Obstétrique
Publié le 25 mai 2020Lecture 9 min
Qu’est-ce que la chorioamniotite aujourd’hui ?
Émeline MAISONNEUVE, Paris
Historiquement, l’infection du chorion et de l’amnios a été appelée « chorioamniotite ». Bien que ce terme soit habituellement utilisé, le terme « infection intra-amniotique » (IIA) est aussi régulièrement retrouvé, étant donné qu’il implique une infection du liquide amniotique, du placenta, des membranes amniotiques, voire du cordon ombilical et du foetus. Du point de vue anatomo-pathologique, le terme « chorioamniotite histologique » correspond à une infiltration par les polynucléaires neutrophiles du chorion et des membranes, survenant parfois sans signes cliniques évidents d’infection.
Il existe 4 aspects de la chorioamniotite : clinique, bactériologique, biochimique et histologique(1-3). Ces 4 versants de la chorioamniotite sont retrouvés dans la littérature, mais ils correspondent à des critères diagnostiques différents. De ce fait, devant l’hétérogénéité et l’intrication de toutes ces définitions, une conférence de consensus américaine a élaboré en 2016 de nouveaux critères de chorioamniotite, et en particulier la « triple I » signifiant « infection ou inflammation intra-utérine ou les 2 » (4). Les définitions respectives de toutes ces entités vont être exposées, afin de clarifier les termes à employer en 2019.
Physiopathologie
La migration ascendante des germes de la flore vaginale tels que Escherichia coli et le streptocoque du groupe B (Streptococcusagalaciæ) à travers le canal cervical est la principale cause d’IIA (figure 1). Rarement, l’infection se fait par voie hématogène transplacentaire lors d’une bactériémie maternelle (Listeria monocytogenes). Exceptionnellement, en cas de geste invasif tel qu’une amniocentèse, une infection intra-amniotique iatrogène peut survenir, du fait d’une performation accidentelle d’une anse intestinale maternelle.
Figure 1. Sites potentiels d’infection bactérienne dans l’utérus. (D’après Goldenberg et coll, Intrauterine infection and preterm delivery, New England Journal of Medicine 2000)(2).
Enfin, l’infection par voie rétrograde provenant du péritoine en passant par les trompes de Fallope est très rare. L’infection bactérienne entraîne une réponse inflammatoire chez la mère et le fœtus, conduisant souvent à la mise en travail et/ou la rupture des membranes(2,5). Les facteurs maternels et/ou fœtaux locaux jouent un rôle dans la prédisposition ou la protection contre l’infection. La glaire intracervicale, les membranes amniotiques et le placenta représentent des protections contre les infections ascendantes et hématogènes, alors que la rupture des membranes (RPM) supprime les 2 premières barrières. La flore vaginale contenant les lactobacilles de Döderlein représente également une protection contre les autres germes pouvant coloniser le vagin. L’acide lactique qu’ils produisent par hydrolyse du glycogène maintient le pH vaginal entre 3,8 et 4,5 et cette acidité constitue un moyen essentiel de contrôle de la prolifération de la plupart des pathogènes(6).
Incidence
L’incidence de la chorioamniotite est très variable selon les publications: selon le type d’étude (prospective ou rétrospective), selon la population concernée (naissances prématurées ou à terme) et surtout selon la définition utilisée (clinique versus histologique)(7).
La prévalence de l’IIA selon les données microbiologiques est très variable selon l’âge gestationnel: avant 37 SA, elle représente 40-70 % des naissances prématurées spontanées, c’est-à-dire suivant des menaces d’accouchement prématuré ou des RPM préterme(8) ; après 37 SA,elle concerne 1 à 4 % de toutes les naissances aux États-Unis(9,10).
Le taux de chorioamniotite clinique (CAC) varie ainsi de manière inversement proportionnelle à l’âge gestationnel : elle concerne 20 % des naissances prématurées avant 27-28 SA et 10 % entre 26 et 35 SA(11-13). De même, l’incidence de la chorioamniotite histologique(CAH) diminue avec l’âge gestationnel : 94 % de CAH entre 21 et 24 SA, diminuant jusqu’à 5 % de CAH après 41 SA(14). La vascularite fœtale, définie par une infiltration par les neutrophiles des vaisseaux du chorion et/ou du cordon, est également inversement corrélée à l’âge gestationnel et son incidence diminue de 60 % à 23-24 SA jusqu’à 34 % à 31-32 SA(15).
Définitions
Les 4 principales définitions de la chorioamniotite sont représentées sur la figure 2. Elles sont toutes les 4 étroitement intriquées.
Figure 2. Schéma illustrant les intrications entre les 4 définitions de la chorioamniotite: clinique, histologique, microbiologique et biochimique. PCR : Polymerase Chain Reaction ; bpm : battements par minute
Chorioamniotite clinique (CAC)
La plupart des auteurs s’accordent sur la définition suivante issue des critères de Gibbs(1,16) : fièvre supérieure à 37,8° C (100° F) ou 38° C (100,4° F) et au moins 2 items parmi les 5 suivants :
tachycardie maternelle supérieure à 100/min,
douleur utérine,
hyperleucocytose maternelle ≥ 15 000/mm3,
leucorrhées ou liquide amniotique fétide,
tachycardie fœtale supérieure à 160/min.
La CAC est généralement monobactérienne, les germes les plus fréquents étant Escherichia coli et Streptococcus agalactiae, en particulier après rupture prématurée des membranes(2).
Cette définition clinique est précise, mais peu spécifique,car elle ne stipule pas qu’il faut avoir éliminé toutes les causes de fièvre maternelle (comme la pyélonéphrite aiguë) avant d’affirmer qu’il existe une authentique CAC.
Chorioamniotite microbiologique
La chorioamniotite microbiologique a été mise en évidence par la pratique d’amniocentèses chez des patientes présentant une menace d’accouchement prématuré à membranes intactes(17).
Les principaux germes responsables de colonisation amniochoriales ont : Urea plasmaurealiicum, Peptostreptococcus, Gardnerella vaginalis, Fusobacterium (2,13,18). La culture microbiologique du liquide amniotique est considérée comme le test le plus spécifique pour authentifier une infection intra-amniotique (IIA), mais il est limité par son caractère invasif et par le fait que les résultats sont disponibles en plus de 48 heures (soit par coloration de Gram et culture, soit par PCR pour les germes intracellulaires).
Chorioamniotite biochimique
La majorité des chorioamniotites à membranes intactes sont infracliniques. La concentration d’IL-6 amniotique mesurée après amniocentèse pourrait être un bon reflet du syndrome inflammatoire systémique fœtal(13,19).
L’inflammation peut exister même quand les cultures bactériennes sont négatives(18). Cependant, cet examen invasif est actuellement réalisé uniquement dans le cadre de la recherche.
Chorioamniotite histologique (CAH)
Le diagnostic de CAH est réalisé à partir de l’examen anatomopathologique du placenta. La CAH est ainsi définie par une infiltration diffuse par les polynucléaires neutrophiles des différents sites placentaires. La CAH représente une réponse inflammatoire maternelle, alors que la funiculite représente une réponse inflammatoire fœtale. Ces 2 entités sont représentées sur les figures 3 et 4(18). L’IIA est généralement considérée comme la cause de la chorioamniotite aiguë et de la funiculite. Cependant, une inflammation intra-amniotique « stérile » peut survenir en l’absence de micro-organismes mis en évidence(14,18).
Figure 3. Migration des polynucléaires neutrophiles de la déciduale vers les membranes amniotiques (d’après Kim et coll, Acute chorioamnionitis and funisitis: definition, pathologic features, and clinical significance. AJOG2015)(14).
A. Histologie normale des membranes amniotiques, du chorion et de la déciduale. Les astérisques noires montrent les capillaires maternels contenus dans la déciduale.
B. En cas d’infection intra-amniotique, les polynucléaires neutrophiles provenant des capillaires maternels migrent à travers la déciduale et le chorion vers les membranes amniotiques.
La classification la plus utilisée et recommandée par le Comité sur la nosologie de l’infection intra-amniotique de la société d’anatomopathologie pédiatrique est celle décrite par Redline en 2003(3,20). Dans cette classification, le terme « stade » fait référence au site touché par l’infiltration par les neutrophiles et le terme « grade » fait référence à l’intensité du processus inflammatoire aigu à un site donné.
Chorioamnioite (réponse maternelle) :
stade 1 (précoce), stade 2 (intermédiaire), stade 3 (tardif) ;
grade 1 : sans, grade 2 : avec micro-abcès subchoriaux.
Funiculite (réponse fœtale) :stade 1 (précoce) : phlébite ombilicale, vascularite choriale ; stade 2 (intermédiaire) : artérite ombilicale ; stade 3 (tardif) : périvascularite concentrique du cordon ombilical (« funiculite nécrosante »),
grade 1 : sans ; grade 2 : avec thrombi récents non occlusifs des vaisseaux choriaux.
L’avantage de cette définition est qu’elle est précise et reproductible, avec plusieurs niveaux de sévérité. Son principal inconvénient est que l’information sur la présence d’une CAH parvient aux cliniciens après la naissance de l’enfant et n’est donc pas exploitable en anténatal.
Figure 4. Topographie du processus d’inflammation du cordon ombilical. (D’après Kim et coll, Acute chorioamnionitis and funisitis: definition, pathologic features, and clinical significance. AJOG2015)(14).
A. Typiquement, la funiculite commence par l’inflammation de la veine ombilicale (phlébite), puis des artères ombilicales (artérite).
B. Progression de l’inflammation le long du cordon ombilical : la phase initiale est multifocale, puis il y a une coalescence des zones d’inflammation.
Syndrome de réponse inflammatoire fœtal (SRIF)
Il a été défini par Gomez et al. en montrant qu’une concentration en Interleukine 6 (IL-6) supérieure à 11 pg/ml au sang du cordon était associée à une augmentation de la morbidité néonatale sévère, par l’intermédiaire d’une cordocentèse réalisée chez des patientes présentant un travail prématuré et ou une RPM(21). Au niveau anatomopathologique, on considère que la funiculite aiguë correspond au versant histologique du SRIF(14,22).
Nouvelle entité "Triple"
La chorioamniotite regroupe ainsi plusieurs entités hétérogènes que sont l’inflammation et l’infection, de sévérité et de durée variables.
Une conférence d’experts américains (National Institute of Health et Eunice Kennedy Shriver National Institute of Child Health and Human Development) s’est réunie en 2015 afin de faire le point sur la définition de la chorioamniotite et a proposé de remplacer ce terme par « infection ou inflammation intra-utérine ou les 2 », soit « triple I »(4). Cette entité est évidemment bien différente de l’hyperthermie maternelle isolée.
La « triple I » peut être suspectée si les critères de CAC sont présents, puis confirmée s’il existe une preuve d’infection bactériologique ou histologique. Le panel d’experts recommande d’utiliser dorénavant le terme « chorioamniotite » uniquement pour l’entité histologique(4) (tableau 1).
Tableau 1. Caractéristiques de la fièvre isolée et de la triple I (d’après Higgins et coll(4)).
Terminologie
Caractéristiques et commentaires
Fièvre maternelle isolée (fièvre « documentée »)
Température maternelle ≥ 39° C (102,2° F) quel que soit le site de mesure. Si la température mesurée par voie orale est comprise entre 38° C(100,4° F) et 39° C (102,2° F), répéter la mesure après 30 minutes ; si la mesure reste ≥ 38° C, la fièvre est documentée.
Triple I suspectée
Fièvre sans cause évidente retrouvée, associée à au moins un des items suivants :
• tachycardie fœtale (rythme de base ≥ 160 bpm pendant ≥ 10 min, en excluant les accélérations, décélérations et périodes de variabilité augmentée),
• hyperleucocytose maternelle ≥ 15 000/mm3 avant toute prise de corticothérapie à visée fœtale,
• écoulement purulent provenant de l'endocol.
Triple I confirmée
Tous les critères ci-dessus associés à :
• infection du liquide amniotique prouvée par coloration de Gramaprès amniocentèse,
• glucosamnie basse, leucocytes élevés ou culture positive sur le liquide amniotique,
• signes de chorioamniotite sur l'histologie placentaire
Les analyses réalisées sur liquide amniotique sont supposées être réalisées par amniocentèse.
Toutefois, cette entité « triple I » est difficilement utilisable en France, en particulier, car l’immense majorité des équipes ne pratiquent pas d’amniocentèse à visée diagnostique en cas de suspicion de chorioamniotite infra-clinique. Pour valider une « triple I », il faudrait donc qu’une CAC soit confirmée par une CAH sur l’examen anatomopathologique du placenta.
Conséquences
Sur le plan maternel, l’IIA augmente le risque de travail dystocique, de césarienne pendant le travail, d’atonie utérine et d’hémorragie du post-partum. Les patientes ont également plus de risque de développer un sepsis ou une endométrite du post-partum. Sur le plan obstétrical, l’IIA est associée à une augmentation du risque de fausse-couche tardive et de naissance prématurée. Enfin, concernant le nouveau-né, l’IIA est corrélée à une augmentation du risque de sepsis néonatal précoce, de méningite, de décès néonatal et des complications de la prématurité.
Néanmoins, les études et méta-analyses restent discordantes concernant l’impact de la chorioamniotite sur le risque de paralysie cérébrale et sur le devenir neuro-développemental de ces enfants(7,23).
Conclusion
Les 4 aspects de la chorioamniotite (clinique, bactériologique, biochimique et histologique) correspondent à des critères diagnostiques différents et sont étroitement intriqués. Si tous les critères cliniques sont réunis, il faut bien préciser que la chorioamniotite est clinique.
Dans la littérature américaine, la chorioamniotite est histologique, par défaut. Un panel d’experts américains a proposé en 2016 la terminologie « triple I » correspondant à « infection ou inflammation intra-utérine ou les 2 », pour permettre d’avoir une définition plus homogène et plus spécifique de l’infection intra-amniotique.
Cependant, les critères de confirmation de cette définition nécessitent une amniocentèse et/ou sont le plus souvent disponibles seulement en post-natal, ce qui n’est pas pertinent en pratique clinique. Il existe une littérature très riche sur les critères anténataux d’IIA depuis les 30 dernières années et leurs conséquences sur le devenir des enfants. L’identification d’un test diagnostique non invasif d’IIA reste ainsi un sujet de recherche prioritaire.
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