Publié le 19 avr 2019Lecture 11 min
Sédentarité et santé
Martine DUCLOS, CHU Clermont-Ferrand, service de médecine du sport, Université Clermont Auvergne, INRA, UNH, Unité de Nutrition Humaine, CRNH Auvergne, Clermont-Ferrand
Au cours de ces dernières années, de nombreuses publications ont démontré que l’activité physique régulière est un facteur de santé, à la fois en termes de prévention des principales maladies chroniques mais aussi dans le cadre de leur prise en charge. À l’inverse, l’inactivité physique et les comportements sédentaires (temps éveillé passé assis) sont tous les deux des facteurs de risque à part entière pour la santé.
Les recommandations pour un mode de vie actif pour la santé sont de pratiquer une activité physique (AP) régulière associant endurance et renforcement musculaire (pour maintenir la masse musculaire) et de diminuer les temps passés assis dans la journée. Cependant, pour beaucoup, il existe une confusion entre les termes d’AP et de sport, alors que le sport n’est qu’une des composantes de l’AP, et entre inactivité physique et sédentarité. Les effets respectifs de l’AP et de la sédentarité sur la santé sont encore insuffisamment connus.
En 1958, dans sa publication princeps, J. Morris avait mis en évidence la surmortalité cardiovasculaire des conducteurs de bus anglais physiquement inactifs et sédentaires, car assis toute la journée, par rapport à celle des contrôleurs de ces mêmes bus, qui montaient à l’étage du bus et parcouraient ses couloirs toute la journée. Depuis, d’autres publications ont démontré que l’AP régulière est un facteur de santé à la fois en termes de prévention des principales maladies chroniques, de maintien voire d’amélioration du capital santé et de la prise en charge de la plupart des maladies chroniques(1,2). À l’inverse, l’inactivité physique est la première cause de mortalité évitable dans les pays développés. Elle est responsable de plus 5 millions de décès par an dans le monde et de 10 % des décès en Europe(3). Un autre fléau lié à notre mode de vie se surajoute à l’insuffisance d’activité physique : la sédentarité.
Activité physique, inactivité physique, sédentarité : de quoi parle-t-on ?
L’activité physique (AP) est définie comme « tout mouvement corporel produit par la contraction des muscles squelettiques entraînant une augmentation de la dépense énergétique par rapport à la dépense énergétique de repos »(1). Elle constitue la composante la plus variable de la dépense énergétique totale d’un individu. L’AP regroupe l’ensemble des activités qui peuvent être pratiquées dans différents contextes avec quatre principaux domaines de pratique : le travail, les déplacements, les activités domestiques et les loisirs. Ces derniers incluent l’exercice, le sport et l’AP de loisir non structurée(1).
L’AP est avant tout un comportement qui peut être caractérisé par plusieurs paramètres : son type (activités développant la capacité cardio-respiratoire ou endurance aérobie, activités développant les fonctions musculaires ou renforcement musculaire, activités d’équilibre, activités de souplesse et mobilité articulaire), son intensité, sa durée, sa fréquence, voire son contexte de pratique (AP supervisée ou non).
Le terme « inactif » caractérise un niveau insuffisant d’AP d’intensité modérée à élevée pour la santé, c’est-à-dire inférieur au seuil d’AP recommandé, soit 30 minutes d’AP d’intensité modérée au minimum 5 fois par semaine pour les adultes et 60 min/j pour les enfants et adolescents(1).
La sédentarité (ou comportement sédentaire) est définie comme une situation d’éveil caractérisée par une dépense énergétique faible (inférieure à 1,6 MET [Metabolic Equivalent Task, multiple du métabolisme de repos]) en position assise ou allongée. Le comportement sédentaire est reconnu comme un comportement distinct du comportement d’AP avec ses effets propres sur la santé et il ne peut pas être uniquement défini par le manque d’AP(1).
Sa mesure (heures/jour) nécessite de considérer le temps passé assis lors des déplacements utilisant des moyens de transports passifs (voiture, transports en commun), lors des loisirs (temps d’écrans [TV/vidéo/ordinateur], de lecture, etc.) et lors du travail. Il faut la mesurer lors des jours travaillés et lors des jours non travaillés, au cours d’une semaine typique (encadré).
Passer trop de temps assis : un sur-risque pour la santé
La revue et méta-analyse de Wilmot et coll.(4) a montré que les sujets qui passaient le plus de temps assis avaient un risque significativement augmenté de diabète de type 2 (DT2) (RR 2,12 ; IC : 1,61-2,78) et d’évènements cardiovasculaires (RR 2,47 ; IC : 1,44-4,24). Le risque de mortalité était aussi significativement augmenté, mortalité toute causes confondues (HR 1,49 ; IC : 1,14-2,03) ou mortalité cardiovasculaire (HR 1,90 ; IC : 1,36-2,66).
La méta-analyse de Schmid et Leitzmann(5) démontre les relations entre incidence de cancers site-spécifiques et temps de sédentarité (différents domaines de la sédentarité ont été explorés par questionnaires : temps passé devant la télévision, temps assis pendant les loisirs, pendant le travail, et temps de sédentarité total). L’analyse a porté sur 43 études observationnelles incluant au total 68 936 cas de cancers. Les résultats mettent en évidence qu’un temps assis prolongé devant la télévision ou tout autre comportement sédentaire est associé à un risque significativement augmenté de cancer du côlon et de l’endomètre (comparaison entre les sujets ayant le temps le plus important vs le plus faible : cancer du côlon RR = 1,54 (IC : 1,19-1,98) pour le temps passé devant la télévision, RR = 1,24 (IC : 1,09-1,41) pour le temps assis pendant le travail et RR = 1,24 (IC : 1,03-1,50) pour le temps de sédentarité total ; cancer de l’endomètre : RR = 1,66 (IC : 1,21-2,28) pour le temps passé devant la télévision, RR = 1,32 (IC : 1,08-1,61) pour le temps de sédentarité total). Toute augmentation de 2 h par jour du temps de sédentarité est associée à une augmentation statistique significative de 8 % du risque de cancer du côlon et de 10 % du risque de cancer de l’endomètre. Ces associations persistent après ajustement pour l’IMC et l’AP.
Relations entre activité physique, inactivité et sédentarité : un sportif peut cacher un sédentaire
Une personne peut être physiquement active, en s’engageant régulièrement dans des AP tout en étant très sédentaire. Il est donc possible d’être actif et sédentaire, mais aussi physiquement inactif mais non sédentaire ; ces profils présentant tous deux des bénéfices et des risques sanitaires. Ainsi chez l’adulte, quatre profils peuvent être décrits : inactif et sédentaire, actif et sédentaire, inactif et non sédentaire, actif et non sédentaire.
L’activité physique et/ou sportive peut-elle atténuer les effets délétères du temps passé assis ?
Pour répondre à cette question, Ekelund et coll.(6) ont retenu et analysé 16 études de cohortes (1 million de sujets suivis pendant 2 à 18 ans) après avoir contacté tous les auteurs pour homogénéiser les méthodes de mesures (durée, intensité de l’AP). Les résultats montrent que l’AP selon les recommandations, voire au-delà, ne suffit pas à supprimer les effets de la sédentarité. Si passer 8 heures assis/jour chez des sujets qui ne pratiquent pas d’AP (< 5 min d’AP d’intensité modérée par jour) augmente le risque de mortalité pendant la période de suivi de 59 %, le risque de surmortalité est encore de 12 % chez les sujets pratiquant 25 à 30 minutes d’AP quotidienne et assis moins de 4 h/jour. Le risque ne disparaît que chez les sujets qui pratiquent 60 à 75 min d’AP d’intensité modérée par jour, donc qui ont un niveau d’AP situé largement au-dessus des recommandations. Ainsi, l’AP diminue le risque lié à la sédentarité, mais ne le fait pas disparaître, sauf chez les personnes réalisant plus de 60 minutes d’AP quotidienne. L’étude a aussi réalisé un focus sur le temps passé devant la télévision. Ainsi, une personne passant plus de 5 heures devant la télévision et pratiquant moins de 5 minutes d’activité physique voit son risque de mortalité augmenter de 90 %. Même 75 minutes d’activité physique et/ou sportive ne protègent pas du temps passé devant la télévision si celui-ci est supérieur à 5 heures. En effet, le temps passé devant la télévision est souvent associé au grignotage.
Impacts de l’activité physique régulière sur la santé
L’activité physique et sportive régulière est un facteur de santé à la fois en termes de prévention des principales maladies chroniques, de maintien, voire d’amélioration du capital santé et de la prise en charge de la plupart des maladies chroniques(1,2). Quelques chiffres résument, de façon non exhaustive, les principales données scientifiques.
Mortalité générale
L’AP régulière est associée, selon les études, à une réduction de la mortalité précoce de 29 à 41 %. La quantité minimale d’AP d’intensité modérée pour obtenir cet effet est de 15 minutes de marche tous les jours (diminution la mortalité précoce de 14 %) chez les sujets en bonne santé comme chez ceux présentant déjà une pathologie chronique (diabète, obésité, hypertension)(7).
Maladies cardiovasculaires
Une AP régulière, d’intensité modérée ou élevée, est associée à une diminution de 20 à 50 % du risque de pathologie coronarienne et de près de 60 % du risque de survenue d’accident vasculaire.
Cancers
• AP et prévention de la survenue d’un cancer
Une AP régulière permet d’éviter 20 à 25 % des cancers du sein, du côlon et de l’endomètre v(utérus), indépendamment des autres facteurs de risque(1).
• Effet de l’AP régulière sur la prévention des récidives de cancer
Les données récemment publiées portant sur l’impact de l’AP dans 7 cohortes prospectives de femmes porteuses d’un cancer du sein non métastasé, 6 cohortes de patients ayant un cancer colique non métastasé et 3 cohortes de patients ayant un cancer de la prostate non métastasé, suivis plusieurs années après la fin du/des traitement(s) retrouvent une association entre l’activité physique démarrée après le diagnostic du cancer et une diminution du risque relatif de décès par ce cancer, mais aussi lié à d’autres causes. Une activité physique régulière d’intensité modérée est associée à une réduction de près de 40 % du risque relatif de récidive du cancer et à une réduction de près de 40 % du risque relatif de décès par ce cancer. Ce gain de survie en cas de pratique de l’AP au décours des soins existe en analyse multi-variée intégrant les facteurs pronostiques classiques du cancer considéré.
• Autres effets bénéfiques de l’AP chez les patients atteints de cancer
Le rôle bénéfique de l’AP sur la fatigue et la qualité de vie a été démontré chez les patients atteints de cancer, pendant ou après les traitements, dans plusieurs essais thérapeutiques et méta-analyses avec un haut niveau de preuve.
Diabète de type 2
L’AP améliore la sensibilité à l’insuline quel que soit le niveau de tolérance au glucose. L’AP régulière permet de prévenir la survenue de la moitié des DT2 chez des sujets prédiabétiques (intolérants au glucose), indépendamment de l’IMC initial et de la prise en charge nutritionnelle. Ces effets sont maintenus à distance de l’arrêt de l’intervention ( jusqu’à 14 ans). Dans tous les cas, même si l’AP ne permet que de retarder l’apparition de la maladie, le retentissement sur l’état de santé des personnes peut être important car les complications du diabète sont étroitement liées à la durée d’exposition à l’hyperglycémie et aux cofacteurs de risque vasculaire. Un retard de l’apparition du diabète pourrait également générer un retard à l’apparition de ses complications, ce qui représente un véritable bénéfice en termes de morbi-mortalité.
Chez l’enfant
L’AP régulière augmente le capital osseux de 10 % (capital acquis pour toute la vie), ce qui permet chez la femme de retarder la survenue de l’ostéoporose (après la ménopause) de 13 ans (âge moyen de la survenue de la ménopause en France : 54 ans).
Chez la personne âgée
La pratique d’une AP peut retarder la survenue de la dépendance (perte de l’autonomie) de 7 à 10 ans. Les programmes d’AP reposant sur plusieurs types d’exercices (stimulation de l’équilibre et de la marche, exercices de renforcement musculaire), pratiqués en groupes, diminuent le taux de chutes de 29 % et le risque de chuter de 15 % (expertise collective INSERM 2015).
Les chiffres de l’AP et de la sédentarité : trop accros à nos sièges !
Quelles que soient les tranches d’âge, l’activité physique de la population est considérée comme insuffisante au regard des recommandations de l’OMS. L’enquête Eurobaromètre 2014 montre que le nombre de personnes de l’UE déclarant ne jamais pratiquer d’activité physique ou sportive a augmenté de 3 points de pourcentage depuis l’enquête de 2009 (il est passé de 39 % à 42 %).
Quel niveau de sédentarité en France ?
En France, l’étude Nutrinet, réalisée sur une cohorte de plus de 35 000 adultes âgés en moyenne de 45 ans et ayant une activité professionnelle, a estimé (auto-questionnaire) à environ 12 heures le temps moyen passé en position assise lors d’une journée de travail, et 9 heures lors d’une journée de congé. Ces résultats rejoignent les données rapportées dans les autres pays européens (Eurobaromètre 2014).
Que faire pour lutter contre la sédentarité de notre mode de vie ? Se lever le plus souvent possible
Les recommandations reposent sur deux objectifs complémentaires : réduire le temps total quotidien passé en position assise et rompre les périodes prolongées passées en position assise par quelques minutes de mouvements. Le temps quotidien assis peut être remplacé par une AP d’intensité modérée, mais aussi par une AP de faible intensité, voire la position debout. Ainsi, dans l’étude prospective du NIH (AARP Diet and Health Study, n = 154 614 sujets âgés de 50-71 ans, sans pathologie majeure connue, suivis 7 ans) un temps total assis plus élevé (≥ 12 h vs < 5 h/j) est associé à une augmentation des décès et notamment de la mortalité cardiovasculaire, mais remplacer 1 h/j de temps assis par 1 h d’AP modérée à intense diminue la mortalité de 58 % chez les sujets les moins actifs. Ainsi, remplacer 1 h de sédentarité par jour chez des sujets par 1 h d’AP légère de type marche à un rythme lent ou une AP domestique de faible intensité tous les jours diminuerait la mortalité respectivement de 24 % et de 20 %.
Pour atteindre le second objectif, il est proposé de se lever une minute toutes les heures ou 5 à 10 minutes toutes les 90 minutes, et par exemple de marcher.
Ces recommandations s’ajoutent aux recommandations d’activité physique (150 minutes par semaine d ’AP d ’intensité modérée ou 75 minutes par semaine d’AP d’intensité vigoureuse).
Conclusion
Un tiers des adultes français respecte les recommandations d’AP et le temps de sédentarité est en moyenne de 8 à 10 h par jour. Il est donc important d’agir sur les comportements d’AP et de sédentarité pour prévenir la survenue de la plupart des maladies chroniques non transmissibles. Remplacer du temps assis par du temps debout ou par des activités physiques de faible intensité et/ou rompre les temps prolongés assis par la position debout c’est déjà un pas actif vers plus de santé, et une santé durable.
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