Publié le 11 oct 2006Lecture 10 min
Allo-immunisation anti-D pendant la grossesse : où en est-on ?
B. BRANGER, N. WINER Nantes
Le nombre de femmes exposées au risque d’allo-immunisation anti-D et devant bénéficier d’une prise en charge dépend de plusieurs facteurs : le nombre de grossesses, la répartition des groupes sanguins dans le système Rhésus D, le nombre de situations à risque d’allo-immunisation, ainsi que du protocole choisi dans la prévention.
Nombre de grossesses et de naissances en France sur une année En 2004, 794 400 naissances ont été enregistrées en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer(1) ; il s’agit de naissances vivantes. Compte tenu du nombre de naissances par accouchement qui est de l’ordre de 1,01, le nombre de grossesses donnant lieu à au moins une naissance vivante serait de 782 500 environ. Il faut ajouter le nombre de mort-nés en France en 2002, qui a été de 6 682 (après 22 SA)(2), soit environ 790 000 grossesses dont l’issue est au moins un nouveau-né vivant ou décédé à partir de 22 SA. Pour connaître le nombre de grossesses totales, dont certaines sont interrompues et pour lesquelles les femmes devraient recevoir un traitement anti-globuline D, il faut ajouter les éléments suivants avec des intervalles pour tenir compte des imprécisions épidémiologiques (tableau 1) : – les fausses couches (FC) à partir de 6 ou 7 SA avec un contact avec une structure de soins. L’incidence des FC est peu connue et estimée généralement à 10-15 %(3) ; – les interruptions volontaires de grossesse avant 14 SA : 180 000 à 220 000 par an selon l’INED(4) ou la DREES(5) ; – les grossesses extra-utérines (GEU) : 2 % des grossesses soit 16 000 à 18 000 grossesses(6) ; – les interruptions médicales de grossesse (IMG) : de l’ordre de 7 ‰ soit 5 600. Au total, le nombre de grossesses « conçues » serait alors de l’ordre de 1 100 000 à 1 200 000 de manière globale pour lesquelles deux protocoles sont étudiés : la prévention ciblée sur les gestes à risques et la prévention systématique au 3e trimestre, toutes deux associées au traitement après la naissance pour les mères Rh-D négatif d’enfant Rh-D positif. Les événements à prendre en compte durant cette période sont les suivants : – avant 14 SA : interruptions volontaires de grossesses et fausses couches, GEU, biopsie de villosités choriales, réductions embryonnaires des grossesses multiples ; – de 14 à 28 SA : traumatisme abdominal, prélèvements ovulaires, ponctions de sang fœtal, IMG, métrorragies ; – après 28 SA : métrorragies, ponctions de sang fœtal, version par manœuvre externe, traumatisme abdominal, mort fœtale in utero (MFIU), grossesses multiples. Le problème des MAP est difficile sur le plan épidémiologique en raison de l’imprécision du terme et de l’ignorance de son incidence. Épidémiologie des groupes sanguins dans le système Rhésus Le groupe Rh-D négatif représente en moyenne 15 % de la population française (dite caucasienne) et donc, également, 15 % des femmes enceintes ou ayant accouché. Sur la base de la population des femmes enceintes par an, cela correspondrait à 160 000 à 180 000 femmes exposées au risque d’allo-immunisation. Cette fréquence peut être différente dans d’autres populations(7, 8). Les Basques auraient une fréquence de Rh-D négatif de 35 % et, à l’opposé, les populations d’origine africaine de 7 %, et les Asiatiques de l’ordre de 0,3 %(9). Dans ces conditions, la proportion moyenne de 15 % peut ne pas s’appliquer à toutes les régions selon l’origine ethnique des parturientes. Épidémiologie des femmes exposées à un risque d’allo-immunisation anti-D Deux situations peuvent être analysées pendant la grossesse et après la naissance. Le groupe RhD du fœtus est inconnu pendant la grossesse En début de grossesse, l’ensemble de la population des femmes Rh- est estimé au nombre de 150 000 à 180 000. Ce n’est qu’après la naissance que le groupe RhD du nouveau-né est connu avec une estimation de 118 500 femmes RhD négatif dont 71 000 femmes RhD négatif avec nouveau-né RhD positif (tableau 1). La détermination du groupe sanguin du père de l’enfant à naître peut également être proposée et permettrait de limiter le nombre de mères devant recevoir le traitement antiglobulines. Les mères, dont le conjoint serait RhD négatif, ne sont pas à risques d’allo-immunisation. Dans les autres cas, la population de femmes RhD négatif de conjoint RhD positif serait de 102 000 à 106 000 à partir de 28 SA. Cette stratégie suppose que le conjoint est bien le père, que le couple accepte la détermination du groupe sanguin et que, en cas de problème, les responsabilités soient identifiées. Le groupe RhD du fœtus est connu Le groupe RhD peut être déterminé en cas de recherche spécifique à l’occasion d’amniocentèse, de ponction de sang fœtal, ou de recherche sur le sang maternel par biologie moléculaire possible à partir du deuxième trimestre. La probabilité pour une femme RhD négatif de s’unir avec un père RhD positif de génotype D/D est de 35 % avec un risque de RhD positif fœtal de 100 %, de 50 % si le père est RhD positif de génotype D/d avec un risque de RhD positif fœtal de 50 %, soit un total de (35 % + 25 %) 60 % des mères RhD négatif. La population des femmes RhD négatif avec fœtus positif à partir de 28 SA serait alors de 72 000 à 75 000 femmes. Cette stratégie est à considérer au regard de la fiabilité et des performances des tests de diagnostic de groupe sanguin fœtal (sensibilité, spécificité), des problèmes de confidentialité et de responsabilité en cas de faux négatif, et des dépenses générées par cette procédure, ainsi que des gains escomptés en ne réservant le traitement préventif qu’aux femmes RhD négatif avec fœtus RhD positif. Les tableaux 1 et 2 modélisent les effectifs des populations des femmes devant recevoir un traitement d’antiglobulines anti-D et le nombre de traitements possibles dans les deux protocoles. Des intervalles, en cas d’hypothèse basse et d’hypothèse haute, sont calculés. Un traitement peut consister en plusieurs doses de médicament. Le laboratoire LFB fait état de 163 000 doses de traitement (5 % soit 8 150 doses, avec un intervalle de 154 850 à 171 150). Selon ce laboratoire, 20 % des femmes recevraient deux doses, ce qui entraînerait un nombre de traitements (division par 1,2) de 129 000 à 143 000 traitements. Risque résiduel avec la prévention ciblée sur les gestes à risques La prévention ciblée, en place depuis 1970, consiste à administrer l’immunoglobuline anti-D au 1er trimestre en cas de fausses couches, métrorragies, GEU, IVG, traumatisme abdominal, biopsie de villosités choriales, et aux trimestres suivants en cas d’amniocentèse, ponction de sang fœtal, fausse couche spontanée, métrorragies, cerclage du col, version par manœuvres externes, mort fœtale in utero (MFIU), traumatisme abdominal, IMG, et aux mères RhD négatif de nouveau-nés RhD positif. Le traitement de la menace d’accouchement prématurée (MAP) est plus sujet à caution et ne fait pas partie des pratiques habituelles de la plupart des praticiens(10). Cette pratique n’a pas supprimé les risques d’allo-immunisation spontanée, notamment en fin de grossesse, car des passages d’hématies fœtales dans la circulation maternelle restent possibles. En effet, les circonstances probables d’allo-immunisation anti-D sont les suivants(10) : 24 % à l’accouchement, 25 % en cas d’IVG, 29 % en cas de fausses couches spontanées, 1 % en cas de GEU, 16 % inconnue. Le passage des hématies fœtales a été documenté selon le moment de la grossesse et de l’accouchement : 5,5 % des grossesses avant 28 SA, 7 % entre 32 et 35 SA(11), ou encore 4 % au 1er trimestre, 12 % au 2e trimestre, 45 % au 3e trimestre et même 60 % des grossesses à l’accouchement(12). Le risque est également de 15 % en cas de syndrome transfuseur-transfusé. Au total, 25 % des allo-immunisations anti-D seraient spontanées et échapperaient à la prévention ciblée(13). Au total, avec la prévention ciblée, persisterait un risque d’allo-immunisation anti-D en France pour environ 0,9 ‰ femmes en 1995 en Ile-de-France soit, pour 810 000 à 830 000 femmes enceintes à 28 SA, en France à 730 à 750 femmes par an(10). Par ailleurs, les anticorps anti-D sont retrouvés chez 1 à 3 % des mères, soit environ 1 000 à 3 000 femmes(14, 15), et les anticorps sont détectables pendant la grossesse dans 0,5 % des grossesses (la moitié des 1 % après une première grossesse)(16). Les raisons évoquées pour expliquer cette allo-immunisation résiduelle sont les suivantes : non-administration alors qu’il y avait une indication, recours à une posologie inadéquate, défaut d’un protocole bien appliqué (insuffisance de recours au test de Kleihauer quantitatif), hémorragie fœto-maternelle silencieuse et spontanée. On peut toutefois signaler qu’une population faible, mais non-connue, de femmes étrangères, RhD négatif, avec des histoires obstétricales situées hors de France, et n’ayant pas bénéficié de traitement préventif, peut être atteinte d’allo-immunisation lors d’une nouvelle grossesse en France. Nombre de traitements selon quatre stratégies (hypothèses hautes et basses). Gains escomptés avec la prévention systématique pendant la grossesse Selon la métaanalyse de Chilcott(16), le gain escompté en termes de prévention des allo-immunisations sur le fœtus et le nouveau-né varierait, selon les doses utilisées d’antiglobulines anti-D de 0,59 % à 1,26 % des femmes RhD négatif, passant de 0,89 % à 1,60 % dans un groupe témoin (avec la prévention ciblée) à 0,30 % à 0,35 % dans un groupe intervention (avec la prévention systématique) (sans prendre en compte les intervalles de confiance à 95 %). En Irlande, le taux résiduel de 3 ‰ femmes est aussi proposé en 1994 (pour 18,4 ‰ femmes en 1977)(17). Selon ces données, à partir de 125 000 à 130 000 femmes RhD négatif de 28 SA, le nombre de femmes immunisées passeraient de 1 100 à 2 100 avec la prévention ciblée à 375 à 455 avec la prévention systématique par an en France, soit une réduction de 650 à 1 700 par an (en prenant les hypothèses extrêmes soit (1 100-455) et (2 100-375)). En se référant aux odds ratio (OR) de 0,20 à 0,33, et en prenant un OR moyen de 0,30, le nombre de femmes pour lesquelles la prévention systématique éviterait une allo-immunisation serait de 770 à 1 500 avec les données de Chilcott(16), et de 500 à 550 avec les données de Brossard(10) Conséquences d’une allo-immunisation anti-D sur le fœtus et le nouveau-né Il existe peu de données en France sur les conséquences fœtales en lien avec une allo-immunisation anti-D comme les MFIU, les anémies fœtales, les anasarques, les anémies néonatales et les ictères graves. Toutes les données présentées ci-dessous sont des calculs à partir de probabilités établies dans d’autres pays et à des époques datant quelquefois de plus de 10 ans. C’est ainsi qu’il est fait couramment état de 1 à 2 % de la mortalité périnatale en lien avec une allo-immunisation anti-D (1 à 2 % de 10 ‰ en 2002(2) soit 4 878 nouveau-nés décédés et donc de 50 à 100 décédés en lien possible avec l’allo-immunisation ou encore un décès sur 16 000 naissances). D’autres données à l’étranger faisait état d’un décès sur 28 000 naissances en relation avec une hémolyse délétère dans les systèmes Rhésus. Cette situation s’est améliorée depuis la mise en place du protocole systématique, puisque 1 % des nouveau-nés étaient atteints avant la prophylaxie avec 1 décès sur 2 000 naissances(16). Le risque résiduel de 1 sur 28 000 correspondrait à 28 décès en France par an. Depuis la prophylaxie avec l’administration d’anti-D pendant la grossesse au Royaume-Uni, une estimation fait état d’un mort-né en lien avec une allo-immunisation pour 104 000 naissances en 1999(16) ou 1,3 pour 10 000 naissances en 1994(18) (en France cela ferait 7 décès). En raison du risque de sous-déclaration, un taux de 6 décès pour 100 000 naissances a été évoqué en Écosse(19) et en Irlande(17). En se référant à Greenough dans la période 1999-2000, avec le traitement systématique, sur 80 000 naissances, aucun décès n’a été observé et une incidence de 3 enfants traités pour 10 000 naissances (0,8 exsanguino-transfusions) a été observée ; cela ferait en France 240 cas traités et 65 exsanguino-transfusions résiduelles avec le traitement systématique(19). Les références sont disponibles sur demande au journal Gynecologie Pratique.
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