Publié le 10 juin 2010Lecture 6 min
Cancer du sein chez la femme ménopausée. L’insuline au coeur du débat
C. JAMIN, Paris
L’augmentation d’incidence des cancers du sein observée après la ménopause chez les femmes recevant certains traitements hormonaux (THM) et sa diminution consécutive à l’arrêt de ces THM ne peuvent trouver d’explication rationnelle dans l’effet qu’exerceraient les stéroïdes exogènes à eux seuls. C’est oublier qu’il existe bien d’autres facteurs de risque de cancer du sein à la ménopause, ne seraitce que l’âge et les modifications métaboliques qui interviennent à cette période de la vie, notamment une augmentation de la masse grasse, dans une population majoritairement en surpoids, associée à une insulinorésistance et un hyperinsulinisme.
L’insuline, hormone associée à une augmentation du risque de cancer du sein, réapparaît dans le débat. Sans éclipser totalement la responsabilité des stéroïdes sexuels, elle apparaît néanmoins comme un facteur de risque tout aussi plausible que ces derniers. Seuls l’insuline et l’estradiol sont associés au risque dans WHI-OS L’implication de l’insuline est confortée par la publication récente des travaux de M.J. Gunther et coll. dans le cadre de l’étude WHI observationnelle (WHI-OS), étude prospective ayant inclus près de 94 000 femmes ménopausées non diabétiques âgées de 50 à 79 ans, suivies pendant 5 ans (1). Au sein de cette cohorte, un échantillon de 835 cas a été sélectionné sur les quelque 1 800 cas de cancers du sein apparus après plus d’un an de suivi, lesquels ont été appariés à 816 sujets pris dans la cohorte WHI-OS. Deux paramètres ont été trouvés associés au risque de cancer du sein, les taux d’insuline et d’estradiol. Dans cette étude, ni les concentrations d’IGF-1, ni celles d’IGF-1 libre, ni celles de la protéine de liaison de l’IGF (IGF-BP 3) ne sont corrélées au risque. L’obésité est également associée au risque, mais cette association est atténuée après ajustement sur l’insulinémie ; en revanche, les corrélations entre, d’une part, l’insulinémie ou l’estradiol et d’autre part, le risque de cancer mammaire, persistent après ajustement sur ces deux paramètres, ce qui tend à prouver qu’il s’agit de deux marqueurs de risque indépendants, qui sous-tendent la relation entre l’obésité et le cancer du sein après la ménopause. L’insuline exerce un effet synergique avec l’estradiol Parmi les quatre études (dont WHI-OS) ayant évalué la relation entre l’insulinémie et le cancer du sein, seulement deux sont valides, les deux autres ayant inclus des femmes sous THM (2-5). L’autre étude montre, comme WHIOS, une corrélation entre hyperinsulinémie et cancer du sein. D’autres travaux, plus nombreux, ont montré que l’insulinémie est un marqueur du risque de récidive et de mortalité par cancer du sein chez la femme ménopausée. Le lien entre insuline et cancer du sein est renforcé par ses effets connus au plan cellulaire : elle exerce un effet prolifératif sur les cellules mammaires normales et cancéreuses, et un effet promoteur sur les tumeurs chez l’animal ; elle interagit dans le processus de signalisation des estrogènes en activant les voies de la MAPK (mitogen-activated protein kinase) et de la phosphatidylinositol- 3-kinase ; elle active la transcription du récepteur alpha dans les cellules cancéreuses, même en l’absence d’estradiol. Il existerait donc un effet synergique entre l’estradiol et l’insuline, chacune augmentant la sensibilité des tissus mammaires à l’effet de l’autre. L’arrivée de l’insuline au centre du débat fournit l’occasion de revenir sur certaines incohérences cliniques : – en premier lieu, l’absence de diminution d’incidence du cancer mammaire après la ménopause, alors que les sécrétions endocriniennes se tarissent, et sa diminution consécutive à l’arrêt des THM ; – l’absence d’augmentation d’incidence des cancers du sein dans les schémas de THM ne comportant que des estrogènes dans l’étude WHI (6), contrastant avec son élévation sous association estrogènes + progestatifs, et non sous estrogènes + progestérone ou rétroprogestérone. Certains progestatifs favorisent l’insulinorésistance Or, chez la femme ménopausée, la carence en estrogènes s’accompagne d’une augmentation de l’insulinorésistance, dont les marqueurs cliniques sont le poids (obésité androïde alors que l’obésité gynoïde est plutôt protectrice vis-à-vis du risque de cancer du sein), le rapport taille/hanche, le syndrome métabolique. Les résultats de l’étude WHI, réalisée dans une population dont l’indice de masse corporelle était élevé, pourraient s’expliquer par l’effet du progestatif (la médroxyprogestérone), qui agirait sur le risque de cancer du sein par l’intermédiaire de l’insuline en favorisant l’insulinorésistance ; a contrario, les estrogènes administrés seuls diminuent l’insulinémie et augmentent l’insulinosensibilité, comme l’a montré l’étude PEPI (7). De plus, l’absence d’insulinorésistance observée sous progestérone expliquerait son absence d’effet délétère. Insuline et tissu adipeux Outre son effet synergique avec l’estradiol sur les tissus mammaires, l’insuline exerce des effets directs sur le tissu adipeux en augmentant la sécrétion des adipocytokines par ce tissu hormonal. Parmi ces hormones, la résistine, la leptine, l’IL-1 et l’adipocyte fatty acid-binding protein (A-FABP) sont tous liés au cancer du sein : des taux élevés sont associés à une augmentation du risque et/ou de la gravité de la maladie, et à l’obésité et à l’insulinorésistance. À l’inverse, l’adiponectine, dont le taux est inversement corrélé à l’insulinorésistance et à l’obésité androïde, est un facteur protecteur vis-à-vis du cancer du sein. Ce nouvel éclairage sur les facteurs influant sur le risque de cancer du sein après la ménopause met en exergue non plus un, mais plusieurs acteurs, qui interagissent : – l’insuline au coeur du débat, – l’obésité qui entraîne une insulinorésistance, – les progestatifs qui favorisent l’insulinorésistance, – et les adipocytokines, pour certaines responsables de l’hyperinsulinémie liée à l’obésité, pour d’autres susceptibles de stimuler la prolifération et l’invasivité des cellules tumorales, et toutes liées à l’inflammation, à côté desquelles le rôle supposé délétère des estrogènes, qui eux améliorent l’insulinosensibilité, semble minoré.
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