Publié le 06 mar 2008Lecture 12 min
Traitement adjuvant de cancer du sein : quand demander une consultation rhumatologique ?
P. KHALIFA, Paris
La surveillance et la prévention des complications ostéo-articulaires des traitements adjuvants du cancer du sein ne doivent pas être négligées dans la prise en charge au long cours de ces patientes dont l’espérance de vie a été, fort heureusement, prolongée par ces traitements. Le rhumatologue comme le gynécologue a sa place dans ce suivi pluridisciplinaire.
Le pronostic du cancer du sein a largement bénéficié de son dépistage précoce et des progrès thérapeutiques qui permettent de guérir plus d'une femme sur deux quand la maladie reste localisée. La chimiothérapie et les traitements hormonaux adjuvants visent à prévenir les récidives locales, controlatérales et systémiques, en détruisant les cellules malignes non détectables présentes au moment du diagnostic, par un traitement systémique complétant l'acte chirurgical premier d'exérèse du cancer du sein. Le choix entre ces traitements est fonction de l'âge et du statut hormonal de la patiente, de la taille, du siège et de l’agressivité de la tumeur, de son extension ganglionnaire ou systémique, de la présence ou non de récepteurs hormonaux. Il repose aussi sur une parfaite analyse du rapport bénéfices (réduction du risque de récidive, survie) – risques (complications iatrogènes) – coût de ces traitements. Le rhumatologue est, non rarement, impliqué dans le suivi de ces patientes en raison des effets secondaires ostéo-articulaires de ces traitements adjuvants. Suivi articulaire du traitement adjuvant par un inhibiteur de l’aromatase : attention au diagnostic de facilité Les douleurs tendino-musculaires et articulaires sont particulièrement fréquentes sous inhibiteur de l’aromatase (15 à 35 % des cas selon les études)(1). Elles mènent souvent la patiente chez le rhumatologue avec un diagnostic d’« arthrose » ou de « polyarthrite » devant des douleurs affectant préférentiellement les mains, souvent associées à une raideur matinale et à des difficultés à fermer le poing. Les genoux, les hanches, le rachis lombaire et les épaules peuvent être également douloureux. Un doigt à ressaut (avec blocage d’un doigt en flexion), un syndrome du canal carpien, uni- ou bilatéral, peuvent être à l’origine de la consultation. L’examen clinique ne montre pas les déformations articulaires caractéristiques de l’arthrose ni la synovite d’une polyarthrite rhumatoïde. L’effondrement du taux d’estradiol plasmatique joue sans doute un rôle important dans le déclenchement de ces douleurs, rapprochant ces manifestations du « rhumatisme ménopausique »(2). Mais d’autres mécanismes sont sans doute en cause et, dans une publication récente, un épanchement des gaines des tendons fléchisseurs en échographie et un épaississement de ces gaines en IRM ont été mis en évidence chez 12 patientes traitées par inhibiteurs de l’aromatase souffrant de douleurs des mains. L’essentiel, en fait, est de ne pas hésiter à demander l’avis d’un rhumatologue quand la présentation est atypique. D’authentiques arthrites rhumatoïdes ou arthroses débutent à l’occasion de la chute du taux d’estrogènes qui accompagne la ménopause. Une radiographie de face des mains et des poignets sera demandée au moindre doute. Une échographie des mains recherchera les premiers signes d’une arthrite rhumatoïde ou un épanchement des gaines tendineuses. Le dosage du facteur rhumatoïde et, surtout, des anticorps anticitrulline (AC anti-CCP) plus spécifiques et plus précocement positifs, permettra de confirmer un diagnostic suspecté de polyarthrite rhumatoïde. Les douleurs liées au traitement inhibiteur de l’aromatase nécessitent un traitement symptomatique antalgique et anti-inflammatoire non stéroïdien. Elles régressent habituellement à l’arrêt du traitement qui s’avère nécessaire dans 5 à 10 % des cas. La conduite à tenir, en cas d’arrêt, n’est pas consensuelle : pour certains, il est possible de reprendre le traitement après quelques jours d’arrêt ; pour d’autres, il est préférable de « switcher » vers un autre inhibiteur de l’aromatase ou un autre traitement adjuvant. Suivi osseux des traitements adjuvants : le dépistage de l’ostéoporose est indispensable Les traitements adjuvants, chimiothérapiques ou hormonaux, ont, du fait de leur mode d’action, un impact osseux qui expose à un risque accru d’ostéoporose. Un suivi osseux est nécessaire pour prendre en charge précocement ces complications osseuses iatrogènes, à bien distinguer des complications osseuses, y compris fracturaires observées chez les patientes affectées de ce cancer ostéophile, en présence ou non de métastases osseuses. Effets osseux de la chimiothérapie adjuvante La suppression estrogénique, chez la femme non ménopausée et en cas de cancer du sein métastatique sans récepteurs aux estrogènes, repose préférentiellement sur la chimiothérapie. La toxicité gonadique des drogues utilisées (agents alkylants, taxotère, anthracyclines) est responsable chez la femme non ménopausée d’une aménorrhée, dans 70 à 90 % des cas après 40 ans, 10 à 40 % des cas avant. Cette aménorrhée, le plus souvent irréversible, conduit à une perte osseuse rapide et importante, à un taux 2 à 3 fois supérieur à celui d'une ménopause naturelle, de l’ordre de 2 à 4 % à 6 mois et jusqu’à 10 % à 5 ans. Si les effets osseux de la chimiothérapie sont modestes quand les règles persistent ou en situation de carence estrogénique postménopausique, un examen densitométrique de contrôle est souhaitable en cas d’aménorrhée irréversible chez une patiente en préménopause. Effets osseux du traitement adjuvant par agoniste de la GnRH En situation adjuvante, avant la ménopause, l'association tamoxifène - agoniste de la Gn-RH fait mieux que le tamoxifène seul ou la castration seule. L’impact osseux de ce traitement est important. Une baisse significative de la DMO à 2 ans a été, par exemple, observée sous goséréline, de l’ordre de 10 % au rachis, 6 % au col fémoral. Un an après l’arrêt de la goséréline, la DMO a récupéré partiellement, corrélativement au retour de la fonction ovarienne chez la majorité des patientes. Les effets osseux délétères des agonistes de la GnRH sont réversibles à l’arrêt du traitement, corrélativement au retour, fréquent, de la fonction ovarienne. Effets osseux du traitement adjuvant par tamoxifène Le tamoxifène a été pendant 30 ans l’hormonothérapie de référence du traitement adjuvant du cancer du sein exprimant des récepteurs hormonaux. Il en reste le standard chez la femme non ménopausée. Avant la ménopause, le tamoxifène se comporte comme un anti-estrogène et provoque une baisse modérée de la DMO. Après la ménopause, son action estrogénique faible maintient la masse osseuse. Si une tendance à la réduction des fractures vertébrales ostéoporotiques n’est pas démontrée, un effet squelettique protecteur possible du tamoxifène doit être présent à l’esprit quand les bénéfices des anti-aromatases sont comparés à ceux du tamoxifène. Effets osseux du traitement adjuvant par un inhibiteur de l’aromatase L’efficacité supérieure et la meilleure tolérance à court terme sur la circulation veineuse et l’endomètre des inhibiteurs de l’aromatase en font, aujourd’hui, le traitement adjuvant de première ligne du cancer du sein avec récepteurs hormonaux chez la femme ménopausée. Leur mode d’action (réduction de la production résiduelle d’estrogènes par inhibition réversible ou irréversible de l’aromatase) pouvait légitimement faire craindre un risque accru d’ostéoporose. Les études menées avec chacun de ces inhibiteurs ont confirmé cette crainte(3). Dans l’étude ATAC, comparant l’efficacité de l’anastrozole et du tamoxifène chez 9 366 patientes ménopausées, dans un sous-groupe de 308 femmes évaluées par densitométrie, une baisse significative de la DMO lombaire (- 4 %) et fémorale (- 3,2 %), à 2 ans, a été rapportée sous anastrozole (vs + 1,9 % et + 1,2 % sous tamoxifène). Les NTX, marqueurs de la résorption, ont évolué en sens inverse, augmentant de 12 % sous anastrozole. Une augmentation significative du nombre de fractures a été rapportée sous anastrozole après 68 mois de traitement : 340 fractures soit 11 % sous anastrozole vs 237 soit 7,7 % sous tamoxifène (RR = 1,44). L’étude MA-17 a évalué l’intérêt du létrozole pendant 5 ans (vs placebo) au décours de 5 ans de traitement par le tamoxifène chez 5 157 patientes ménopausées. Après 2,4 ans de suivi médian, une augmentation de l’incidence des fractures et de l’ostéoporose densitométrique a été rapportée sous létrozole : 77 fractures (3,6 %) et 124 ostéoporoses densitométriques (5,8 %) vs 63 fractures (2,9 %) et 97 ostéoporoses densitométriques (4,5 %) sous placebo. L’étude BIG 1-98 menée chez 8 010 patientes réparties en 4 groupes (létrozole ou tamoxifène seul pendant 5 ans ; létrozole ou tamoxifène pendant 2 ans suivi de tamoxifène ou létrozole, respectivement, pendant 3 ans) visait à comparer l’efficacité du tamoxifène à celle du létrozole en situation adjuvante. Le nombre de fractures était significativement supérieur dans le groupe létrozole : 225 soit 5,7 % dans le groupe létrozole vs 159 soit 4,0 % dans le groupe tamoxifène. L’étude IES, menée chez 4 742 femmes ménopausées, a évalué les effets de l’exemestane ou du tamoxifène, administré pendant 3 ou 2 ans, après un traitement de 2 ou 3 ans par le tamoxifène. La DMO, mesurée dans un sous-groupe de 206 femmes, a diminué significativement dans le groupe exemestane après un an de traitement, de 2,9 % au rachis et de 2,1 % au col fémoral ; mais, à 2 ans, la baisse n’était plus que de 1 % au rachis et de 0,8 % au col fémoral. Les marqueurs osseux de la formation et de la résorption étaient significativement augmentés sous exemestane. L’analyse récente des 4 274 patientes suivies en moyenne pendant 58 mois a montré un taux significativement plus élevé de fractures sous exemestane que sous tamoxifène : 162 soit 7 % dans le groupe exemestane vs 115 soit 5 % dans le groupe tamoxifène (RR = 1,45). Le traitement adjuvant par inhibiteur de l’aromatase en postménopause expose à une perte osseuse rapide et à un risque fracturaire accru qui doit être pris en compte dans la décision thérapeutique et la prise en charge au long cours de ces patientes. Suivi osseux des traitements adjuvants en pratique Le risque individuel d'ostéoporose varie avec le statut osseux au moment du diagnostic de cancer, de l’âge de la ménopause (spontanée ou induite), des traitements reçus et de l'évolutivité propre du cancer. Il est aussi fonction des facteurs de risque clinique associés d’ostéoporose (hérédité ostéoporotique, antécédent personnel ou familial de fracture, maigreur et IMC bas, intoxication tabagique, corticothérapie au long cours, notamment). Toute femme recevant un traitement adjuvant devrait bénéficier lors de l’initiation du traitement d'une évaluation de son risque ostéoporotique par la recherche des facteurs cliniques de risque et une ostéodensitométrie en début du traitement. Le remboursement de l’ostéodensitométrie dans cette indication est validé par les recommandations de l’Afssaps si le traitement adjuvant est responsable d’une ménopause précoce (avant 40 ans) ou, chez la femme de plus de 40 ans, en considérant que ce traitement est potentiellement inducteur d’ostéoporose car responsable d’un hypogonadisme prolongé (et que la liste n’est pas limitée aux seuls agonistes de la GnRH !). La prévention des risques osseux induits et de l’ostéoporose en cas de DMO basse et/ou de facteurs de risque d’ostéoporose, dans la population de femmes recevant un traitement pour un cancer du sein, doit être, légitimement, au premier plan de notre réflexion. Un traitement préventif de la première fracture ostéoporotique est recommandé dans cette population à risque élevé d’ostéoporose. Il repose sur le respect des règles d’hygiène de vie : apport suffisant de calcium et de vitamine D (ou supplémentation médicamenteuse), exercice physique (marches prolongées et régulières) et lutte contre la sédentarité, arrêt du tabac. Un traitement bisphosphonate est généralement conseillé, après une analyse individuelle des facteurs de risque. Un consensus se fait pour une prise en charge médicamenteuse de ces patientes quand le T-score est < - 2 DS (à un niveau plus élevé de DMO que le seuil « densitométrique » de l’ostéoporose). Il faut rappeler cependant que, depuis le 11 octobre 2006, le remboursement des traitements anti-ostéoporotiques avant la première fracture ne concerne que les patientes ayant un T-score < - 3 DS ou un T-score < - 2,5 DS associé à un facteur de risque clinique d’ostéoporose (dont le traitement adjuvant du cancer du sein et le cancer du sein lui-même font sans doute partie). Un suivi densitométrique de ces patientes, à la fin de la première année de traitement, puis à intervalles réguliers, est généralement conseillé, même si son intérêt n’est pas validé. Il faut rappeler cependant que la répétition de l’examen densitométrique ne fait pas partie des conditions de remboursement récemment validées par l’Afssaps. Points à retenir Les traitements adjuvants du cancer du sein, qu’ils soient hormonaux ou chimiothérapiques, ont transformé le pronostic de ce cancer, permettant de guérir plus d'une femme sur deux. Leurs effets secondaires ostéo-articulaires conduisent cependant, non rarement, ces patientes chez le rhumatologue lors du suivi. Les traitements adjuvants inhibiteurs de l’aromatase exposent en effet, à court terme, à des douleurs tendino-musculaires et articulaires invalidantes, dont la sévérité peut compromettre la poursuite du traitement. Il revient au rhumatologue de ne pas méconnaître un rhumatisme inflammatoire ou dégénératif débutant. Les traitements adjuvants chimio- et hormonothérapiques exposent, du fait de la carence estrogénique induite, à un risque accru, à plus long terme, d’ostéoporose et de fractures. La surveillance et la prévention de ces complications ostéo-articulaires ne doivent pas être négligées dans la prise en charge au long cours de ces patientes.
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