Obstétrique
Publié le 10 nov 2017Lecture 8 min
Macrosomie fœtale : du dépistage à l’accouchement (ou) de la prophylaxie pour suspicion
Alain DIGUET, Hôpital Charles Nicolle, CHU de Rouen
La macrosomie fœtale concerne près de 9,5 % des fœtus ; chez les mères diabétiques, le pourcentage est d’environ 15 %(1). il existe de plus une importante corrélation entre le niveau de glycémie maternelle et l’élévation du poids fœtal(1). En pratique, la macrosomie expose à l’excès de morbidité tant pour la mère (augmentation des déchirures périnéales, extractions instrumentales et césariennes) que pour l’enfant (risque de dystocie des épaules et de lésion du plexus brachial, mais également hypoglycémie néonatale, détresse respiratoire, etc.). La problématique pour les équipes obstétricales est donc d’une part de dépister la macrosomie, et d’autre part d’adapter la prise en charge des femmes dont l’enfant est ainsi dépisté. On comprend qu’il existe un vrai challenge basé sur le principe (supposition) que le dépistage diminuerait la morbidité (balance bénéfices/risques) et dans l’hypothèse d’un diagnostic avéré (VPP excellente) – et l’expectative étant alors à bannir – décider un déclenchement ou au contraire, peut-être, opter pour une césarienne préventive ! À une époque où toute action s’inscrit sous l’égide de l’Evidence-Based Medicine, cela nécessite bien des preuves et démonstrations.
Du dépistage au diagnostic
Le premier élément problématique est la définition même de la macrosomie et, si l’on retient le plus souvent un poids de naissance supérieur à 4 000 g, il n’y a pas de réel consensus international. Au niveau clinique, que l’on emploie la célèbre méthode de Léopold (1836) ou la hauteur utérine (HU), la sensibilité du diagnostic est extrêmement variable (de 25 à 97 % selon les auteurs !) avec une spécificité un peu plus stable de 80 à 98 % pour une estimation pondérale fœtale (EPF) de plus de 4 000 g. Une HU supérieure à 38 cm semble présenter une bonne corrélation avec une EPF > 4 000 g(2).
Quant à l’échographie, l’EPF n’apparaît pas plus fiable que la HU(3,4). Globalement, en utilisant les mesures de diamètre bipariétal (BIP), de périmètre crânien (PC), de périmètre abdominal (PA) et de longueur fémorale (LF), et quelle que soit la formule mathématique utilisée, les marges d’erreur sont de l’ordre de 7 à 10 %, et une erreur médiane d’environ 300 g(5,6). Avec une sensibilité moyenne à peine supérieure à 70 % et une VPP de 55 % (résultats limités du fait d’importants taux de faux positifs et négatifs)(7,8), le principal intérêt de l’EPF serait d’identifier une population à plus haut risque, sachant que l’imprécision est plus importante pour les fœtus macrosomes que pour ceux en retard de croissance(9). Une revue de la littérature reprenant l’ensemble des formules mathématiques publiées au cours des 20 dernières années, indiquait que les plus précises seraient celles d’Hadlock(6) pour des EPF > 4 000 g, > 4 500 g ou > 90e percentile (avec cependant de faibles différences comparées aux autres formules). Il existait par ailleurs un likelihood ratio intéressant pour un PA ≥ 360 mm (déterminé à partir de courbes ROC)(10). Notons que si les courbes ajustées – proposées par Gardosi(11) dès 1992 – ont montré leur intérêt dans le dépistage des hypotrophes avec une meilleure spécificité, il existe moins de données pour les macrosomes. En 2010, un auteur a proposé une formule intégrant le poids maternel avec, semble-t-il, un pourcentage de dépistage plus élevé pour une EPF > 4 000 g et un taux d’erreurs moyennes moins important(12). Cependant, une métaanalyse également récente souligne qu’aucune formule n’atteint des sensibilité et taux de faux positifs suffisants pour des EFP > 4 500 g pour conduire à des recommandations cliniques(13). D’autres, observant que la masse graisseuse, notamment rhizomélique, augmente chez les fœtus de mères diabétiques, ont proposé de prendre en compte l’épaisseur des tissus mous. Après de nombreuses propositions, c’est actuellement l’évaluation du volume de cuisse (ou de bras) qui est à l’origine de publications et en particulier en échographie 3D.
En 2009, l’équipe de Lee(14,15) a montré qu’au 3e trimestre de grossesse, le volume de cuisse en 3D est corrélé au pourcentage de tissu mou, plus fiable que l’EPF seule(14), et a également montré l’intérêt de l’évaluation d’une fraction de membre dans le dépistage et le suivi des fœtus en restriction de croissance(15). Utilisant cette technique d’évaluation chez des fœtus de femmes diabétiques entre 34+0 et 36 SA+6j, Pagani(16) retrouve une meilleure spécificité pour prédire un poids > 4 000 g que pour l’EPF avec les formules d’Hadlock(6).
D’autres méthodes d’EPF sont en cours d’évaluation, comme l’utilisation de l’IRM qui semble prometteuse, mais elles ne pourront être utilisées en routine.
Ainsi, pour notre pratique quotidienne, il paraît raisonnable de retenir les bonnes corrélations d’une EPF > 4 000 g avec, d’une part, une HU > 38 cm et, d’autre part, en échographie avec un PA ≥ 360 mm et une EPF ≥ 95e percentile au-delà de 36 SA(6).
Prise en charge d’une suspicion de macrosomie
Reste à définir la prise en charge la plus adaptée, ce qui n’est pas le moindre défi, d’autant qu’il faut tenir compte des souhaits et projets parentaux… et respecter les recommandations !
Les recommandations
On rappellera ainsi que, suivant les recommandations pour la pratique clinique (RPC) relatives à la césarienne et publiées en 2000(17), « la macrosomie fœtale est associée à un excès de morbidité maternelle et fœtale (NP3), mais il n’existe pas de critères fiables de prédiction du poids fœtal ni de la dystocie des épaules (NP3) ». En conséquence, les RPC stipulent que :
« – en l’absence de diabète maternel, la suspicion de macrosomie n’est pas une indication à réaliser un déclenchement du travail (NP2) ou une césarienne systématique (NP3).
– en cas de diabète avec poids fœtal estimé supérieur à 4 250 ou 4 500 g (selon les études et en rappelant l’imprécision des estimations de poids fœtal), une césarienne avant travail est recommandée (NP3). »
Aux États-Unis, la même année, l’ACOG(18) indiquait que « en l’absence de diabète maternel, l’accouchement voie basse est autorisé jusqu’à 5 000 g », mais que « en cas de stagnation à dilatation complète ou non-engagement avec une EPF ≥ 4 500 g, une césarienne est préconisée ». Pour les Américains, les seuils pour envisager une césarienne préventive sont un peu différents des nôtres puisque les recommandations sont valables pour une EPF > 5 000 g pour les femmes non diabétiques et une EPF > 4 500 g chez les diabétiques. Recommandations quelque peu paradoxales quand on connaît les pratiques anglo-saxonnes et leurs taux de césariennes ! À l’opposé, les contre-indications à la voie basse seraient uniquement la suspicion de macrosomie sur utérus cicatriciel et les antécédents de lésions périnéales ou anales.
Pour quel objectif ?
La discussion actuelle concernant le déclenchement du travail ne doit pas perdre de vue l’objectif : diminuer les morbidités maternelle et périnatale, sans augmenter le nombre de césariennes. L’équation peut paraître insoluble, et toute indication confondue, il est classique de considérer que l’induction de travail aboutit à une augmentation des césariennes. Mais depuis plus de 20 ans (avec les publications de M. Hannah(19)), les polémiques vont bon train. Si pour les « termes dépassés » ou « en voie de dépassement », les métaanalyses d’études randomisées semblent montrer une baisse de la morbidité périnatale avec une stabilité(20) ou même une faible baisse des taux de césariennes(19), ces résultats restent discutés. Et dans le cas de la macrosomie, les données sont plus réduites. Quelques publications montraient que le déclenchement du travail n’améliore pas la mordibité(21,22) mais ne diminue pas non plus le taux de césariennes(22). Un travail de Little(23) indique d’ailleurs que le seul fait de suspecter la macrosomie induit plus de césariennes, ce qui paraît plus que vraisemblable !
Dans la revue pour la Cochrane, Boulvain et coll.(24) signalaient qu’il existait peu de preuve que le déclenchement réduise les risques de traumatismes liés à la macrosomie. D’un autre côté, un essai randomisé réalisé chez des femmes diabétiques insulinées après 38 SA (déclenchement versus expectative) retrouvait moins de macrosomes à la naissance (10 % vs 23 %) et moins de dystocie des épaules (0 % vs 3 %) dans le groupe déclenchement(25). Devant ces données discordantes, l’équipe suisse de M. Boulvain(5) a conduit un essai randomisé collaboratif européen (15 centres en Suisse, Belgique et France). Entre 2002 et 2009, 822 femmes ont été incluses. Il s’agissait de comparer deux groupes : 409 femmes pour lesquelles le déclenchement a été proposé entre 37 et 38 SA et 413 pour lesquelles l’expectative était décidée.
Dans le premier groupe, la méthode de déclenchement était laissée libre à l’obstétricien. Les résultats de cette étude (DAME) viennent d’être publiés et les conclusions sont d’abord que le déclenchement réalisé entre 37 et 38 SA diminue effectivement le risque de dystocie des épaules (n = 5 (1,2 %) vs 16 (3,9 %) RR 0,32 ; IC : 0,12-0,85) ou de fracture de clavicules (n = 2 (0,5 %) vs 8 (1,9 %) ; RR 0,25 ; IC : 0,051,18), et cela, sans pour autant augmenter le risque de césarienne (n = 114 (2,8 %) vs 130 (31,6 %) ; RR 0,19 ; IC : 0,72-1,09), tout en diminuant le risque d’intervention lors de l’accouchement par voie naturelle (n = 54 (13,3 %) vs 68 (16,3 %) ; RR 0,80 ; IC : 0,58-1,12). Les auteurs proposent donc qu’en l’absence de facteurs défavorables au déclenchement, les femmes dont le fœtus serait suspect de macrosomie (à partir d’une EPF ≥ 95e percentile*) soient déclenchées entre 37 SA et 38 SA.
Pour séduisant qu’il soit, cet essai ne répond cependant pas à toutes les questions et il peut être discutable de déclencher avant 38 SA. Une étude, certes rétrospective mais portant sur plus de 130 000 femmes, et publiée en 2012, apportait des arguments encourageant à patienter, en montrant que le déclenchement réalisé après 39 SA (pour des poids ≥ 4 000 ± 125 g) pouvait aussi diminuer le risque de césarienne (OR 1,25 ; IC : 1,17-1,33) et abaisser la morbidité de la macrosomie sans prendre les risques connus d’un déclenchement trop précoce(26).
Au total
Ainsi, il est probable que ce ne soit là que le début d’une argumentation comme l’Hexagone et dorénavant l’Europe savent en débattre. Quoi qu’il en soit, il apparaît opportun de s’interroger sur la pertinence de l’EPF avant d’envisager un déclenchement, et si la macrosomie apparaît certaine, alors dans les conditions de col favorables, notamment chez les femmes diabétiques, l’induction du travail au-delà de 39 SA peut être envisagée. Dans les autres conditions, le suivi des recommandations nationales reste sûrement une attitude plus adaptée.
*Pour mémoire, cela correspond à une EPF ≥ 3 700 g à 37 SA et à environ 200 g de moins la semaine d’avant soit ≥ 3 500 g à 36 SA et à environ 200 g de plus la semaine suivante soit ≥ 3 900 g à 38 SA.
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