Publié le 21 aoû 2008Lecture 9 min
Que faire devant un frottis ASCUS ?
H. BORNE CHU Bichat-Claude Bernard, Paris
Le risque de développer un cancer invasif est maximal chez une femme qui ne se fait jamais dépister et qui rencontre un HPV 16 ou 18. Le dépistage cytologique a permis d’éviter, en France, 70 % des cancers du col. La recherche de la présence d’HPV à haut risque (HPV-HR) va plus loin : elle permet d’anticiper l’évolution d’une lésion ano-génitale débutante et cliniquement méconnue.
Le dépistage actuel des lésions cervicales se heurte à 3 écueils : – la sensibilité imparfaite de la cytologie ; – la couverture insuffisante de la population ; – la prise en charge variable des frottis anormaux. Il devient ainsi nécessaire de faire appel, en routine, à de nouvelles méthodes et en particulier la détection des HPV-HR. Cela correspond aux perspectives du Plan Cancer. C’est ainsi que depuis 2003, l’ANAES permet d’utiliser le test HPV-HR en première intention pour trier les frottis ASCUS (figure 1). Figure 1. La prévalence des HPV 16 et 18 est de 60 à 70 %. Dans le seul cas précis du frottis ASCUS, ce test est remboursé par la CNAM depuis février 2004. Rationnel : lien HPV/cancer du col Le cancer du col est une tumeur viro-induite Parmi les 120 génotypes d’HPV de l’espèce humaine, 40 intéressent la sphère anogénitale dont 15 sont potentiellement oncogènes : HPV-HR. Parmi les cancers invasifs, 99,8 % contiennent de l’HPV-HR (Walboomers, Jacobs, Manos 1999). La prévalence mondiale des HPV 16-18 dans les cancers invasifs du col est de 70 % ; en France, elle est de 84 % (Didier Riethmuller étude Edith). L’infection par HPV-HR est une condition nécessaire mais non suffisante au développement d’une lésion de haut grade (HG). Il s’agit d’un processus long qui témoigne d’un échappement immunitaire à éradiquer spontanément l’ADN viral. La persistance de l’infection à HPV-HR au-delà de 12 à 18 mois est l’agent causal du risque évolutif des lésions vers un haut grade. Seules les lésions de bas grade/HPV-HR+ évoluent vers le haut grade (HG) (Walboomers 1994). La persistance de l’infection à HPV-HR au-delà de 12 à 18 mois est l’agent causal du risque évolutif des lésions vers un haut grade. L’évolution des CIN1 vers un HG est liée à la positivité initiale du test HPV-HR et à l’âge > 30 ans : 2 % des CIN1 évoluent vers un CIN3+ en 2 ans, 4,3 % en 4 ans, 7 % en 10 ans (Prétorius 2006). Qu’en est-il du dépistage ? La spécificité du frottis est excellente mais sa sensibilité insuffisante Les frottis en phase liquide n’ont pas apporté la preuve d’une amélioration de cette sensibilité. Par ailleurs, la sensibilité du frottis est bien meilleure après 50 ans (79,3 %), comparativement aux femmes plus jeunes (59,6 %) (Cusick IJC 2006), alors que le pic d’incidence des CIN2+ est inférieur à 35 ans et le pic d’incidence du cancer invasif est de 41 ans… Cette sensibilité imparfaite va encore diminuer à l’ère de la vaccination. Certes, la répétition des frottis pallie cette insuffisance de sensibilité, mais cela pose un problème de coût et nécessite un dépistage vraiment organisé, ce qui a toujours fait défaut dans notre pays. Il existe ainsi encore beaucoup trop de cancers invasifs du col malgré les structures de dépistage opportunistes que nous connaissons. La colposcopie n’est pas un outil de dépistage de masse, mais un examen indispensable à l’orientation thérapeutique. Enquête de la SFCPCV : J.-C. Boulanger 2006 • Absence de dépistage : 26,8 % • Frottis irréguliers >3 ans : 39,38 % • Frottis négatifs < 3 ans : 25,16 % (45,9 % < 45 ans) • Perdues de vue après frottis anormal : 3,64 % • Cancer après traitement CIN : 5,29 % La sérologie n’a pas d’intérêt diagnostique, car la réponse sérologique naturelle à l’infection HPV est très faible. La biologie moléculaire avec les tests HPV-HR représente un outil supplémentaire qui permet de reconnaître les femmes porteuses d’HPV-HR, avant même l’apparition d’une lésion. Le dépistage des lésions de bas grade n’est pas une priorité, car la régression spontanée est très fréquente tout particulièrement chez la femme jeune. La priorité dans le dépistage consiste plutôt à repérer les femmes à risque d’invasion : celles qui présentent un CIN2/3. Les tests HPV-HR Les techniques consensus détectent la présence d’ADN de 13 HPV-HR sans préciser le type exact et donc ne différencient pas une infection ancienne persistante d’une infection récente transitoire : – hybridation en phase liquide : Hybrid capture2, – amplification PCR : Kit Amplicor. Les techniques spécifiques : génotypage. Elles permettent d’établir la liste précise des HPV présents dans un prélèvement. Test HPV hc®2 HR (Digène-Qiagen) Méthode rapide (4 heures), de sensibilité élevée voisine de 100 %, reproductible (Peyton, Schiffman, Lorincz 1998). Elle permet de détecter l’ADN de 13 types d’HPV oncogènes, présents dans 95 % des cancers du col sans préciser le type exact. Seuil de sensibilité analytique : 1 pg/ml. Pas de contrôle de cellularité. L’intérêt majeur de la technique : VPN proche de 100 % = pas de lésion dans les 3 à 5 ans Deux techniques de prélèvement sont possibles : – Prélèvement par brossage cervical adressé en biologie moléculaire ne permettant pas d’analyse cytologique (figure 2) : Figure 2. Prélèvement par brossage cervical. • technique peu dépendante du préleveur puisque les auto-prélèvements sont efficients (Petignat 2007) ; • permet une analyse semi quantitative de la charge virale, ce qui confère au test un facteur de risque d’évolution (Cox, Schiffman, Lorincz 1995). – Résidu de cytologie d’un frottis en phase liquide qui évite une reconvocation en cas de recherche d’HPV-HR secondairement (figure 3). Figure 3. Résidu de cytologie d’un frottis en phase liquide. Nécessite des liquides homologués ou publiés : . Thinprep® (Cytyc) ; . Surpath® (Tripath) ; . Cyto-screen® (Séroa) ; . d’autres liquides sont en cours de publication. Kit Amplicor (Roche) (figure 4) Des circuits protégés pour la PCR sont nécessaires afin d’éviter les contaminations ce qui est une contrainte pour le laboratoire. Détection des mêmes 13 types d’HPV oncogènes. Utilisation du résidu de cytologie d’un frottis en phase liquide : . Thinprep® (Cytyc) . Surpath® (Tripath). Trois études randomisées à large échelle confirment l’intérêt de l’utilisation des tests HPV-HR en routine : – étude de Mayrand et coll. au Canada sur 10 154 femmes de 30 à 69 ans (N Engl J Med 2007). Deux groupes randomisés : frottis, puis test HPV-HC2/test HPV-HC2, puis frottis ; L’absence d’HPV-HR garantit une protection durable que ne peut assurer la cytologie. – l’étude de Naucler et coll. en Suède sur 12 527 femmes de 32 à 38 ans (N Engl J Med 2007). Deux groupes randomisés : frottis + test HPV-PCR/frottis seul ; Le double test permet d’identifier précocement les CIN2-3, mais aussi de reconnaître les anomalies qui ne régressent pas naturellement. – l’étude de Bukmans et coll. en Hollande sur 44 938 femmes de 29 à 56 ans (Lancet 2007). Deux groupes randomisés : frottis + test HPV-PCR/frottis seul. Net avantage du double test HPV-HR + frottis utilisé en dépistage primaire. Figure 4. Des circuits protégés pour la PCR sont nécessaires afin d’éviter les contaminations. Triage des frottis ASCUS Sur les 6 millions de frottis annuels en France sont retrouvés : – 0,04 % cancers, – 1 % haut grade, – 1 à 2 % bas grade, – 2 à 3 % d’ASC, – ASCUS : 90 % : atypies des cellules pavimenteuses mal définies, – ASC-H : 10 % : anomalies en faveur d’une lésion (40 % de HG) orientées vers la colposcopie. Sur les 200 000 ASCUS annuels en France sont retrouvés : – 22 % col normal, – 60 % CIN1, – 18 % CIN2 et CIN3. Les ASCUS sont à l’origine du dépistage de 5 à 10 % de l’ensemble des lésions de HG. Environ 50 % des ASCUS sont HPV HR+. L’étude ALTS, large étude randomisée, a démontré une sensibilité instantanée du test HPV-HR : 92 % pour les CIN3 vs 83 % à 6 mois pour le frottis de contrôle et un risque de CIN2-3 si l’ASCUS et le test HPV-HR sont négatifs : 0,74 à 1,2 % La métaanalyse de Marc Arbyn en 2004 a précisé qu’en cas d’ASCUS, le test HPV-HR permet de sélectionner avec une VPN de 99 % les patientes devant réellement bénéficier d’une prise en charge. Ces données ont permis d’établir dès 2003 un arbre décisionnel dans le cas particulier des frottis ASC (figure 5). Figure 5. Arbre décisionnel. Le choix d’un test HPV-HR plutôt qu’une reconvocation pour frottis à 6 mois évitera 30 % de risque de méconnaissance d’une lésion sous-jacente, du fait de la sensibilité imparfaite de la cytologie. Cela peut être considéré comme une perte de chance (Montz RJ 1992). Par ailleurs, il ne faut pas négliger le risque de femmes perdues de vue en cas de choix d’une reconvocation ultérieure. La colposcopie d’emblée, plus difficile à organiser, apporte le risque de surévaluation d’un bas grade avec des conséquences négatives en termes de stress (Sellors J W 1990, Ishmail SM 1989). En cas de choix d’un test HPV-HR : – la spécificité de la colposcopie proposée augmente de façon significative, – les patientes HPV-HR négatives évitent le stress d’une colposcopie inutile. Figures 6 et 7. ASCUS sans HPV-HR. La colposcopie peut être inutile en cas d’ASCUS sans HPV-HR sur métaplasie in situ immature (figures 6 et 7)… qui se réépithélialise en 5 ans spontanément (figures 8 et 9). Figures 8 et 9. Réépithélialisation en 5 ans. La colposcopie sera ciblée en cas d’ASCUS avec Test HPV-HR+ : CIN2-3 (figures 10 à 12). Figures 10 à 12. Ciblage de la colposcopie en cas d’ASCUS avec test HPV-HR. En surveillance postopératoire, la colposcopie, plus difficile, verra sa spécificité augmenter après triage par un test HPV-HR (figures 13 à 16). Figure 13. Fibrose ou congestion sous-épithéliale. Figure 14. Sténose orificielle. Figure 15. Hyperkératose.Figure 16. Endométriose. Seules les patientes vraiment à risque seront alors référées en colposcopie. En cas de frottis ASCUS, à condition d’une technique rigoureuse, le test HPV-HR permet de sélectionner avec une VPN de 99 % les patientes devant réellement bénéficier d’une prise en charge.
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