Publié le 20 jan 2010Lecture 4 min
Je ne ressens jamais rien
Philippe BRENOT - DIU de sexologie, université Paris V
Les sensations intimes sont toujours affaire d’éducation, apprentissage dès l’enfance du toucher, et d’être touchée, par l’autoérostisme, apprentissage progressif des relations sexuelles par soi-même, puis avec un ou une partenaire. Ces sensations sont un signal d’acceptation du contact et un témoin de l’échange de perceptions entre deux partenaires. Mais lorsqu’elles font défaut, on peut penser à un refus défensif des sensations dans la mesure où elles mobilisent trop d’émotions difficiles à accepter.
L’anesthésie vaginale On a pu parler d’une réelle anesthésie vaginale lorsqu’une femme dit ne jamais rien ressentir « dans cette région », c’est-à-dire ni douleur ni plaisir. On pourrait y associer les sensations négatives qui recouvrent le mode d’évitement : « je ne ressens que de la douleur et de la gêne », affirmation qui permet de ne pas investir cette région d’autres sensations, c’est-à-dire de plaisir. La première cause d’insensibilité peut être pensée dans ces termes : « je ne ressens rien pour éviter de trop ressentir, plaisir ou douleur », et en premier lieu penser à un abus sexuel dans l’enfance ou à des rapports contraints ou non désirés à l’adolescence ou plus tard. Le trauma sexuel s’accompagne en effet souvent d’un mécanisme défensif d’oubli qui permet de refouler fortement le souvenir traumatique. C’est ainsi que de nombreuses femmes, ayant vécu un inceste ou une agression sexuelle, pourront n’en avoir aucune trace consciente, sinon parfois l’impression très confuse « qu’il s’est peut-être passé quelque chose » ou la sensation d’être mal vis-à-vis d’une personne parce « qu’il s’est peut-être passé quelque chose avec elle ». Attention cependant à ne pas forcer le souvenir par des suggestions du médecin ou du thérapeute. Une impression confuse n’est pas un souvenir ni une conviction. Trop souvent, et à la suite de notre meilleure connaissance des agressions sexuelles de l’enfance, certains « psys » voudront absolument trouver une cause explicative. Le rappel du souvenir doit être très prudent en évitant d’induire quoi que ce soit et en parlant toujours au conditionnel, car on n’est jamais sûr de ce qui peut être évoqué. C’est toute la question des souvenirs traumatiques infantiles que Freud, pendant très longtemps, a attribué à des fantasmes, puis à des réalités, et en définitive a conclu qu’ils étaient majoritairement des fantasmes car, nous le savons aujourd’hui, il craignait inconsciemment, en parlant de réalité, de condamner son père qui avait vraisemblablement eu des attouchements avec l’un de ses fils ! Cette opinion freudienne semble encore faire autorité chez certains, pour qui ces souvenirs sont en grande partie des fantasmes, mais c’est aussi un alibi protecteur des agresseurs, qui sont en général des hommes. Conduite à tenir Devant cette question difficile, il est important que nous ne négligions pas les allégations que peuvent nous confier les patientes, mais que nous ne les amplifions pas non plus. On ne parle jamais facilement d’une difficulté infantile, car on ne parle jamais spontanément de sa sexualité. C’est à nous, médecins, cliniciens, gynécologues d’apprendre à poser directement cette question : « Avez-vous vécu quelque chose de difficile au plan sexuel dans l’enfance ou l’adolescence ? » Il faut ensuite laisser réellement un temps de silence pour permettre la réponse. La plupart du temps, elle sera évidente : « Non, je n’ai pas connu cela ». Pour d’autres, elle pourra sembler étonnante : « Oui, comment le saviez-vous, j’ai vu un thérapeute pendant longtemps, il ne m’a jamais demandé ! » Car à cette question directe, 10 à 20 % des sujets peuvent répondre de façon positive, alors qu’ils n’en auraient jamais parlé spontanément. Il est enfin important d’être prudent avec cette confidence dont nous sommes alors dépositaires, c’est-à-dire évaluer l’importance qu’elle a dans le vécu actuel et nous interdire de faire des liens très directs même avec une pathologie évidente. Si cela semble lourd à vivre pour la personne, il faut l’orienter vers un thérapeute (plutôt sexologue) qui a l’habitude d’accompagner ce type de souvenir douloureux. Nous devons donc toujours être prudents, mais ne jamais esquiver la réalité des contraintes sexuelles qui sont nombreuses et fréquentes.
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