Publié le 22 sep 2013Lecture 10 min
Retard diagnostique d’un cancer du sein et responsabilité pénale
R. MISLAWSKI, docteur en droit, médecin coordonnateur, Saint-Louis réseau sein, Paris
Un médecin peut être condamné pour homicide involontaire du fait d’un retard dans le diagnostic et la prise en charge d’une patiente atteinte d’un cancer du sein. Le retard diagnostique en pathologie mammaire est à l’origine d’un assez faible contentieux. Ce contentieux est en général de nature civile et il aboutit à une indemnisation au titre de la perte de chance. Toutefois, la possibilité d’une action devant un tribunal répressif ne doit pas être sous-estimée, comme l’illustre la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation rendue le 15 décembre 2009.
Un retard diagnostique de deux ans En mars 2001, le docteur A., médecin généraliste de Mme Z., porteuse de prothèses mammaires esthétiques, lui prescrit une mammographie qui est réalisée par le Dr B., radiologue. Ce dernier note dans son compte rendu qu’il existe une image de calcifications du sein gauche et préconise de refaire l’examen dans 6 mois. Le Dr A. prescrit un contrôle pour dans deux ans et instaure un traitement substitutif de la ménopause sans parler des risques de ce traitement. Il revoit la patiente à plusieurs reprises sans changer de tactique. Il refuse de donner les documents à la patiente qui les lui réclame. En 2003, la patiente présente des douleurs pelviennes et consulte un gynécologue qui constate, outre un fibrome, la présence d’une tumeur dans le sein gauche. Il demande une mammographie qui montre les mêmes calcifications qu’en 2001 avec une adénopathie. Le traitement substitutif est alors arrêté. Le diagnostic de cancer est posé et Mme Z. subit une intervention chirurgicale et des traitements complémentaires lourds qui vont entraîner une incapacité totale de travail. Une condamnation pour homicide involontaire La patiente recherche alors la responsabilité pénale de son médecin généraliste et celle du radiologue du chef de blessures involontaires en 2004. En mars 2007, le généraliste est reconnu coupable de blessures involontaires et condamné à un an d’emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d’amende et un an d’interdiction d’exercer la médecine. Le radiologue est relaxé. Appel est interjeté. En avril 2007, la patiente décède des suites de son cancer. Le Procureur de la République propose la requalification de la prévention en homicide involontaire devant la Cour d’appel. Les deux médecins sont reconnus coupables d’homicide involontaire en novembre 2008 et forment chacun un pourvoi en cassation contre cette décision. La chambre criminelle de la Cour de cassation rejette leur pourvoi en 2009 ; leur condamnation pour homicide involontaire est donc définitive. Fondement de l’action pénale À la différence du droit civil, le droit pénal est soumis au principe de légalité des délits et des peines qui sont d’interprétation stricte, c'est-à-dire qu’il n’est pas permis au juge de faire entrer sous la prévention un fait qui n’y est pas prévu. Nul ne peut être puni pour un crime ou un délit dont les éléments ne sont pas définis dans la loi […]. Article 111-3. Dans le domaine de la santé, les sources du droit pénal sont doubles : il existe d’une part, des textes spéciaux (bioéthique, recherche médicale, etc.) d’autre part, un droit commun qui relève du code pénal. C’est ce dernier qui régit la situation de l’arrêt rapporté. En matière d’atteinte à la personne, le code pénal distingue les atteintes volontaires et les atteintes involontaires qui sont les plus fréquentes. Il s’agit ici d’un délit non intentionnel qui a fait l’objet d’une attention toute particulière du législateur qui a modifié les conditions de la responsabilité pénale en 2000 (Loi Fauchon) afin d’en limiter l’extension, en particulier pour les décideurs (maires, chefs d’entreprise), mais pas seulement. Il en est résulté une réécriture de l’article 121-3 qui s’applique à tous les délits non intentionnels. « Il n’y a point crime ou délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Dans le cas prévu à l’alinéa précédent, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer ». Article 121-3. La limitation de la responsabilité dans la loi Fauchon provient de deux mécanismes : – une appréciation in concreto de la faute plus favorable au prévenu que l’interprétation abstraite qui a longtemps prévalu devant les tribunaux ; – la distinction, pour les personnes physiques seulement, entre causalité directe et indirecte, qui retentit sur l’importance de la faute requise pour retenir la responsabilité des auteurs présumés d’un dommage. Si la cause est directe, une faute simple suffit. Si la cause est indirecte, il faut une faute d’une particulière gravité (violation d’une obligation particulière de sécurité ou exposition d’autrui à un risque grave et évident). Une personne cause directement un dommage, par exemple, si elle se sert d’une arme pour tuer une personne ou que son intervention, dans le cas d’un médecin, a été source d’une complication qui a abouti au décès de la personne. Une personne a causé indirectement le dommage lorsqu’elle a créé ou contribué à créer une situation qui a permis la réalisation du dommage ou qu’elle n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter. Ces distinctions sont reprises dans l’article 221-6 du code pénal qui définit l’homicide involontaire. Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui, constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende […]. Article 221-6. Pour que l’infraction soit constituée, il est nécessaire que soient réunis divers éléments : la mort d’une personne (mort d’autrui), un lien de causalité entre un fait et le décès (le fait de causer) et enfin une faute imputable à l’auteur du fait d’homicide. Le raisonnement des magistrats se fait en deux temps ; d’abord qualifier le lien de causalité entre l’action de chaque médecin (il n’y a pas de responsabilité pénale pour autrui) et le décès de la patiente, puis qualifier la faute. Un lien de causalité indirecte suffisant Pour les deux médecins, leurs fautes ne peuvent être causales, la patiente étant morte de son cancer et non d’un accident thérapeutique. Tout au plus, affirment-ils dans leur pourvoi, on pourrait leur reprocher d’avoir été à l’origine d’une perte de chance qui relève uniquement du droit civil (elle n’est prévue par aucun texte de droit pénal). Et, ajoutent-ils, rien ne prouve qu’un diagnostic plus précoce aurait permis de sauver la patiente. L’argument des médecins serait recevable si le lien de causalité juridique était uniquement direct. Or, il peut être indirect. Les juges considèrent que les médecins ont créé une situation qui a permis le développement du cancer en retardant de deux ans le diagnostic et en ne prenant pas les mesures qui auraient permis d’en éviter la gravité en commençant un traitement précoce. Le cancer du sein n’est pas systématiquement mortel, même s’il existe une incertitude sur ce qu’aurait donné un traitement plus précoce. Pour le médecin généraliste, la prescription d’un THS a été un facteur supplémentaire de risque pour la patiente. Une faute qualifiée En cas de causalité indirecte, le code pénal exige une faute qualifiée et non une faute simple. Cette faute grave a été retenue en appel et la Cour de cassation approuve les juges du fond. Le médecin généraliste a commis deux fautes. Il n’a pas refait un examen dans un délai rapproché comme le suggérait le radiologue, il n’a pas tenu compte de la présence de microcalcifications qui auraient dû le rendre prudent dans la mesure où il instaurait un traitement substitutif de la ménopause. De plus, il a persisté dans son erreur alors qu’il a revu la patiente. En ce qui concerne le radiologue, sa faute consiste, d’une part, à avoir écrit dans son compte rendu qu’il existait des calcifications et non des microcalcifications dont la taille et la disposition avaient un aspect suspect et, d’autre part, de ne pas s’être assuré que les caractéristiques de ces lésions avaient été bien perçues par son confrère. Le radiologue a commis une faute caractérisée qui a concouru, indirectement mais de façon certaine, au décès de la patiente. Portée pratique de l’arrêt Le recours à la voie pénale témoigne en général d’une animosité forte des patients et de leur famille contre un professionnel. Elle a souvent sa source dans une mauvaise gestion de la relation médecin-malade, ce qui est le cas en ce qui concerne le médecin généraliste. Quel que soit le contexte, tout médecin doit gérer cette relation au mieux, non seulement d’un point de vue éthique, mais aussi afin de diminuer pour lui le risque judiciaire. Les décisions de justice nous informent des exigences que la société impose aux professionnels dans leurs pratiques et qu’il faut intégrer. En ce qui concerne les radiologues, la rédaction du compte rendu doit être précise et sans équivoque. La radio doit être de qualité parfaite. Tout signe suspect doit être noté et des contrôles doivent être réalisés en cas de doute à court terme. Le radiologue n’est pas quitte de ses obligations en rédigeant correctement son compte rendu, il doit vérifier que sa signification a été perçue par le médecin prescripteur. En ce qui concerne le médecin généraliste, il doit fournir des informations précises à sa patiente et lui remettre, si elle le demande, le compte rendu. Il doit signaler les prescriptions du radiologue et éventuellement expliquer pourquoi il ne les suit pas. S’il souhaite instaurer un traitement substitutif, il doit être d’une prudence renforcée et avertir la patiente des risques liés au THS. La justice pénale a pour but de sanctionner les fautes, c'est-à-dire les comportements antisociaux dont les dommages sont les révélateurs. Aussi, les juges sontils réticents à toute tentative de limitation de la responsabilité des professionnels de santé. Ils disposent pour cela d’une assez grande latitude dans la qualification des faits qui n’est pas sans une certaine dose d’arbitraire ; autant la décision est légitime en ce qui concerne le médecin généraliste, autant elle est plus discutable en ce qui concerne le radiologue. Si chaque médecin doit être conscient du risque judiciaire, il ne doit pas pour autant en être obsédé. Il est rare et peut être maîtrisé par des pratiques de qualité.
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