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Grossesse

Publié le 30 oct 2024Lecture 8 min

Prévention pharmacologique et grande prématurité - Réserves pour la corticothérapie anténatale après 34 SA, défense du sulfate de magnésium avant ce terme

Daniel ROTTEN, Paris

Les essais contrôlés, randomisés contre placebo permettent­ils toujours de répondre aux questions que se posent les cliniciens ? La réponse est bien sûr « non », comme le démontrent les interprétations divergentes faites de part et d’autre de l’Atlantique à propos de deux études. Toutes deux concernent les thérapeutiques préventives recommandées en cas de menace d’accouchement prématuré sévère : l’administration anténatale de corticostéroïdes et l’administration per­partum de sulfate de magnésium.

Deux interrogations cliniques   • L’administration anténatale de corticostéroïdes est recommandée en cas de risque de grande prématurité, c’est‐à‐dire lorsque l’âge gestationnel est < 34 semaines d’aménorrhée (SA). Elle a pour but d’accélérer la maturation pulmonaire fœtale. Elle permet une diminution de la mortalité et de la morbidité néonatales (syndrome de détresse respiratoire, hémorragie intraventriculaire, entérocolite ulcéronécrosante, infection). Les corticostéroïdes ont cependant des effets secondaires. Ceux‐ci sont endocriniens, d’une part, et consistent en la perturbation de la régulation hypothalamo‐hypophysaire. À long terme, on observe un surcroît d’anomalies neurocognitives. Lorsque la totalité des troubles du neurodéveloppement et du comportement sont pris en compte, leur taux est augmenté chez les enfants dont la mère a reçu une corticothérapie anténatale mais qui sont nés à terme. Selon une métaanalyse récente, le taux passe de 6,3 à 8,9 % des naissances, soit un hazard ratio ajusté proche de 1,5. La période de prématurité tardive (34+ 0/7 à 36+ 6/7 SA) concerne environ trois quarts des accouchements prématurés, soit près de 7 % des naissances. Même pendant cette période tardive, le taux de complications survenant en période néonatale ou pendant l’enfance est supérieur à celui observé en cas de naissance à terme, c’est‐à‐dire à 37 SA et au‐ delà. Il y a consensus professionnel pour considérer qu’avant 34 SA, la balance bénéfices‐ risques est en faveur de la corticothérapie anténatale. Mais l’attitude à adopter après cette date est discutée. Cela d’autant que l’efficacité des corticostéroïdes est moindre en cas de prématurité tardive. • L’administration ante­-partum de sulfate de magnésium est destinée à fournir une protection au cerveau du fœtus et du nouveau‐né en cas d’accouchement prématuré. Elle permet selon la plupart des études – mais pas toutes – une diminution du taux d’infirmités motrices cérébrales à distance chez les enfants survivants. La mesure a prouvé son efficacité en cas de naissance très prématurée, plus spécifiquement avant 30 SA. En cas de naissance entre 30 et 34 SA, les avis divergent. Le terme à partir duquel l’administration de sulfate de magnésium n’est plus recommandée varie selon les sociétés professionnelles : 30 SA, 32 SA ou 34 SA.   Corticothérapie anténatale et prématurité tardive   Essai contrôlé corticoïdes versus placebo Le bénéfice de la corticothérapie anténatale en cas de risque de naissance entre 34+ 0/7 SA et 36+ 6/7 SA a été évalué dans un essai contrôlé, randomisé contre placebo, multicentrique (17 centres aux États‐Unis). L’essai a inclus 2 827 mères à haut risque d’accoucher dans l’intervalle précité. Les résultats ont été publiés en 2016. Ils font apparaître une diminution de la morbidité respiratoire des nouveau‐nés, en particulier des complications sévères, comme la nécessité d’assistance respiratoire ou le risque de dysplasie bronchopulmonaire. Ainsi, le risque relatif de morbidité respiratoire sévère, exprimé sous forme d’un score composite, est abaissé de 33 %. On n’observe pas de diminution de la morbidité digestive (entérites ulcéro‐nécrosantes) ou neurologique (hémorragies intra‐ ventriculaires). Enfin, il existe dans le groupe traité un surcroît d’hypoglycémies néonatales, mais celles‐ci sont considérées de faible gravité. Au vu des résultats de cet essai, deux importantes sociétés professionnelles américaines, l’American College of Obstetricians and Gynecologists (ACOG) et la Society for Maternal‐Fetal Medicine (SMFM), ont changé en 2016 leurs recommandations. Elles préconisent désormais la corticothérapie chez les patientes au terme de 340/7 et 36+6/7 à risque élevé d’accouchement, c’est‐à‐dire dans les 7 jours. En France, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français(CNGOF) a considéré que la balance entre bénéfice respiratoire immédiat et risque d’anomalies du neurodéveloppement était défavorable. L’administration de corticoïdes n’a donc pas été recommandée dans sa recommandation sur la prévention des conséquences de la prématurité spontanée, sauf situation à haut risque de détresse respiratoire (césariennes programmées par exemple).   Les observations « en vie réelle » Aux États‐Unis, à la suite des recommandations professionnelles de 2016, le taux d’utilisation de la corticothérapie anténatale en cas de menace de prématurité tardive a fortement augmenté(1). Les chiffres nationaux montrent que le taux de nouveau‐nés nés entre 340/7 SA et 36+6/7 SA et ayant bénéficié d’une corticothérapie est passé de 5,0 à 11,7 % dès la première année suivant le changement des préconisations. Conséquence bénéfique, le taux global de nouveau‐nés ayant nécessité une assistance respiratoire est passé de 8,9 à 8,2 %. Toutefois, le taux de nouveau‐nés ayant nécessité une assistance respiratoire de durée supérieure à 6 heures est resté inchangé (3,4 %). Dans le même temps, toujours aux États‐Unis, dommage collatéral, le taux de patientes ayant reçu une corticothérapie anténatale et accouchant à terme s’est accru de près de 80 %, passant de 4,3 ‰ naissances avant la diffusion de la recommandation, à 7,7 ‰ des naissances en 2017(1). Cette dérive est attribuée à un laxisme sur la définition du « risque élevé » d’accouchement prématuré en vie réelle. Pour rappel, dans l’essai contrôlé dans lequel les conditions d’inclusion étaient strictes, le taux d’accouchements à terme avait été de 16 % seulement.   La balance bénéfices-­risques Le tableau 1 présente une simulation faite à partir du nombre de naissances répertoriées aux États‐Unis pour l’année 2017, année correspondant à l’étude de Freret et coll.(1). Les pourcentages appliqués sont ceux cités dans le texte ci‐dessus. Il apparaît que, en cas de menace d’accouchement prématuré entre 34+0/7 SA et 36+6/7 SA, le nombre de nouveau‐nés dont les mères accoucheront à terme et exposés au risque de présenter des séquelles neurocognitives à distance est supérieur à celui des nouveau‐nés qui tireront bénéfice de la corticothérapie. De plus, ce bénéfice est limité à une diminution des complications respiratoires de faible gravité. Seules les assistances respiratoires de moins de 6 heures sont diminuées, correspondant majoritairement à des détresses respiratoires transitoires, mais pas celles de durée > 6 heures.   T. Schmitz et coll. considèrent dans ces conditions que la balance bénéfices‐risques est défavorable et confirment les préconisations mentionnées dans les Recommandations pour la pratique clinique du CNGOF de 2016 concernant la prévention de la prématurité spontanée et de ses conséquences(2). Ces auteurs estiment qu’après 34 SA il n’existe pas d’arguments suffisants pour recommander l’administration anténatale systématique de corticoïdes. Une cure pourra toutefois être discutée dans les situations à haut risque de détresse respiratoire sévère, en particulier en cas de césarienne programmée.   Sulfate de magnésium et grande prématurité   C.A. Crowther et coll. ont publié en 2023 les résultats d’un essai contrôlé, multicentrique (27 centres situés en Australie et en Nouvelle Zélande), randomisé contre placebo(3). Cet essai était destiné à préciser l’efficacité neuroprotectrice du sulfate de magnésium administré en cas de menace d’accouchement imminent entre 30 et 34 SA (essai MAGENTA). Les critères de jugement principaux étaient le taux de décès et le taux d’infirmité motrice cérébrale constatés au délai de deux ans d’âge corrigé. Pour mémoire, le taux combiné de ces deux paramètres est estimé être le critère cliniquement le plus pertinent pour évaluer les interventions de neuroprotection.   Résultats L’étude a inclus 1 433 femmes, soit 1 679 fœtus. Les termes de naissance se répartissent à peu près également avant et après 32 SA (tableau 2). À 2 ans d’âge corrigé, on n’observe pas de différence de taux d’infirmité motrice cérébrale entre le groupe magnésium et le groupe placebo. Pour la mortalité, on n’observe pas non plus de différence statistiquement significative (tableau 3).   Parmi les objectifs secondaires, on constate qu’il y a moins de pathologies respiratoires (détresse respiratoire aiguë et affections respiratoires chroniques) dans le groupe sulfate de magnésium. En revanche, on observe une plus grande fréquence de troubles du comportement cliniquement notables (tableau 3). L’essai montre donc que, contrairement à ce qui est observé pour les naissances à un âge gestationnel plus précoce, l’administration de sulfate de magnésium avant un accouchement entre 30 et 34 SA n’a pas d’effet neuro‐protecteur.   Balance bénéfices-­risques Un éditorial accompagne la publication de l’essai MAGENTA. La conclusion en est péremptoire : l’essai ne démontre pas d’efficacité entre 30 et 34 SA ; l’utilisation de sulfate de magnésium après le terme de 30 SA n’est pas justifiée. Elle serait alors le témoin d’une prescription par glissement d’indication. C’est une opinion que contestent S. Marret et coll.(4). Ces auteurs étayent leur avis sur plusieurs arguments. Tout d’abord, dans une métaanalyse publiée en 2017, il était démontré que le sulfate de magnésium assurait une neuro‐protection en cas de prématurité sévère. Et c’est le seul agent pharmacologique dans ce cas. De plus, les effets secondaires constatés, fœtaux et maternels, sont peu sévères aux posologies utilisées. Argument complémentaire, la faible puissance statistique de l’étude MAGENTA. Pour calculer le nombre de patientes à inclure, C.A. Crowther et coll., se basant sur une statistique publiée en 2008, avaient tablé sur un taux d’occurrence de l’issue principale – décès et/ou IMC à 2 ans d’âge corrigé de 9,6 %. Or, dans l’essai, celle‐ci est survenue avec une fréquence trois fois moindre, soit dans seulement 3,0 % des cas. La baisse est principalement attribuée à l’amélioration des conditions des soins de réanimation néonatals depuis l’évaluation de 2008. Mais, conséquence de la rareté des complications sévères, la puissance statistique de l’étude s’avère faible. Au vu de cela, S. Marret et coll.(4) estiment que les arguments ne semblent pas actuellement réunis pour abandonner l’emploi du sulfate de magnésium, en particulier avant 32 SA.   Conclusion   Les essais contrôlés randomisés restent l’armature de l’evidence based medecine, mais leurs résultats ne suffisent pas toujours à emporter les choix cliniques. Lorsqu’il s’agit de prendre les décisions, le poids relatif attribué aux divers critères de jugement, et à la valeur qu’on leur apporte (éthique en particulier), est susceptible, à résultats iden‐ tiques, de faire pencher la balance.

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