Publié le 07 oct 2008Lecture 8 min
Troubles des conduites alimentaires et maternité
C. LAMAS Institut Mutualiste Montsouris, Paris
La grossesse paraît constituer une période de remaniement des troubles des conduites alimentaires (TCA), offrant deux voies de réorganisation des troubles, soit dans le sens d’un assouplissement des conduites, soit au contraire d’une majoration, voire d’une réapparition des conduites défensives. À ce titre, elle constitue bien une période de vulnérabilité, sans doute via les modifications majeures du schéma corporel dont elle s’accompagne, pour les femmes présentant ou ayant présenté des TCA. Ces modifications majeures et rapides du schéma corporel sont semblables par certains aspects au bouleversement physiologique et psychologique de la puberté et susceptibles de réactiver certaines problématiques, notamment autour de l’investissement de l’image et du corps, de la relation à l’alimentation.
Les recherches consacrées aux intrications entre grossesse et troubles des conduites alimentaires (TCA) étaient peu nombreuses et peu rigoureuses jusqu’à ces dernières années. La relative désaffection de ce thème et le regain d’intérêt actuel s’expliquent sans doute par de multiples raisons tenant à l’augmentation de la prévalence des TCA, notamment des formes subcliniques dans les sociétés occidentales, à l’accès possible à la maternité, via les techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP), de femmes présentant des troubles de la fertilité directement ou indirectement liés à des TCA, aux modifications de l’expression symptomatique avec la fréquence croissante de formes mixtes de TCA ou d’évolution vers des conduites boulimiques des cas d’anorexie restrictive (50 %)… Une partie des femmes concernées par des prises de poids insuffisantes ou excessives au cours de la grossesse pourrait souffrir de troubles du comportement alimentaire insuffisamment pris en compte dans la formulation des conseils et recommandations donnés autour de l’alimentation pendant la grossesse. Le dépistage de ces femmes lors de la consultation du premier trimestre pourrait permettre un meilleur accompagnement tout au long de la grossesse et au décours, en répondant davantage à leurs préoccupations. Insufficance alimentaire ou surchage pondérale : quels sont les risques ? Lors d’une alimentation insuffisante, les conséquences maternelles et foetales sont souvent limitées du fait de l’adaptation des échanges materno-foetaux. Cependant, les besoins foetaux ne sont couverts, lors des apports alimentaires insuffisants, qu’au détriment des réserves de la mère, avec un possible retentissement chez celle-ci. À l’inverse, les équipes obstétricales alertent de plus en plus sur les complications obstétricales possibles d’une surcharge pondérale antérieure à la grossesse et/ou consécutives à une prise de poids excessive au cours de la grossesse conduisant à considérer ces grossesses comme « à risque » : • fréquence accrue des troubles de la tolérance glucidique et diabète gestationnel ; • complications vasculo-rénales et fréquence accrue de l’hypertension artérielle et de la toxémie gravidique ; • macrosomie foetale qui est fonction à la fois du poids maternel avant la grossesse et de la prise de poids gravidique ; • complications obstétricales liées à la macrosomie foetale : traumatisme cérébral, dystocie des épaules, lésions du plexus brachial, fractures de la clavicule, déchirements vulvo-périnéaux ; • élévation du taux de césariennes et morbi-mortalité accrue de ces césariennes (endométrites, phlébites, complications infectieuses) ; • augmentation du risque d’hémorragies de la délivrance. TCA et grossesse On assiste ces dernières années à la multiplication de publications consacrées aux intrications entre grossesse et TCA. Les quelques études en population générale concernant le comportement alimentaire et les préoccupations des femmes autour de leur apparence et de leur poids pendant la période de la grossesse sont en faveur d’une décroissance des préoccupations concernant le poids et l’alimentation pendant la grossesse et d’un retour au niveau antérieur rapidement après l’accouchement. Toutefois, peu d’études se sont intéressées à la prévalence des TCA au cours de la grossesse. Il s’agit davantage d’extrapolations de la prévalence des TCA dans les populations de femmes en âge de procréer. Ainsi, dans les sociétés occidentales, on retient une prévalence sur la vie entière de l’anorexie mentale de 0,5 à 1 % et de la boulimie de 1 à 4 %. Si l’on tient compte des formes subcliniques (ne regroupant pas tous les critères diagnostiques), on estime que ces troubles sont deux à cinq fois plus fréquents chez les jeunes femmes. Ainsi, il est probable que 3 % des femmes prises en charge pour leur grossesse présentent un TCA et que 15 % de ces femmes présentent une forme subclinique. Évolution des TCA au cours et au décours de la grossesse Les études réalisées au cours de la grossesse chez des patientes présentant un TCA actuel ou passé afin d’évaluer l’évolution de l’intensité de symptômes alimentaires préexistants, apportent des résultats convergents, avec quelques nuances, sans doute en partie liées à la méthodologie des études et aux présupposés des différents auteurs. Ainsi, au cours de la grossesse, on observerait une diminution des symptômes alimentaires, en particulier chez les patientes boulimiques, suivie d’une recrudescence des troubles dans la période du post-partum dépassant le niveau symptomatique avant conception. Cette amélioration du comportement alimentaire proprement dit ne serait cependant pas exempte d’une détresse psychologique associée aux modifications corporelles liées à la grossesse avec des préoccupations persistantes autour du poids et de l’apparence corporelle. Rarement, on observe une déstabilisation et une désorganisation du comportement alimentaire mettant en jeu le pronostic obstétrical et correspondant aux situations les plus sévères, où l’investissement de l’enfant ne peut permettre de juguler et tolérer le sentiment ressenti de perte de contrôle. Dans le post-partum, on retrouve cette expression dichotomique, mais dans des proportions inverses avec le maintien de l’amélioration, rare, ou la recrudescence des TCA, en majorité. Les explications à cette recrudescence pourraient être de différente nature : perte de motivations suffisantes pour faire pendant aux TCA, angoisses suscitées par la présence de l’enfant, levée du « déni » temporaire portant sur les modifications corporelles liées à la grossesse, réactivation de problématiques liées aux liens de la patiente avec sa propre mère… Des facteurs biochimiques et hormonaux pourraient également être impliqués ainsi que la désorganisation des rythmes de vie occasionnés par la présence d’un nourrisson. Complications obstétricales de ces grossesses Bien que certaines études de cas, anciennes et portant sur de petits effectifs, suggèrent un risque accru de complications obstétricales et foetales : malformations foetales, mort in utero, prématurité, etc., les études menées sur des populations plus importantes vont plutôt dans le sens de grossesses se déroulant normalement et sans complications majeures. Ces petits poids de naissance pour l’âge gestationnel seraient fortement corrélés avec la prise de poids de la mère au cours de la grossesse. Cet élément incite à la prise en charge de ces femmes, afin de les identifier précocement et d’accompagner les nécessaires modifications de leur comportement alimentaire pendant la grossesse. Retentissement des TCA dans la période du post-partum Risque accru de dépression du post-partum L’existence d’antécédents de TCA paraît constituer un facteur de risque du développement de dépression du postpartum. Ces dépressions postnatales concerneraient un tiers de ces femmes. Différentes hypothèses explicatives peuvent être formulées : sensibilité particulière aux modifications hormonales liées à l’accouchement et au post-partum ; • vulnérabilité des TCA aux troubles thymiques avec une fréquente comorbidité ; • moindre support familial particulièrement sensible au cours de cette période ; • vulnérabilité à l’expression de sentiments de détresse et d’expressions émotionnelles négatives du nourrisson (pleurs, cris, etc.) et incapacité à y répondre de manière contenante ; • recrudescence des conduites symptomatiques, etc. Difficultés développementales chez l'enfant Par ailleurs, les enfants de ces jeunes femmes présenteraient, selon certaines études, des difficultés développementales plus ou moins sévères : • perturbations alimentaires : difficulté pour l’initiation et/ou le maintien de l’allaitement, diminution de la durée des repas, application stricte des consignes d’alimentation aux dépens d’un certain degré de liberté, absence de convivialité et du caractère ludique habituellement associé aux temps de repas, parfois difficultés dans la préparation des repas, manque de reconnaissance par la mère des signaux de faim et de satiété de son enfant, etc. ; • préoccupation excessive de la mère pour le poids et l’aspect physique de son enfant (surtout s’il s’agit d’une fille), davantage d’insatisfaction exprimée concernant l’apparence physique, etc. ; • dysfonctionnements des interactions précoces : en situation de jeu (davantage de contrôle, moins de spontanéité et d’initiatives personnelles…), difficultés pour la mère à reconnaître les émotions négatives chez l’enfant, et tendance à une réponse comportementale avec ingestion de nourriture, manque de capacité pour la mère à favoriser l’autonomisation de son enfant, etc. ; • au long cours, troubles psychiques avérés de l’enfant (dépression, troubles du comportement, etc.).
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