Endocrinologie
Publié le 28 nov 2010Lecture 8 min
Les polluants chimiques à effets endocriniens
Les phtalates (ou phthalates), pris ici comme paradigme des molécules toxiques synthétisées par l’industrie chimique, ainsi qu’environ 100 000 autres substances – et il en arrive sur le marché à peu près 300 tous les ans – sont devenus le grand ennemi des espèces vivantes et tout particulièrement de l’espèce humaine. Parmi les substances souvent citées, le tributyléthane et surtout les PCB (ou polycholorobiphényles) sont des polluants bioaccumulables trouvés dans les cellules graisseuses ayant une durée de vie variable qui peut dépasser les 100 ans ! Et ils peuvent avoir un effet nocif à des taux où ils ne sont pas dosables dans le plasma.
Les perturbateurs endocriniens font, semble-t-il, que des ours polaires deviennent hermaphrodites, que le pénis des alligators se raccourcit, que des tortues se féminisent… Plus personne n’ignore que les polluants chimiques pourraient être à l’origine de l’accroissement majeur des cancers hormonodépendants, en particulier des cancers du sein et de la prostate. Mais ceux-ci sont loin d’être la seule conséquence de la présence de ces perturbateurs endocriniens dans notre environnement. Quand ils sont présents en abondance chez une femme enceinte, ils vont parvenir à l’intestin du foetus et affecter la division des cellules, d’où chez l’adulte un nombre total réduit et un intestin moins fonctionnel. En outre, par une série de mécanismes complexes, les cellules intestinales à vocation immunitaire seront moins nombreuses, ce qui diminuera les défenses du sujet. L’obésité et le diabète sont généralement attribués à la sédentarité et aux excès alimentaires. Ces affections conduisent aux maladies cardiovasculaires et à leur complication parfois létales. Or, les perturbateurs endocriniens fixés sur les cellules adipeuses, dont on connaît maintenant les fonctions endocriniennes majeures, joueraient dans leur augmentation continue un rôle qui semble loin d’être négligeable. Agriculture et baisse de fertilité Parmi tous ces perturbateurs, le distilbène a été largement cité. Or, il n’est pas exclu (et pas du tout prouvé non plus selon un orateur qui a fait preuve d’une très grande prudence) que les comportements des sujets ayant été exposés à cette substance puissent en être perturbés ou qu’ils aient une tendance à la dépression. Et il n’y a aucune raison de penser que certaines autres substances toxiques ne puissent avoir de tels effets, elles aussi. De nombreux perturbateurs sont très probablement, selon certains travaux, à l’origine de la multiplication par 4 du nombre d’enfants hypospades au Danemark, pays agricole utilisant de grandes quantités de substances toxiques. Parallèlement, dans ce pays, les cancers du testicule sont devenus plus nombreux, ce qui n’est pas du tout le cas en Finlande non agricole…, mais à forte industrialisation. Et d’un autre côté, la diminution observée par certains laboratoires et non par d’autres, de la concentration des spermatozoïdes dans les éjaculats pourrait annoncer une baisse de la fertilité. Dans certaines publications, on peut en effet lire que le nombre de couples infertiles a été multiplié par 2 depuis quelques années. Ainsi cancers, maladies cardiovasculaires, troubles digestifs, diminution de la fertilité, affectent les hommes, comme leur environnement animal. Une situation plus grave qu’on ne l’imagine Les phtalates sont présents dans une telle quantité de matériels médicaux qu’on ne voit pas par quoi on pourra les remplacer. Le verre pourrait être utilisé certes, mais outre son coût, il est d’emploi bien moins commode. Et les phtalates ne sont pas les seuls dangereux. Le sont également les substances toxiques qui servent (ou ont servi) à la désinfection des biberons. L’extermination des microbes a donc été la source d’autres nuisances. Mais il y a plus terrifiant. L’adulte qui souffre d’une maladie assez grave, le prématuré très fragile sont souvent perfusés. Et les tuyaux de perfusion envoient des phtalates dans l’organisme malade. Et le sac même qui contient les globules rouges les contamine par le même perturbateur endocrinien. Le geste salvateur est également à longue échéance un geste dangereux. Dans la vie des humains sains que se passe-t-il ? Veulent-ils boire, ils rencontrent des substances toxiques de toute nature, même dans les eaux qui sortent de l’épurateur le plus moderne et dans les gobelets où ils la consomment (et les boues sortant des épurateurs sont répandues sur les champs agricoles !). Mangent-ils du poisson gras pour avoir leur ration d’oméga 3 ? Ils seront plus riches alors de toutes les substances toxiques ayant fonction de perturbateurs endocriniens (disruptor, en anglais). Et la poêle dans laquelle ils sont cuits peut en être recouverte. Même les fruits et légumes choisis avec soin par la ménagère risquent de leur en apporter. Gare aux effluents Les eaux superficielles et profondes sont infiltrées de toutes les hormones y compris et surtout par l’éthinylestradiol des pilules : aussi bien de celles qui ont été ingurgitées que des molécules qui ont été rejetées par les usines qui les fabriquent. Et, ce qui est moins su, beaucoup plus encore la contamination concerne également les patchs contraceptifs après usage. Quant aux centres de soin dans lesquels toutes sortes de médicaments sont utilisés, ils deviennent de terribles pollueurs, parce que l’Etat ne leur a pas donné de moyens suffisants pour éviter la diffusion des médicaments urinés ou jetés… Plus préoccupant, les cancers hormono-dépendants sont de plus en plus nombreux dans le monde entier. Certes, ils tuent un peu moins qu’auparavant grâce aux progrès thérapeutiques. Malheureusement, les antimitotiques sont eux aussi éliminés sans précautions particulières et ils viennent augmenter le stock de ces produits toxiques qui ne manquent pas de faire partie plus ou moins rapidement des 60 % d’eau de notre corps. Les preuves de la nocivité de ces toxiques sont données par quelques catastrophes : hécatombe de chiens tués par les neurotoxines sécrétées par les cyanobactéries ou 30 000 canards exterminés par la toxine botulique… Les inquiétudes ne s’arrêtent pas là, les produits toxiques fabriqués dans un pays risquent, poussés par les vents et portés par les eaux, d’être envoyés dans les pays voisins ou lointains, par exemple au pôle nord. Les efforts faits par un gouvernement risquent d’être annulés par des phénomènes climatiques inopinés. Toxique dès la période foetale Le ton d’une communication s’est distingué des autres. Elle venait de Belgique. Notion rassurante : depuis 1980, le taux de dioxine dans le corps des sujets testés a diminué de 8 % par an. Et dans 3 secteurs de Belgique, les enfants ayant présenté le moins d’effets susceptibles d’être attribués aux perturbateurs endocriniens avaient été ceux nourris au sein ! Fait très important : il existe une fenêtre d’activité de ces perturbateurs. En effet, ils sont surtout nocifs à la période foetale et durant la petite enfance. En d’autres termes, le mal est fait dès l’arrivée à l’adolescence. Et les pesticides et autres substances toxiques qui s’y surajouteront n’auront vraisemblablement d’effets que s’ils sont absorbés en quantité très excessive. Le sort est donc jeté dès l’âge de 10 ans, et souvent plus tôt ! Est-ce que le taux de phtalates (parmi les autres substances chimiques nocives) présents dans un sujet à son entrée dans l’adolescence est prédictif de pathologies ultérieures ? En fait, un taux élevé serait l’annonce d’un destin noirci : maladies et dépression. Le danger est réel, mais il est très difficile à cerner car les paradigmes en cours pour juger de la toxicité d’une substance sont obsolètes et ne s’appliquent pas à la toxicité chronique. De plus, on ne dispose, d’après les scientifiques réunis, d’aucun moyen de juger des risques de l’association de ces substances et l’on est encore incapable de mesurer l’ensemble d’entre eux. La nécessité de réagir vite est donc manifeste et indéniable. On peut cependant en toute quiétude regretter l’absence presque totale dans l’ensemble des conférences, de réflexions globales sur le versant opposé : les effets bénéfiques apportés à l’humanité par les substances citées. Il était dit le surlendemain de ce colloque, sur France Culture que grâce à ces « progrès », l’agriculture avait permis de nourrir un nombre infiniment plus grand d’humains que par le passé. Il faut donc prendre en compte l’urgence des décisions, mais aussi s’abstenir d’attribuer à la chimie une culpabilité excessive. Heureusement, nos députés se sont vigoureusement investis dans l’affaire, comptons sur eux sans que nous médecins cessions d’être vigilants. D’après un colloque sur les perturbateurs endocriniens tenu le 14 septembre 2010 sous les auspices du Groupe Santé Environnementale de l’Assemblée Nationale, présidé par Gérard Bapt.
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