne efficacité (81 % de réponses à la 24e semaine de traitement ; au moins 30 % de réduction du score EVA comparativement à l’inclusion), et de sa bonne tolérance osseuse. Le diénogest est ainsi positionné en 2e intention dans la stratégie thérapeutique de l’endométriose chez les adolescentes après la contraception estroprogestative ou microprogestative.
• Une récente revue des essais sur l’efficacité du diénogest à long terme a compilé 13 études d’une durée de 12 à 60 mois(5), elle montre une amélioration de la douleur, de la qualité de vie et de la fonction sexuelle. Cette revue rapporte également les données sur l’efficacité du diénogest dans la prévention des récidives d’endométriome (1 à 2 % selon les études) et son effet sur la réduction de la densité minérale osseuse, modérée et inconstante, et s’améliorant partiellement à l’arrêt du traitement.
• Une réduction de volume des endométriomes ovariens a été mise en évidence dans une étude prospective cas-témoins ayant comparé 40 femmes traitées par diénogest 2 mg en continu à 41 femmes traitées par éthinylestradiol 30 μg/diénogest 2 mg en prise cyclique 21/28 jours ; une efficacité sensiblement identique a été observée dans les deux groupes sur les symptômes, mais le diénogest seul a davantage réduit le volume des endométriomes(6).
• Enfin, une métaanalyse récente a montré que le risque de récidive post-chirurgical est réduit sous traitement par diénogest comparativement au groupe témoin sans traitement (2 % vs 29 %)(7).
L’ensemble des études réalisées avec le diénogest confirme son efficacité et sa bonne tolérance dans le traitement de l’endométriose. Ce progestatif est administré à la dose de 2 mg en continu. Il n’a pas été développé dans un but contraceptif et par conséquent ne dispose pas d’un indice de Pearl. Pour bénéficier d’un effet contraceptif, une certaine rigueur dans les prises est nécessaire, surtout durant le premier mois de traitement. Le risque d’ovulation est néanmoins très faible.
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