Publié le 30 mai 2024Lecture 5 min
Cholestase gravidique : faut-il déclencher et si oui, quand ?
Denis GALLOT, CHU de Clermont-Ferrand, Au nom du groupe des Recommandations pour la pratique clinique du CNGOF concernant la cholestase gravidique
La cholestase gravidique augmente le risque de mort fœtale in utero. Cependant, celui-ci est-il en lien avec le taux d’acides biliaires et nécessite-t-il obligatoirement un déclenchement ? Interrogations primordiales qui ont fait l’objet des récentes Recommandations pour la pratique clinique du CNGOF concernant la cholestase gravidique(1).
La cholestase gravidique est associée à une augmentation du risque de prématurité, de liquide amniotique méconial, d’asphyxie fœtale et de mort fœtale in utero (MFIU) de survenue brutale sans signes avant-coureurs(2). Certains auteurs et sociétés savantes ont donc proposé une politique de déclenchement systématique en cas de cholestase gravidique pour essayer de réduire la morbidité périnatale, en particulier l’incidence de la MFIU, et ce dès les années 1990(3).
En 2014, Henderson et coll. publiaient une revue systématique de la littérature pour estimer le risque de MFIU à terme en cas de cholestase gravidique. À partir de 16 articles publiés entre 1967 et 2011, les auteurs concluaient que le surrisque de MFIU n’était pas documenté en comparaison avec celui observé en population générale. Ils considéraient comme abusive l’adoption d’une politique de déclenchement systématique en cas de cholestase gravidique dans le but de réduire la MFIU(4). Dans la métaanalyse publiée par Ovadia et coll., la prévalence de la MFIU était de 0,28 % pour des acides biliaires < 100 µmol/ L et 3,44 % si ≥ 100 µmol/L vs 0,32 % dans le groupe contrôle, avec un risque très faible de MFIU avant 36 SA dans les deux groupes(5). Ces résultats corroboraient ceux d’une étude en population, qui observait une corrélation entre le risque de MFIU et le dosage maximal d’acides biliaires dans une population de femmes avec cholestase gravidique et acides biliaires ≥ 40 µmol/L (OR ajusté = 2,58 [IC 95 % : 1,03-6,49])(6). La métaanalyse d’Ovadia et coll. retrouvait également une association entre la prématurité, qu’elle soit spontanée ou induite, et le taux maximal d’acides biliaires (respectivement OR = 3,47 [IC 95 % : 3,06-3,95] et 3,65 [IC 95 % : 1,94-6,85])(5). Le risque d’hospitalisation néonatale semblait également associé au taux d’acides biliaires maximal avec un OR = 2,12 (IC 95 % : 1,48-3,03) et 1,47 (IC 95 % : 1,03-2,1) après exclusion dans la métaanalyse des études pour lesquelles un biais de publication avait été mis en évidence. En conclusion, il a été montré que, en cas de cholestase gravidique, il existe un risque majoré de MFIU en comparaison à une population générale, surtout pour des taux d’acides biliaires supérieurs à 100 µmol/L et dans une moindre mesure pour des taux d’acides biliaires supérieurs à 40 µmol/L mais aussi un risque majoré de prématurité et d’hospitalisation en néonatologie.
Nécessité du déclenchement
Un seul essai randomisé de petit effectif a comparé le déclenchement entre 37+0 et 37+6 SA (n = 30) avec l’expectative jusqu’à 40+0 SA (n = 32)(7). Les deux tiers des patientes incluses avaient un taux d’acides biliaires ≤ 40 µmol/L au moment de l’inclusion. Vingt patientes sur 32 (63 %) du groupe « expectative » ont été déclenchées ou césarisées avant 40+0 SA en raison (plusieurs options possibles) d’une altération de l’état maternel ou fœtal (7/20), d’une demande parentale (10/20) ou par décision de l’obstétricien (14/20). Cela suggérait indirectement que les équipes médicales ou les patientes peinaient à accepter une réelle expectative en cas de cholestase gravidique. L’essai ne retrouvait pas de majoration du risque de césarienne dans le groupe « déclenchement » en comparaison au groupe « expectative » (23 % vs 33 % ; risque relatif : 0,70 ; IC 95 % : 0,31-1,57) mais n’avait pas la puissance nécessaire pour mettre en évidence une différence sur la morbidité périnatale, en particulier sur la survenue d’une MFIU. Les auteurs estimaient qu’un tel essai ne pourrait jamais être mené faute d’un recrutement suffisant.
Un modèle mathématique s’appuyant sur les données de 18 études a établi que l’âge optimal de naissance en cas de cholestase gravidique était de 36 SA, en considérant une prévalence de la MFIU à 1,74 % avec une répartition homogène des accidents sur la période de 35 à 38 SA(8). Les limites de cette étude – modèle mathématique, prévalence de la MFIU retenue semblant élevée en comparaison à celle retrouvée dans la métaanalyse d’Ovadia, hypothèse d’une prévalence de la MFIU considérée comme identique quel que soit l’âge gestationnel – ne permettent pas de retenir 36 SA comme âge optimal de naissance pour toute cholestase gravidique. Une étude de cohorte rétrospective californienne sur la période 2005-2008 portant sur 1 604 386 grossesses, dont 5 545 compliquées de cholestase gravidique a estimé que l’âge optimal du déclenchement pourrait être de 36 SA ou dès le diagnostic si celui-ci était établi au-delà de 36 SA(9). Cette estimation reposait sur la mise en balance du risque de MFIU (accompagnant l’expectative) et celui de décès néonatal (en cas de déclenchement). Toutefois, aucune attention particulière n’était portée à la valeur des acides biliaires. Une étude danoise a comparé les résultats périnataux de deux stratégies à partir des données rétrospectives de deux maternités sur la période 2004-2015 (n = 1 969)(10). Un déclenchement était systématiquement proposé à 38 SA en cas de cholestase gravidique jusqu’en 2012. Par la suite, une maternité est restée fidèle à cette stratégie tandis que l’autre acceptait une expectative plus prolongée (jusqu’à 40 SA) en cas d’acides biliaires < 40 µmol/L. Cette expectative prolongée ne s’est pas accompagnée d’une augmentation des complications par rapport au déclenchement à 38 SA, mais elle n’a pas réduit le recours aux interventions obstétricales (déclenchement pour autre raison type diabète ou hypertension, taux de césarienne, naissance instrumentale). Compte tenu de la majoration du risque essentiellement en cas d’acides biliaires ≥ 100 µmol/L, les sociétés savantes dont les recommandations ont été mises à jour depuis 2019 privilégient un déclenchement vers 36 SA dans cette population tandis qu’il peut être décalé jusqu’à 38 voire 39 SA dans les autres cas. Le choix sera alors fonction de la tolérance maternelle au prurit, de la stabilité des paramètres biologiques et de l’absence d’antécédent de MFIU lors d’une grossesse précédente(11).
En conclusion
Chez les femmes présentant une cholestase gravidique, il est recommandé de déclencher les patientes avec une concentration d’acides biliaires ≥ 100 µmol/L à partir de 36 SA pour réduire la morbidité périnatale, en particulier la MFIU. En cas de concentration d’acides biliaires < 100 µmol/L, il est recommandé d’informer de la possibilité d’un déclenchement entre 37 et 39+6 SA pour réduire la morbidité périnatale (recommandation forte/qualité de la preuve basse).
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