Publié le 12 juin 2008Lecture 8 min
Grossesses et prothèses valvulaires cardiaques. Le traitement anticoagulant est le problème majeur.
G. HANANIA , CHI Robert Ballanger, Aulnay-sous-Bois
La survenue d’une grossesse chez une jeune femme porteuse d’une prothèse valvulaire cardiaque reste une éventualité à laquelle le gynécologue obstétricien peut être confronté. Quand la prothèse est biologique, la grossesse se déroule quasi normalement au prix du risque de la dégénérescence de la prothèse davantage lié au jeune âge de la patiente qu’à la survenue de la grossesse. Quand la prothèse est mécanique, la nécessaire poursuite d’un traitement anticoagulant efficace entraîne des risques thromboemboliques pour la mère, malformatifs pour l’enfant, hémorragiques pour les deux. Les recommandations internationales mises à jour récemment laissent la place à des stratégies thérapeutiques variées parmi lesquelles les héparines de bas poids moléculaire, longtemps proscrites.
Une éventualité moins fréquente La survenue d’une grossesse chez une jeune femme porteuse d’une prothèse valvulaire est une éventualité plus rare sous nos latitudes, en raison de la raréfaction des valvulopathies rhumatismales dans les pays développés, de la prédominance des valvulopathies mitrales dans cette tranche d’âge, le plus souvent accessibles à un traitement conservateur (commissurotomie percutanée en cas de sténose, plastie chirurgicale en cas de fuite). Néanmoins, il s’agit d’une éventualité dont la prise en charge suscite toujours de l’intérêt comme en attestent les régulières mises au point paraissant dans la littérature internationale pour proposer des recommandations. Compte-tenu des difficultés, pour ne pas dire de l’impossibilité, de mener à bien dans ce cadre des études randomisées que l’éthique interdit, ces recommandations sont le plus souvent le fruit de consensus d’experts ou les conclusions tirées de registres. La conduite du traitement anticoagulant pendant la grossesse d’une jeune femme porteuse d’une prothèse mécanique est un problème majeur. Conduite du traitement anticoagulant : un épineux problème La conduite du traitement anticoagulant chez les jeunes femmes enceintes porteuses d’une prothèse mécanique est principalement réglementée dans les recommandations internationales mises à jour récemment. Dans ce domaine, une franche évolution s’observe actuellement, qui redonne aux héparines une place qu’elles avaient perdue au bénéfice des anticoagulants oraux (AVK) au cours de la décennie précédente. Les AVK avaient fait la preuve de leur moindre dangerosité pour la mère au cours de la grossesse grâce à la relative stabilité de l’anticoagulation qu’ils procurent comparativement à l’héparine non fractionnée (HNF). Par voie intraveineuse, la prescription de celle-ci est difficile à maintenir pendant plusieurs semaines. Par voie sous-cutanée, l’anticoagulation obtenue est souvent fluctuante et insuffisante. Si bien que les risques d’accidents thromboemboliques (avec, au maximum, thrombose obstructive de la prothèse) ont paru prohibitifs. Cela justifiait dans les recommandations de 1998 de privilégier les anticoagulants oraux, au premier rang desquels en pays anglo-saxon, la warfarine. Deux créneaux chronologiques restaient du domaine de l’héparine pour la plupart des auteurs : la deuxième moitié du premier trimestre, période élective des accidents tératogènes des anticoagulants oraux (aplasie nasale, maladie des épiphyses ponctuées) et les deux dernières semaines qui comportent sous AVK un risque hémorragique majeur, tant pour la mère que pour l’enfant à naître. Les AVK sont déconseillés pendant la deuxième moitié du premier trimestre de la grossesse en raison du risque malformatif et proscrits pendant les deux dernières semaines en raison du risque hémorragique. Néanmoins, les tenants les plus fervents du « tout AVK » proposaient de mener toute la grossesse sous warfarine avec un INR entre 2 et 3, avec un relais par héparine juste avant un accouchement programmé par césarienne. Cette proposition était renforcée par la mise en évidence d’un effet/dose de la warfarine en matière d’accidents malformatifs. Très fréquents quand la dose était supérieure à 5 mg, ils étaient beaucoup plus rares quand moins de 5 mg étaient suffisants pour entretenir une anticoagulation efficace. Le risque tératogène serait négligeable quand la dose de warfarine suffisante pour réaliser une anticoagulation efficace est < 5 mg. Le temps du « tout AVK » semble avoir vécu à la lecture des dernières recommandations conjointes des Sociétés savantes américaines (AHA et ACC) qui laissent largement ouvertes les possibilités de mener une grande partie, voire toute la grossesse sous héparine. La voie avait d’ailleurs été tracée par l’ACCP (American College of Chest Physicians) qui, dans ses recommandations de 2004, préconisait déjà de recourir aux héparines de bas poids moléculaire (HBPM). L’usage de ces dernières, évoqué mais non recommandé dans les recommandations anciennes de l’ACC/AHA dès 1998, est justifié actuellement par la sécurité confirmée de leur prescription chez les femmes enceintes, dans toutes les autres indications et par la plus grande stabilité de l’anticoagulation qu’elles apportent par rapport aux HNF dont la prescription prolongée pose des problèmes pratiques délicats. En outre, la fréquence anormalement élevée des accidents thromboemboliques, observée au cours des grossesses des porteuses de prothèse mécanique, a été imputée à l’utilisation de doses insuffisantes n’assurant pas une anticoagulation optimale de ces patientes. Les protocoles actuels qui recommandent l’usage des HBPM préconisent aussi une surveillance régulière de l’efficacité du traitement. Le facteur anti-XA doit être maintenu entre 0,7 et 1,2 UI/ml, 4 heures après les injections sous-cutanées qui doivent être biquotidiennes. Évidemment, dans les périodes de traitement par l’héparine non fractionnée, le TCA doit être, lui aussi, régulièrement contrôlé et maintenu autour de deux fois et demie le témoin. Si toutes les recommandations récentes autorisent, voire privilégient l’utilisation des HBPM, elles divergent sur les séquences thérapeutiques faisant alterner AVK et héparines. L’ACCP privilégie la place de l’héparine jusqu’à envisager le déroulement de toute la grossesse sous héparine. Les recommandations d’Elkayam (JACC 2005) préconisent l’usage des AVK en cas de risque thromboembolique élevé (fibrillation auriculaire, prothèse mitrale), y compris pendant le premier trimestre en y ajoutant une faible dose d’aspirine. L’accord se fait sur deux points particuliers : la nécessité d’une pleine information de la patiente et de son conjoint sur les risques respectifs des héparines pour la mère et des AVK pour l’enfant, et le respect des souhaits du couple pour le choix des séquences thérapeutiques ; la prescription systématique d’héparine pendant les deux dernières semaines de la grossesse en raison des risques prohibitifs des AVK pendant l’accouchement. Modalités de l’accouchement Compte-tenu des impératifs liés au traitement anticoagulant, l’accouchement est déclenché après concertation entre l’obstétricien et le cardiologue. La voie naturelle est préférable à la césarienne que préconisent les partisans du « tout AVK », 48 heures après l’arrêt de ceux-ci. Ce choix est discuté car il impose une indication non obstétricale de césarienne avec les risques thromboemboliques supplémentaires qu’il implique et la nécessité d’une grossesse écourtée, donnant naissance à des enfants de petit poids. L’héparine sous-cutanée prescrite pendant les deux dernières semaines est relayée 48 heures avant l’accouchement programmé par l’héparine intraveineuse, elle-même interrompue au début du travail. Elle sera reprise 6 à 12 heures après la délivrance, relayée 3 à 6 jours plus tard par les AVK qui ne contre-indiquent pas l’allaitement maternel. En pratique Les problèmes rencontrés au cours du déroulement d’une grossesse chez une jeune femme porteuse d’une prothèse valvulaire sont essentiellement liés à la nécessaire poursuite d’un traitement anticoagulant efficace quand il s’agit d’une prothèse mécanique. Les recommandations internationales récemment actualisées autorisent désormais l’utilisation des HBPM, à condition de la poursuite d’un traitement efficace par injections biquotidiennes et d’une surveillance biologique régulière. Les protocoles thérapeutiques ne privilégient aucune des séquences antérieurement préconisées (héparine pendant la deuxième moitié du 1er trimestre et les deux dernières semaines de la grossesse, AVK pendant les autres périodes) mais laissent la place à un choix parental après information complète des risques respectifs des héparines et des AVK. Seule l’interdiction des AVK en fin de grossesse reste incontournable en raison des risques hémorragiques prohibitifs qu’ils font courir à la mère et surtout à l’enfant.
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