Publié le 13 mai 2020Lecture 5 min
Douleur chronique et sexualité : la nécessité d’une approche bio-psycho-sexologique
Emilie Moreau(1), Axelle Romby(2), Psychologue sexologue, Médecin sexologue
Douleur chronique et bien-être sexuel sont intimement liés. Que nous parlions de douleurs de localisation génitale ayant un impact directsur le fonctionnement sexuel ou de douleurs plus générales, elles ont un retentissement sur la capacité des personnes en souffrant à pouvoir investir leur corps en tant qu’objet de plaisir, sur leur capacité à être désirant et se sentir désirée. Le corps devient un objet de souffrance, souffrance qu’il faut aider à soulager d’un point de vue somatique mais également psychologique.
Impact des douleurs chroniques sur la sexualité
Un certain nombre d’études se sont penchées sur le lien entre sexualité et douleur. Menée dans un centre de prise en soins de la douleur, une étude britannique a montré que 77 % des répondant•e•s avaient des difficultés sexuelles en lien avec leur vécu douloureux. Ces difficultés pouvaient combiner troubles de l’excitation, exacerbation de la douleur, impact sur la confiance en soi, angoisse de performance et problème relationnel(1). Prenons l’exemple des lombalgies chroniques qui sont assez répandues en population générale (17 % de personnes ayant une lombalgie de plus de 30 jours dans les 12 derniers mois selon une étude réalisée par l’Insermen 2002/2003(2)). Une étude marocaine a montré des difficultés sexuelles chez 72 % des femmes de leur échantillon de personnes souffrant de lombalgie chronique, avec une diminution de la libido chez 14 % des patientes, 97 % évoquant des positions sexuelles douloureuses et une diminution importante de la fréquence des rapports sexuels (-10,4 % par mois)(3). De la même manière, 57% des patient•e•s souffrant de polyarthrite rhumatoïde rapportaient dans une étude autrichienne avoir au moins parfois des difficultés sexuelles. Le désir sexuel, la fréquence des rapports sexuels et la satisfaction sexuelle globale étaient corrélées au niveau d’handicap physique présenté par les patient•e•s(4).
Les douleurs pelviennes, un symptôme multifactoriel
Une étude américaine portant sur une cohorte de femmes suivies dans un centre de référence de prise en soins de l’endométriose et des douleurs chroniques pelviennes a cherché à identifier les facteurs associés à ces douleurs. Ont été retrouvés associés de manière indépendante : les douleurs de la paroi abdominale, une hypersensibilité du plancher pelvien, le syndrome de la vessie douloureuse, de plus hauts scores à l’échelle de dramatisation face à la douleur, des violences sexuelles à l’âge adulte, un plus haut indice de masse corporelle, un tabagisme actif et une histoire familiale de douleur chronique(5). Causes ou conséquences, ces éléments médicaux, sociaux, psychologiques et historiques illustrent la complexité de ces problématiques douloureuses et la nécessité d’une vision holistique de leur prise en soins.
Un lien connu entre vécu de violences, maladie et douleurs chroniques
Il semble important ici d’évoquer le lien entre le vécu de violences, les maladies et les douleurs chroniques démontré par de nombreuses études. Des scores de douleurs plus élevés, une augmentation des troubles du fonctionnement pelvien et un taux plus élevé de dyspareunie sont retrouvés chez les femmes ayant été victimes d’harcèlement et/ou de violences(6). Une étude de cohorte américaine retrouve quant à elle une prévalence de violences subies de 25 % chez des adolescent•e•s de 13 à 17 ans. L’étude montre que l’exposition aux violences est associée à des taux plus élevés de douleur de dos, de maux de tête, de douleurs chroniques, d’allergies et d’asthme, et ce après ajustement sur les données socio-démographiques, socioéconomiques et de troubles psychiques(7). Les douleurs liées à des troubles musculo-squelettiques et les troubles fonctionnels sont également plus fréquemment retrouvés chez les femmes ayant été victimes de violences(8). Ce constat doit nous pousser à poser plus largement la question des violences sexuelles, et ce notamment lorsque les patientes se plaignent de douleurs chroniques et/ou de problématiques sexuelles.
Le syndrome pudendal, méconnu et très probablement sous-diagnostiqué Le syndrome du canal d’Alcock, ou névralgie pudendale, est lié à la compression chronique du nerf pudendal dans la fossette ischiorectale ou au niveau du ligament sacro-épineux. Son diagnostic est clinique et souvent méconnu. Pour rappel anatomique, le nerf pudendal émerge du plexus sacré S2-S3-S4. C’est un nerf mixte, transmettant les influx somatosensoriels des organes génitaux et portant les fibres motrices aux muscles du périnée, ainsi que les fibres végétatives. D’un point de vue clinique, les douleurs sont à type de paresthésies ou de brûlures, spontanées, permanentes, de siège périnéal, qui irradient vers la vulve, le scrotum et l’anus. Elles peuvent être augmentées par la position assise et les patientes évoquent parfoisla sensation d’un corps étranger intravaginal ou intrarectal. L’examen clinique est souvent normal, un toucher rectal qui déclenche la douleur à la palpation de l’épine ischiatique conforte les soupçons diagnostiques. Ce syndrome estsouvent recherché suite à l’évocation d’une douleur sexuelle en consultation ; or, très peu d’étudess’intéressant au lien entre sexualité et névralgie pudendale sont actuellement menées.
Douleurs somatiques et aspects psycho-sexologiques
Outre sa dimension somatique, la douleur est envahissante psychiquement, laissant peu de place à la motivation à initier une activité sexuelle. La gestion de la douleur est prioritaire avant l’initiation d’une sexothérapie à proprement parler. Il s’agira de proposer une orientation vers des centres spécialisés dans le traitement de la douleur ainsi que vers des thérapeutes psychosomaticien•ne•s. Cet accompagnement visera principalement la réduction de la douleur et l’adaptation à l’état de santé. Si la sphère de la sexualité est particulièrement dégradée, la sexothérapie est évidemment indiquée. Le travail thérapeutique aura différents objectifs tels que l’intériorisation d’un nouveau schéma corporel, l’élaboration de stratégies d’adaptation permettant la préservation d’une qualité de vie sexuelle satisfaisante ou encore l’intégration du/de la partenaire dans la gestion de ces stratégies.
Conclusion
Trop peu d’études s’intéressent à l’impact des pathologies douloureuses sur la santé sexuelle des femmes qui en souffrent. Or, le bien-être et la satisfaction sexuels peuvent être des éléments importants d’une meilleure qualité de vie en générale. En conclusion, il existe un lien fort entre douleurs chroniques et altération de la qualité de vie sexuelle. Cette donnée doit nous pousser à questionner plus régulièrement la sexualité des personnes souffrant de maladie et de douleur chronique afin de leur proposer une prise en soins adaptées à cette situation.
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