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Gynécologie générale

Publié le 20 déc 2024Lecture 10 min

Protégeons la pudeur de nos patientes

Israël NISAND, Directeur médical et universitaire Hôpital américain de Paris, Neuilly‐sur‐Seine

Nous sommes ceux qui attentent le plus souvent et le plus gravement à la pudeur de nos patientes. Nous devrions donc être de ceux qui savent le mieux la respecter, la ménager, la protéger, voire l’encourager. Si les organes génitaux sont pour nous des organes comme les autres, désexualisés, il en va différemment des patientes qui, elles, ne peuvent pas désexualiser leurs propres organes. Il suffit d’un regard, même involontaire, d’une parole inappropriée ou d’un comportement maladroit pour qu’un examen physique leur laisse un souvenir, même non formulé, ou un désagréable sentiment d’impudicité.

Ce sentiment de maltraitance chez la patiente accroît la sinistralité, car il peut faire interpréter totalement à tort une consultation, fût‐elle de qualité. Un seul souvenir négatif peut prendre le devant de la scène. Le sentiment d’avoir subi quelque chose de fort désagréable, voire d’anormal, prend le pas sur celui d’avoir été examinée dans le cadre d’un soin. Le renoncement à tout examen gynécologique ne constitue bien sûr pas la solution, car il nuit à la santé de la femme, qui reste toujours et encore l’objectif prin de notre métier. Avec de tels enjeux, nous devrions être les spécialistes de la pudeur, être capables d’en comprendre les ambiguïtés, ses liens avec le désir, l’érotisme et la dignité de la personne. Il y a une immense variabilité de perception sur ce sujet d’une personne à l’autre en fonction de son éducation, de son histoire et de sa culture. Être pertinent en matière de protection de la pudeur d’une patiente, ce devrait être un objectif constant à chacune de nos consultations. Un bon médecin, une bonne sage‐femme, aux yeux de la patiente, c’est avant tout une personne qui, au‐delà de ses qualités médicales, est sensible à la part humaine de la relation. Et la meilleure manière de le montrer est de valoriser la pudeur de l’autre, si ce n’est plus. Si la femme pudique se protège, c’est aussi parce qu’elle a dans le secret de sa conscience le sentiment que ce qu’elle cache a une valeur véritable, que ce quelque chose qu’elle cache doit être protégé, tenu à l’écart des regards qui pourraient le profaner. La pudeur n’est d’ailleurs pas une vertu exclusivement féminine. Mais il y a quelque chose comme une pudeur objective plus évidente chez la femme que chez l’homme dans la mesure où il est vrai que le sexe féminin est caché, réservé quand celui de l’homme est montré, apparent. Il y a aussi un caractère évident de l’érection, un caractère plus douteux de la lubrification ; la jouissance masculine est indubitable, la jouissance féminine invérifiable. Il y a donc des différences entre le masculin et le féminin qui font que la pudeur n’est pas la même chez les uns et chez les autres. Pudeur et décence ne sauraient être confondues. La décence est une injonction sociale extérieure quand la pudeur est une injonction à la fois éthique et esthétique, intérieure. La décence, c’est la pudeur prescrite, c’est la socialisation de la pudeur alors que la pudeur s’exprime comme une spontanéité. La décence, c’est l’institutionnalisation de la pudeur. On est pudique sans se demander s’il faut l’être alors que le souci de la décence, de la bien‐séance, du conformisme de l’étiquette suppose une réflexion sur ce qu’il convient de faire. On peut prescrire la décence comme une obligation sociale : « Voilà ce que tu dois faire pour convenir aux autres. » En revanche, la pudeur étant un mouvement spontané elle ne saurait se prescrire. Il est ridicule de commander un mouvement spontané. Prescrire la pudeur est donc contradictoire, ce serait justement la faire tristement se transformer en décence que d’en faire l’objet d’une réclame : « Soyez pudique. » À cet égard, il importe de préciser que l’éloge de la pudeur ne saurait couvrir la barbarie qu’est l’imposition du voile ou d’autres vêtements à certaines femmes. Cette contrainte de la pudeur, ces coups de fouet que reçoivent les femmes dans certains pays pour refuser de se voiler constituent un véritable contresens de ce qu’est réellement la pudeur. Considérer que la pudeur puisse s’exercer par une contrainte extérieure, c’est une parodie, une fiction de la pudeur. Autre chose, donc, sont la décence, la bien‐séance, le respect de l’étiquette que la pudeur. La pudeur, c’est cette gêne émou qu’on éprouve lorsqu’on réalise qu’on est à la fois un esprit et un corps. La pudeur, c’est l’esprit qui rougit du corps. Rougeur qui a quelque chose d’esthétiquement attirant. On peut dire que la pudeur est la plus érotique des vertus. La pudeur est spontanée et n’est pas fixée de l’extérieur à l’avance. Ma nudité peut, en certaines occasions, n’attenter point à la pudeur et, en d’autres, l’offenser gravement. On ne peut donc donner de la pudeur une définition normative. Il y a dans la pudeur quelque chose qui échappe à toute fixation, à toute prescription. On ne peut fixer a priori les règles de pudeur. On ne peut dire de l’extérieur à une personne ce qu’est la pudeur. Cette analyse philosophique de cette vertu précaire que représente la pudeur s’impose de fait à nous tous qui faisons métier de la transgresser tous les jours cent fois. Nous la transgressons avec une justification de soins qui ne va pas sans dire que la patiente que nous examinons ou que nous accouchons ne peut d’un seul coup laisser au vestiaire toutes les représentations qui accompagnent dans son esprit la pudeur et la décence. Toute notre éducation s’est appesantie sur le fait de cacher notre corps. Nous sommes les seuls primates à nous cacher pour nos rapports sexuels, sauf exhibition pornographique qui mérite un développement spécifique, et on peut donc dire que la pudeur est un véritable avatar du langage. Quand on parle, on définit des normes sur ce qu’on peut montrer ou pas. Et ces normes sont variables dans le temps et dans l’espace en fonction des cultures. Le XVIIe siècle avait fait de la cheville des femmes l’endroit le plus impudique à dévoiler alors même que le roi effectuait ses besoins devant la cour et que la reine accouchait en public. Autant dire que la variété culturelle des femmes que nous prenons en charge doit nous faire prendre en compte positivement ces différences quant à leur pudeur. Mais aucune n’y est indifférente même celle qui vous dit : « Oh ! moi, vous savez, je n’ai plus rien à cacher ». Le sentiment d’impudeur joue un tango avec le regard du médecin : on n’a pas besoin d’être pudique quand on est seul dans une cabine de déshabillage. C’est le regard de l’autre qui est scruté et analysé, sa manière de regarder, ses mimiques, l’interprétation que la femme peut alors en faire au‐delà même de la réalité. Quand on regarde les organes génitaux, on s’adresse à « un objet » qui est devant nous. Quand on regarde le visage d’une personne, on s’adresse au « sujet ». Nul besoin d’être grand psychologue pour sentir qu’il est important de faire primer le sujet sur l’objet. Alors voici quelques règles simples qui tombent sous le sens pour la plupart des professionnels qui les pratiquent déjà. Mais même si cela va sans dire, c’est encore bien mieux en le disant. Et ces règles intuitives, à discuter bien sûr, ne figurent – hélas ! – nulle part.   1re règle   Lorsque la patiente souhaite bénéficier d’un examen physique, on lui indique la cabine de déshabillage ou le paravent prévus à cet effet, et on lui dit ce qu’elle doit retirer comme vêtement en vue de l’examen : juste le bas. « Ne vous mettez pas toute nue, ce n’est déjà pas marrant comme ça, on ne va pas en rajouter, on examinera les seins après. » Façon de montrer qu’on se préoccupe de sa sensibilité et de sa pudeur à un moment où on va, par la force des choses, faire le geste le plus impudique qui soit. On se range derrière la préoccupation pudique de la femme au moment où elle est examinée. Et même si elle n’a pas cette préoccupation, qui varie selon son histoire et sa culture, elle ne vous en voudra jamais, bien au contraire, d’avoir eu ce genre de prévenance et de l’avoir montrée.   2e règle   La patiente qui s’est déshabillée en dehors du regard du soignant – c’est la loi et je vous rappelle que le paravent est obligatoire – s’est installée sur une table gynécologique et scrute avec angoisse le premier regard du praticien qui la rejoint pour l’examiner. Ne pas diriger son regard immédiatement sur la vulve de la patiente mais plutôt sur son visage. S’adresser d’abord à elle, debout à côté de la table avec un court dialogue avant de se tourner avec son accord vers sa partie caudale. Au mieux mettre un gant et préparer son spéculum en lui tournant le dos tout en échangeant avec elle, sans précipitation. S’assurer une dernière fois de son consentement avant de faire quelque geste que ce soit. Le médecin propose et la pa tiente dispose. Tout ceci sert à humaniser ce moment difficile et le regard du soignant est scruté minutieusement par la patiente.   3e règle   Plus particulièrement importante quand il s’agit d’un premier contact, les premiers gestes doivent être d’une douceur absolue pour montrer qu’on se préoccupe de ne pas faire mal. Dire qu’on va utiliser le plus petit spéculum possible, le montrer et ajouter qu’on utilisera si besoin un lubrifiant. Et ne pas montrer un gant souillé à la patiente après l’examen, car elle pourrait en concevoir de la honte. Le gant et le spéculum souillés sont donc évacués en dessous du champ de vision de la patiente.   4e règle   Couvrir le sexe de la patiente si on fait une échographie vaginale et que le compagnon souhaite assister à cette échographie du premier trimestre. Personne ne sait ce qui se passe dans un couple sur ce point de la pudeur. Quelles que soient les habitudes du couple, une femme exhibée devant son compagnon avec un objet dans le sexe, tenu et manipulé par un tiers, peut constituer une expérience traumatisante. En couvrant le sexe, on se range du côté de la protection de la pudeur de la femme. Elle ne vous le reprochera jamais et vous en saura gré souvent. Ce qui pour nous est d’une banalité pluriquotidienne ne l’est nullement pour aucune patiente. Certaines salles d’écho, où plusieurs externes assistent à des échographies endovaginales sans que la patiente soit couverte, me font penser aux amphithéâtres de dermatologie d’il y a cinquante ans. Cela porte un nom : maltraitance par atteinte à la pudeur.   5e règle   Solliciter une nouvelle autorisation pour l’examen mammaire. L’examen des seins n’est pas toujours anticipé par la patiente qui a pris rendez‐vous pour un examen gynécologique. Maîtriser l’expression neutre de son propre visage au moment où on se trouve face à face et si proche l’un de l’autre. L’examen des seins peut être vécu comme une caresse de connotation autre. Par ailleurs, lorsqu’il y a eu un geste chirurgical sur un sein, celui‐ci peut ne plus être regardé ni touché par la femme ni par son conjoint. On est alors parfois le seul à toucher une zone de mastectomie, et le commentaire positif fait, à ce moment‐là, sur la qualité de la chirurgie par exemple est important pour la patiente.   6e règle   Disparaître du lieu d’examen quand celui‐ci est terminé pour que la patiente puisse se rhabiller tranquillement sans que personne ne soit présent à ce moment‐là. Faire déambuler la femme devant soi pour regagner le lieu où sont ses habits peut être vécu comme une violence. L’examen est terminé, on retourne à son bureau. Les explications, les commentaires et les prescriptions se feront en face à face, entre personnes vêtues. On ne poursuit pas la consultation en présence d’une personne dévêtue, car la nudité empêche le dialogue normal d’égal à égal qui est nécessaire à l’acte médical. De même pour les échographies, le temps du diagnostic et le temps des commentaires sont des temps différents. Expliquer une anomalie fœtale à une femme à moitié nue est juste indécent.   7e règle   Jamais de commentaire sur les vêtements, sur les dessous, sur les tatouages ou sur les piercings. Jamais de récit sur sa vie privée, que ce soit sur les vacances ou les enfants. La patiente peut parler de sa vie ; il n’en va pas de même du soignant, car la relation de soin est fondamentalement asymétrique. Tout ce qui laisse entendre qu’une patiente pourrait bénéficier d’une attitude particulière du médecin à son égard est dangereux. On peut être empathique sans être familier. On peut être prévenant sans avoir de geste déplacé. Toutes ces considérations sur la pudeur doivent parfaitement être maîtrisées pour qui pratique la gynécologie obstétrique. La roche tarpéienne est aussi proche du Capitole que la déréliction l’est de la satisfaction pour une patiente. Le moindre mot, la moindre mimique, le moindre regard peuvent apparaître soudain comme inappropriés et faire entrer la relation dans la suspicion, voire pire, dans la confusion. Et ce n’est jamais la patiente qui en est responsable, même si l’interprétation de certains gestes ou mots a pu être erronée ou excessive. La pudeur, vertu précaire, doit être protégée par ceux‐là même dont les pratiques de soin sont fondamentalement impudiques. Ne pas le savoir ou ne pas en tenir compte, c’est compromettre le vécu de nos examens par nos patientes et ouvrir, hélas, un peu plus la porte à la sinistralité.

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