Publié le 28 aoû 2006Lecture 15 min
Fibrome et grossesse : avant, pendant et après
A. Chauveaud Lambling, hôpital Antoine-Béclère, Clamart
Les fibromes peuvent avoir des conséquences probablement sur toutes les étapes du développement fœtal. Outre le fait qu’ils peuvent intervenir sur la fertilité en empêchant mécaniquement la conception et la nidation, les fibromes peuvent aussi compliquer l’évolution de la grossesse, de l’accouchement et du post-partum. De plus, la grossesse peut faciliter l’évolution des myomes vers les complications.
La découverte de la présence de myomes chez une femme ayant un désir de grossesse ou chez une femme enceinte suscite questionnements et inquiétudes. Le rôle joué par ces myomes sur la fertilité spontanée ou leur impact lors d’une aide médicale à la procréation (AMP) dépend de leur taille, de leur localisation et de leur nombre. Chaque médecin confronté à cette situation va devoir choisir et proposer une attitude expectative ou interventionniste. Les conséquences doivent être clairement énoncées à la patiente quel que soit le choix retenu. La prise en charge des myomes utérins lors de la grossesse doit être aussi peu invasive que possible, même si ceux-ci peuvent entraîner douleurs abdominales, rupture prématurée des membranes, hémorragie de la délivrance, malposition fœtale. Un utérus myomateux est tout à fait compatible avec une grossesse et il s’agira de ne pas entraîner de iatrogénicité. Un utérus myomateux est tout à fait compatible avec une grossesse. Une association de plus en plus fréquente La pathologie utérine myomateuse est fréquente puisque environ 25 % des femmes en période d’activité génitale en sont porteuses. C’est dire la forte probabilité d’observer ses interactions avec la grossesse. Cette association, dont la fréquence varie de 1 à 4 %, ne cesse de croître, compte tenu de la survenue plus tardive des grossesses (tableau 1) et du taux d’incidence des myomes qui s’élève progressivement avec l’âge. Ces pourcentages reflètent pour le plus bas, des résultats d’anciennes séries qui reposent sur des examens cliniques et des diagnostics peropératoires au moment des césariennes. Le taux le plus élévé est retrouvé dans des séries plus récentes où les diagnostics sont faits au cours de la grossesse lors des échographies répétées. Tableau 1. Fréquence de l’association fibrome et grossesse. Auteurs Fréquence (%) Dilucca (1981) 1,99 Exacoustos et Rosati (1993) 3,87 Hasanet et coll. (1990) 0,1 Katz et coll. (1989) 2 Muram et coll. (1980) 0,8 Rice et coll. (1989) 1,4 Strobelt et coll. (1994) 1,6 Monnier et coll. (1986) 0,34 (myomes de plus de 3 cm) Lopes et coll. (1999) 0,2 Lolis et coll. (2003) 3,9 Fibrome et fertilité spontanée Seules des études d’observation, soit rétrospectives, soit prospectives, analysant les taux de grossesses après myomectomie sont disponibles. Ainsi, même si l’on pense de façon pragmatique que les fibromes pourraient être responsables d’infertilité en raison d’une modification de la cavité utérine pouvant entraîner une altération dans le mécanisme d’implantation ou de gêne dans la migration des spermatozoïdes ou de l’embryon, les myomes utérins comme seule cause d’infertilité ne sont retrouvés que chez 1 à 2 % des patientes. Mais, à ce jour, aucune étude n’a été réalisée sur la fertilité spontanée au sein d’une population avec fibrome, comparée à une population de patientes sans fibrome ; il n’existe pas non plus d’étude prouvant l’efficacité d’une myomectomie comparée à une attitude expectative réalisée dans un groupe contrôle. Impact de la localisation du fibrome En cas de myome sous-muqueux, le retentissement sur la cavité utérine (appréciée au mieux par une hystéroscopie diagnostique en consultation) semble logiquement associé à une diminution de la fertilité. Toutefois, presque toutes les études montrent une absence totale, ou au mieux partielle, d’évaluation des autres facteurs d’infertilité possibles, rendant de ce fait l’analyse de la fertilité limitée. Pour certains, plus le nombre et la taille des fibromes enlevés sont importants, moins bon est le pronostic de fertilité, mais d’autres auteurs n’ont retrouvé aucune différence. Des études contradictoires ont été publiées sur le rôle joué par la localisation du fibrome avec, peut-être, un rôle délétère des myomectomies postérieures responsables d’adhérences péri-annexielles et donc, secondairement, de stérilité tubaire. Impact de la technique de myomectomie Le taux de grossesses après myomectomie est d’environ 50 % sans différence significative entre les résections par hystéroscopie (45 %), par laparoscopie ou par laparotomie (49 %). Des facteurs techniques, comme l’expérience du chirurgien et la qualité du matériel, doivent sûrement jouer un rôle. De nombreuses études ont tenté de trouver des arguments en faveur de la laparoscopie ou de la laparotomie, mais malheureusement n’ont pu que comparer la sévérité des adhérences lors du second look et le taux de récidives myomateuses, sans avoir assez de recul pour mesurer l’impact sur la fertilité. Un autre moyen d’apprécier la relation entre myomes et infertilité est de regarder l’influence de ceux-ci sur le taux d’implantation. Fibrome et assistance médicale à la procréation (AMP) Six études publiées depuis 1994 ont permis de suggérer un effet délétère des myomes sous-muqueux et interstitiels chez des patientes suivies dans le cadre d’une AMP (tableau 2). Tableau 2. Taux de grossesses (%) chez les femmes porteuses de myomes déformant la cavité (1) ou non (2) et chez des femmes non porteuses de myomes (3). 1 2 3 % n % n % n Eldgar-Geva et coll. (1998) 10 1/10 16,4 9/55 30 98/318 Stovall et coll (1998) 37 34/91 53 48/91 Farhi et coll. (1995) 9 5/55 29 25/88 25 32/127 Ramzy et coll. (1998) 39 15/39 34 123/367 Surrey et coll. (2001) 50,7 37/73 58,4 191/327 Jun et coll. (2001) 30,5 43/141 41,6 169/406 Total 9 6/65 33,5 163/487 40,4 661/1636 En effet, pour Farhi, le taux de grossesses est de 9 % chez les 18 femmes dont la cavité utérine est déformée par la présence de myomes, de 29,1 % quand la cavité garde une forme normale (28 patientes avec myomes interstitiels) et de 25,1 % pour les 50 patientes ne présentant qu’une stérilité d’origine tubaire. Eldgar-Geva et Healy (2000) ont étudié l’effet des localisations (sous-séreuses, interstitielles et sous-muqueuses) des fibromes, chez des patientes traitées en fécondation in vitro. Ils concluent que la présence de myomes sous-muqueux et interstitiels, même s’ils ne déforment pas la cavité, diminue statistiquement le taux de grossesses qui est respectivement de 10 % et de 16,4 % comparé à 34,1 % pour les localisations sous-séreuses et à 30,1 % en cas d’infertilité sans myome chez 249 patientes ayant bénéficié de 318 cycles de traitements. Ramzy a pratiqué une étude cas/ témoins comparant 39 patientes porteuses d’un myome utérin > 7 cm, mais ne déformant pas la cavité, à 367 patientes sans myome. Dans cette étude, l’auteur ne retrouve aucune différence en termes de taux d’implantations et de taux de grossesses (39 % versus 34 %). Stovall présente la seule étude prospective cas/témoins non randomisée. Il compare 91 cycles de patientes avec myome interstitiel ou sous-séreux à 91 patientes appariées sans fibrome. Une diminution statistiquement significative du taux de grossesses, d’implantation et d’accouchements est observée dans le groupe de patientes avec fibromes (37 % versus 53 %). Jun ne retrouve pas de différence significative entre les taux d’implantation et le devenir de la grossesse chez les femmes porteuses d’un myome de taille inférieure à 7 cm ne déformant pas la cavité et les femmes indemnes de lésion myomateuse (30,5 % versus 41,6 %). Surrey, d’après son étude rétro-spective de 2001 sur des grossesses obtenues par FIV, a un taux d’enfants nés vivants non influencé par la présence de myomes interstitiels avec cavité utérine d’aspect normal à l’hystéroscopie. Myomectomie et grossesse Les conséquences des myomec-tomies ne sont pas anodines et c’est bien pour cela qu’il faut retenir des indications reconnues. Le risque de rupture utérine La cicatrice utérine peut être responsable d’une anomalie de l’insertion placentaire (praevia, accreta, percreta) et cause de rupture utérine (taux à peu près estimé à 1 %). Dans la série de Seracchioli publiée en 2000, qui compare myomectomies par laparoscopie et myomectomie par laparotomie, aucune rupture utérine n’est retrouvée. Il n’y avait pas non plus de différence significative entre les pourcentages d’accouchements par voie naturelle (35 % versus 22 %) et les pourcentages d’accouchements par césarienne (65 % versus 78 %). Il est à noter que la césarienne n’est pas systématique et c’est ce que partagent Daraï, Dubuisson et Ribeiro. Pourtant, le taux de césariennes est plus élevé chez les femmes porteuses de myomes. On peut retenir différents cofacteurs décisionnels : les malpositions fœtales, les dystocies au cours du travail, les antécédents de myomectomie. La césarienne n’est pas systématique. Sur les 145 grossesses après myomectomies par laparoscopie de la série de Dubuisson, il y a eu 38 fausses couches, 58 accouchements normaux et 42 césariennes. Trois ruptures utérines sont rapportées, toutes avant la mise en travail, et au moins une attribuée à l’antécédent chirurgical. D’autres cas de rupture utérine sont décrits après myomectomie par laparoscopie. En revanche, dans la série de Seinera publiée en 2000, aucune des 54 patientes opérées par laparoscopie avec un total de 65 grossesses n’a eu de rupture utérine. Quatre-vingt pour cent des patientes ont eu une césarienne. Les techniques de sutures du myomètre sous contrôle cœlioscopique doivent être évaluées. Aucune série récente de grossesses après myomectomie par laparotomie ne rapporte de cas de rupture utérine. Aucune série récente de grossesses après myomectomie par laparotomie ne rapporte de cas de rupture utérine. En pratique Le risque est probablement d’autant plus faible que la cavité n’a pas été ouverte. La surveillance du travail doit rester vigilante comme pour tout utérus cicatriciel. Il reste admis de ne pas réaliser de myomectomie au cours des césariennes, compte tenu des risques hémorragiques et de la fragilité de la cicatrice utérine faite. Cela est d’autant plus vrai que 75 % des myomes diminuent de taille dans le post-partum. Néanmoins, il peut être nécessaire de réaliser une myomectomie première sur un volumineux myome, se développant dans le segment inférieur, pour permettre l’extraction fœtale. Un volumineux myome sous-séreux dont le pédicule est inférieur à 5 cm peut être une autre exception. Grossesse après embolisation pour fibromes La majorité des séries d’embolisation d’artères utérines pour utérus myomateux rapportent quelques cas de grossesses inattendues, à distance de la procédure. Douze grossesses ont été décrites chez 9 femmes suivies pour embolisation à l’hôpital Lariboisière. Il n’y a pas eu de récidives des myomes pendant la grossesse. Cinq des 12 grossesses se sont terminées par une fausse couche spontanée précoce (toutes chez des femmes de plus de 40 ans). Il y a eu deux accouchements prématurés à 28 SA (une patiente au stade SIDA dans un contexte infectieux) et à 35 SA (grossesse gémellaire après prééclampsie). Trois femmes ont accouché par les voies naturelles et quatre par césarienne. Ces chiffres sont peu importants pour en déduire une réelle significativité. L’âge assez avancé des femmes de cette série (moyenne de 36,5 ans) constitue un groupe à haut risque pour le déroulement de la grossesse. Dans son article publié en 2003, Ravina reprend sa série et rapporte 32 grossesses chez 29 femmes après embolisation de myomes. Treize femmes avaient moins de 35 ans, quinze femmes avaient plus de 35 ans et cinq avaient plus de 40 ans lors de l’embolisation. Il y a encore douze grossesses en cours mais déjà 22 enfants sont nés de poids normal avec des délivrances normales (dont 12 par césarienne). L’utilisation de l’embolisation doit être soigneusement évaluée en raison des risques d’aménorrhée transitoire ou définitive observés après ce type de traitement radiologique. Trastour dans une publication de 2003 récapitule les séries de grossesses publiées. Au cours de ces grossesses, on peut noter une augmentation de taille des fibromes résiduels avec régression en post-partum. La croissance fœtale est normale, de même que la vascularisation placentaire et les Doppler. Le risque de toxémie ne semble pas augmenté. Pour les accouchements par voie naturelle, il n’y a pas d’anomalies des contractions utérines, de la durée du travail ni des saignements. Des études à plus grande échelle avec des critères bien définis d’inclusion et d’évaluation sont nécessaires pour établir la place de cette technique par rapport à la myomectomie qui reste encore le traitement de référence pour les femmes désirant une grossesse. Interactions pendant la grossesse Les myomes peuvent être responsables de complications gravidiques par plusieurs mécanismes. Dans une grande cohorte rétrospective de plus de 12 000 femmes, on a estimé qu’une grossesse sur 500 avait une complication secondaire à un utérus myomateux et que 10 % des femmes avec un utérus myomateux avaient une complication obstétricale. Malheureusement, il n’y a pas eu de comparaisons entre les taux de complications chez les femmes porteuses et les femmes indemnes de pathologie myomateuse. Une étude de population de 6 000 enfants, nés dans l’état de Washington, retrouve un risque relatif de complications obstétricales de 1,9 chez les femmes porteuses de myomes. Risque de fausse couche Les myomes antérieurs peuvent gêner considérablement un prélèvement ovulaire par amniocentèse ou biopsie de villosités choriales. Les décollements ovulaires peuvent être favorisés par l’hyperpression veineuse engendrée par la compression des fibromes. La fréquence des avortements spontanés varie dans la littérature de 4 à 18 %. En fait, ce chiffre est habituellement donné comme risque de fausse-couche au cours des grossesses normales ; compte tenu de l’âge des patientes lors de leur myomectomie, on pourrait s’attendre à des chiffres plus élevés. Fibrome et développement placentaire La localisation du myome doit être prise en considération ; ainsi les myomes sous-muqueux peuvent provoquer des altérations endométriales mécaniques, vasculaires et induire des altérations du stroma comme une atrophie ou une ulcération réduisant les chances de développement placentaire. Dans son étude cas/témoin, Aydeniz montre que les fibromes sous-muqueux en regard de l’insertion placentaire augmentent le risque de retard de croissance intra-utérin (RCIU) (14 % versus 6,6 %) et d’hématome rétroplacentaire (HRP) (3,2 % versus 1,3 %). Il n’est sûrement pas nécessaire d’augmenter la fréquence des échographies chez les femmes porteuses d’un utérus myomateux en dehors d’un suivi pour RCIU (placenta inséré en regard du fibrome). Compression de la cavité ovulaire Les fibromes peuvent comprimer la cavité ovulaire, gêner la distensibilité du myomètre et être responsables de syndrome de compression et de déformation fœtale. Ils peuvent perturber la régulation de la quantité de liquide amniotique (en général polyhydramnios). Accouchements prématurés Le pourcentage de menaces d’accouchement prématuré varie ; on observe une augmentation de menaces d’accouchement prématuré et d’accouchements prématurés chez les femmes porteuses de fibromes dont le diamètre était supérieur à 3 cm (de 20 à 28 % pour ceux supérieurs à 5 cm). Il n’y a pas d’augmentation du taux d’accouchements prématurés en cas de myomes de taille inférieure à 3 cm. Lors de l’accouchement Les fibromes cervicaux ou isthmiques peuvent gêner l’ampliation du segment inférieur et l’accommodation de la présentation : les observations de présentation du siège, ou transverse, sont plus fréquentes. Les hémorragies de la délivrance s’expliquent par les difficultés de rétraction et d’involution utérine liées aux fibromes. Les patientes doivent toujours être informées des risques d’hystérectomie d’hémostase. Les patientes doivent toujours être informées des risques d’hystérectomie d’hémostase. En post-partum Dans les suites de couches, les risques infectieux et thrombo-emboliques sont nettement augmentés. Les infections du post-partum doivent faire craindre une nécrobiose septique lorsque le fibrome, au contact de la cavité utérine, se sphacèle. La couverture antibiotique doit considérer en premier lieu les anaérobies. Influence de la grossesse sur l’évolution des fibromes De nombreux résultats permettent de contester l’idée reçue d’une augmentation systématique de taille des fibromes, induite par la grossesse. Il n’y a pas de preuve de l’effet néfaste de la grossesse sur la survenue d’une nécrobiose car aucune étude comparative n’a été effectuée. Aucun traitement préventif (notamment, la progestérone) n’a été validé. Le diagnostic est posé sur des signes cliniques associant : douleur localisée, hyperthermie inférieure à 38,5° C et bonne efficacité du traitement médical (repos, antalgiques et plus spécifiquement les anti-inflammatoires non stéroïdiens [AINS]). Elle est plus fréquente au 2e trimestre de la grossesse. L’équipe de Rouen a rapporté, en 2003, le cas d’une primipare ayant eu une myomectomie par laparoscopie à 17 SA sur un myome sous-séreux en nécrobiose. Quinze jours après l’intervention, la patiente a été réopérée pour nécrose myométriale avec rupture utérine. La technique par coagulation monopolaire est mise en cause, mais surtout l’intervention en elle-même qui est une mauvaise indication pendant la grossesse. L’échographie Doppler peut mettre en évidence l’ischémie du myome. Le pourcentage observé de nécrobiose aseptique au cours de la grossesse est variable. Le diagnostic est parfois purement histologique lors des myomectomies réalisées au cours des césariennes. Conclusion La présence de fibromes utérins peut induire une grossesse à risque et avant cela une difficulté à obtenir une grossesse. Diverses méthodes de diagnostic et de traitement ont été développées permettant une prise en charge la plus adaptée possible. Il est probable que l’association fibrome et grossesse va être de plus en plus fréquente en raison de l’âge plus tardif des grossesses et les multiples échographies prescrites. Un compromis sera alors à trouver entre une attitude expectative, plus évidente dans tous les cas de myomes asymptomatiques, mais aussi lors de symptomatologies bénignes et une attitude plus active surtout avant la grossesse afin de récupérer une cavité utérine de morphologie normale.
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