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Cancérologie

Publié le 30 mai 2024Lecture 9 min

Difficultés sexuelles après cancer du col utérin

Jeanine OHL, Centre médico-chirurgical obstétrique (CMCO), CHU de Strasbourg, Schiltigheim

Le diagnostic du cancer et les traitements impactent négativement la sexualité des personnestraitées et celle de leurs partenaires. Inversement, la qualité de la sexualité influence la qualité de vie et le moral des personnes traitées. La qualité de la sexualité va même influencer l’histoire du cancer lui-même.

En 2024, tout soignant est amené à s’intéresser à la qualité de vie des patientes atteintes de cancer et à leur santé sexuelle(1). Cependant, à l’heure actuelle, la dysfonction sexuelle reste sous-estimée, inconstamment étudiée dans la littérature et inconstamment prise en charge en pratique(2), la priorité étant donnée aux traitements et à la lutte contre la maladie. Parler de sexualité reste quasi paradoxal. La sexualité est encore moins évoquée avec l’âge et le statut ménopausique (l’âge moyen du cancer du col est de 51 ans et trois quart des diagnostics sont posés avant 65 ans).   Diagnostic et traitements : des effets conjoints sur la sexualité   Dès le diagnostic, un cancer, c’est d’abord l’entrée dans un monde terrorisant. Selon la sévérité de la maladie, on ne pense plus qu’à sa vie et à sa mort. On est confronté à sa vulnérabilité avec écroulement de l’illusion d’immortalité. On peut observer des sentiments de perte de contrôle, de dépendance, d’aliénation suivis de réactions de colère, d’anxiété, de détresse, de dépression. Tout au long du parcours, on va rencontrer d’autres personnes dans des situations dramatiques. Toutes ces notions sont extrêmement anti-érotiques… Le cancer influence la sexualité également par la représentation symbolique de l’organe atteint. Le sein est associé à la féminité (caractères sexuels secondaires), à la maternité (allaitement) et à la sexualité (organe érotique). L’utérus quant à lui est associé à la féminité (règles), à la maternité (grossesse) et à la sexualité (qualité des rapports sexuels). L’impact sur l’activité sexuelle se produit avant, pendant ou après le traitement(1).   Chimiothérapie La chimiothérapie ne représente pas une contre-indication au maintien d’une activité sexuelle, mais elle induira un mal-être général, des nausées, des vomissements. L’asthénie est bien différente de celle que l’on peut vivre dans la vie de tous les jours et peut persister longtemps après la fin des traitements. Elle induit ou renforce une perte d’intérêt pour l’intimité et la vie sexuelle. Localement l’atrophie muqueuse avec sécheresse vaginale est source de dyspareunie.   Radiothérapie externe La radiothérapie externe induit également des effets secondaires systémiques tels que l’asthénie ou le mal-être et surtout des effets locaux importants. On peut citer la fibrose pelvienne (97 % des patientes), l’atrophie muqueuse (91 % des patientes), la perte d’élasticité vaginale voire sa sténose (27 % des patientes) ou son raccourcissement (7,0 cm contre 10,3 cm) et des lésions vasculo-nerveuses périphériques. Ces effets se conjuguent pour diminuer la fréquence de l’orgasme, induire une lubrification vaginale insuffisante et une dyspareunie.   La curiethérapie La curiethérapie permet un excellent contrôle local et pelvien mais au prix d’un impact sexuel important(3). L’épithélium vaginal est aminci, le tissu conjonctif est dense et la diminution du nombre de papilles dermiques induit une atrophie conséquente(4). Les rapports sexuels avec pénétration ne sont pas conseillés pendant le traitement en raison du caractère abrasif de ce dernier. À distance, la douleur ralentit parfois la récupération, des saignements peuvent accompagner les rapports sexuels, éléments pouvant induire un vaginisme secondaire. Certaines femmes évoquent la perte du plaisir de sentir la pénétration et le mouvement du pénis ou des difficultés à l’excitation, à la satisfaction sexuelle et à l’atteinte de l’orgasme.   La chirurgie Après chirurgie, l’activité sexuelle avec pénétration n’est possible qu’après cicatrisation correcte du site opératoire, en 4 à 8 semaines,selon le type d’intervention. Le délai est allongé en cas de radiothérapie externe adjuvante. L’hystérectomie sans castration n’a pas d’impact direct sur la libido (fausse croyance), alors que la radiothérapie et l’hystérectomie radicale ont le plus d’impact à distance(5). Tout au long du parcours le cancer et ses traitements vont ainsi induire un dysfonctionnement sexuel physique et psychologique avec bouleversement du sentiment d’identité (sentiment d’être différente), perte des repères du schéma corporel même si le schéma visible est peu modifié, voire sentiment de mutilation. Affronter sa propre image dans le miroir et dans le regard de l’autre est un cap difficile à passer. Les patientes évoquent la perte du sentiment d’être désirable (chirurgie, perte ou prise de poids pour 55 % des femmes), la perte du sentiment de féminité (chute de cheveux) et la perte de la confiance et de l’estime de soi (dévalorisation). Selon l’enquête Vivactis Public Relations (2015), jusqu’à 61 % des femmes se disent insatisfaites de leur corps.   Sexualité et cancer : le constat   Un manque d’information des patientes quant à l’impact du cancer et des traitements sur la sexualité est rapporté par les deux tiers des femmes(6). Les professionnels abordent insuffisamment le sujet, car ils éprouvent de la gêne à en parler ou un sentiment d’inefficacité. De plus, ils déplorent une formation inadaptée, leur inexpérience, de même qu’un manque de temps clinique et de ressources économiques pour traiter les aspects psychologiques, sociaux et sexuels(7). Seules 40 % des patientes atteintes d’un cancer du col ont parlé de sexualité avec l’équipe soignante depuis le début de leur maladie. La moitié d’entre elles le font à l’initiative du personnel soignant et l’autre moitié de leur propre initiative(8).   Pistes d’amélioration de la prise en charge   Que proposer pour améliorer la prise en charge des patientes sur le plan de leur sexualité ?   L’onco-sexologie L’onco-sexologie, discipline récente est maintenant intégrée aux soins de support. Elle a fait partie du troisième plan Cancer 2014-2019. L’onco-sexologie a pour objectifs d’aborder les conséquences pour les patients et leurs partenaires des dysfonctionnements sexuels liés au cancer et à ses traitements, et de leur fournir des éléments de réponse. Elle apporte aux équipes pluridisciplinaires des points de repère pour intégrer la préservation de la santé sexuelle et de la vie intime tout au long des parcours de soins et de l’après-cancer.   Recommandations de l’Institut national du cancer Des recommandations pour les professionnels ont été publiées en septembre 2021 par L’Institut national du cancer(9). On y trouve des connaissances de base sur la santé sexuelle et les principaux déterminants de la vie intime. Les symptômes les plus fréquents liés à la santé sexuelle en cas de cancer sont décrits, sur les versants biologique, psycho-émotionnel, identitaire et relationnel. Tous les soignants sont impliqués : médecin traitant, gynécologue, oncologue, psychologue, psychiatre, sexologue, infirmières. Dans ce guide, ils trouveront des conseils pour oser aborder le sujet, informer assez rapidement après l’annonce, tout au long du parcours de soins et après la fin du traitement. Ils seront plus à l’aise pour devancer les questions des patientes et des partenaires, aborder le pronostic, la souffrance, la mort, la reconstruction, la féminité et la sexualité. D’autres référentiels utiles ont été rédigés (Ligue contre le cancer, AFSOS…).   L’accompagnement des patientes Avant d’aborder la sexualité, l’accompagnement psychologique s’avère primordial pour réduire la charge symptomatique non sexuelle. Il s’agit de diminuer le sentiment de solitude, de découragement ou d’indifférence. Il s’agit de reconstruire une bonne estime de soi tant par l’aspect physique (soins esthétiques) que les aspects sociaux, spirituels avec l’encouragement aux réalisations professionnelles et familiales. Une communication efficace et permanente avec l’entourage et le (ou la) partenaire est également nécessaire. L’accompagnement physique est aussi indispensable, amenant la patiente à accepter les changements entraînés par le cancer et son traitement. Il consiste à l’aider à rester toujours active, à pratiquer des exercices adaptés et à surveiller son poids. Il s’agit également de diminuer les effets secondaires de la chimiothérapie ou de la radiothérapie (perruque, vêtements adaptés, soins du corps…). Des solutions existent aussi pour la sexualité, permettant de regagner une assurance quant au pouvoir de séduction. Il est important de lutter contre l’évitement des relations sexuelles, voire l’élimination totale de la sexualité, en l’aménageant si besoin, en intégrant les stimulations sensorielles, en multipliant les jeux érotiques utilisant d’autres zones érogènes et en cultivant la tendresse. Cette « éducation » améliore significativement la satisfaction sexuelle, le but n’étant pas de re-trouver une vie sexuelle « normale » mais d’éprouver du plaisir ensemble(10). Sur le plan thérapeutique, certains traitements peuvent être apportés pour améliorer la sexualité. Un traitement hormonal substitutif par voie générale peut être poursuivi ou débuté sauf si le cancer est hormono-dépendant (amélioration de la libido). Les traitements trophiques locaux préventifs ou curatifs précoces améliorent la souplesse et la lubrification de la muqueuse vaginale. On peut citer les gels lubrifiants et hydratants vaginaux, un œstrogène local pour la régénération épithéliale, l’acide hyaluronique, le laser vaginal, les vitamines A et E ou encore les probiotiques(11, 12). Les exercices de renforcement musculaire et de relaxation du plancher pelvien peuvent exercer une effet trophique intéressant. Le maintien d’une activité sexuelle est conseillé durant le traitement pour réduire les risques de séquelles et notamment de sténose du vagin(13). L’utilisation de dilatateurs vaginaux est parfois utile pour passer un cap et accéder à une amélioration progressive avec le temps(14). L’interaction avec le (la) partenaire, qui n’a pas forcément le même vécu face aux effets du cancer et des traitements, a une grande importance. La diminution du désir sexuel de la patiente ayant un cancer peut entraîner une distanciation émotionnelle du (de la) partenaire, ce qui induit des changements dans son niveau d’intérêt sexuel(15). On entend souvent aussi la peur des rapports sexuels chez les partenaires (peur de faire mal) et la qualité de la relation avant la survenue du cancer prend ici toute son importance. Les partenaires doivent être inclus d’emblée dans la prise en charge (information, conseils…). Il n’y a pas d’altération de la relation soignant/soigné s’il (elle) est présent(e) en consultation, avec l’accord de la patiente, ni d’altération de la prise en compte des demandes ou besoins de celle-ci. Globalement la patiente vit positivement la présence de son (sa) partenaire. Elle lui attribue souvent un rôle rassurant et dédramatisant. Partager ses préoccupations et communiquer permet de maintenir les relations sexuelles ou au moins l’équilibre du couple. L’enquête de l’INCa montre que de façon générale, la vie de couple semble préservée deux ans après un diagnostic de cancer chez les hommes comme chez les femmes(8). Les femmes déclarent le plus souvent que leur conjoint est la personne qui les a le plus aidées vis-à-vis de la maladie et des traitements. Pour optimiser la prise en charge du cancer, en particulier pour le versant sexualité, il est primordial de dépister les situations s’accompagnant d’éventuels facteurs de gravité. Il faut s’attendre à une moins bonne adaptation sexuelle dans les stades avancés (> IIB). De plus, les femmes très jeunes, avec absence de partenaire ou absence de famille sont plus fragiles, tout comme celles alléguant d’un dysfonctionnement préexistant au cancer. Ces contextes particuliers exposent la patiente à la persistance de troubles sexuels plusieurs années après la fin des traitements et à une altération profonde de l’image corporelle avec dévalorisation(16). La question de la fertilité peut se poser chez la femme jeune. Elle doit être abordée dès le début de la prise en charge. La fertilité est fréquemment réduite par le cancer et ses traitements avec défaillance ovarienne et/ou utérine et/ou cervicale. Elle reste préservée dans certains cas de conservation utérine. Des méthodes de prévention sont parfois utilisables, comme le cerclage abdominal en cas d’amputation du col ou comme la conservation de tissu ovarien ou la vitrification ovocytaire en cas d’altération de la fonction ovarienne. Dans tous les cas, il est important de bien dissocier les troubles de la fertilité et la capacité à mener une vie sexuelle satisfaisante, c’est à dire ressentir et à donner du plaisir.   En conclusion   Avoir eu un cancer du col de l’utérus n’est pas incompatible avec une vie sexuelle agréable. Les équipes soignantes ont maintenant à leur disposition des outils pour se former à écouter, informer et traiter. L’accompagnement de la patiente, de son conjoint et sa famille doit permettre à tous d’échanger sans tabou tout au long du parcours au bénéfice de chacun.

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