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Chirurgie

Publié le 28 fév 2024Lecture 5 min

La chirurgie : un métier hautement éthique

Israël NISAND, Rédacteur en chef, Président du Comité scientifique

Dire de la chirurgie qu’elle est invasive suffit à souligner la transgression, licite celle-ci, qui autorise à trancher dans le corps d’autrui. Un de mes collègues me disait en guise de provocation qu’on ne parle d’éthique que lorsqu’on n’est plus bon à rien d’autre, plus assez compétent en d’autres termes. Il avait tort, bien sûr. Au regard du dommage possible, le primum non nocere est porté à son acmé dans toute activité chirurgicale et justifie un encadrement éthique du plus haut niveau.

Parler au patient, écouter sa demande, faire un diagnostic, proposer un traitement, évoquer les complications possibles et lui laisser du temps si c’est envisageable pour y réfléchir, choisir la meilleure tactique, être là pour gérer soi-même les suites, se poser des questions plus fondamentales sur les indications et stratégies opératoires. Et, en cas de mauvais résultats, avoir le courage d’expliquer pourquoi le résultat attendu n’est pas là, voire parfois admettre son échec. Cesser toute activité si les moyens de travailler en toute sécurité ne sont pas réunis. Tout cela ressemble fort à une démarche éthique sophistiquée doublée d’une réelle aptitude à une communication de qualité qui permet d’instaurer la confiance sans laquelle il ne devrait pas y avoir de chirurgie. Une information claire et simple, voilà l’essentiel. Les documents complets issus des sociétés savantes, forcément effrayants, sont certes obligatoires mais peu aidants. L’acte chirurgical est généralement utile pour l’opéré, ce qui le justifie. Il sert à lui sauver la vie, à améliorer une fonction, à supprimer des douleurs, à rendre la vie agréable. Le travail du chirurgien est donc altruiste. L’éthique de son travail l’est d’autant plus que le résultat de son acte est bon. Le chirurgien ne doit pas nuire et doit donc peser les indications ce qui revient en permanence à analyser le rapport bénéfices/risques qui sous-tend sa démarche éthique. D’où la nécessité absolue pour un chirurgien de faire son possible pour éviter l’échec, et les complications. Aux deux extrêmes du champ de la réflexion, les indications évidentes qui ne souffrent aucune contestation et les contre-indications opératoires tout aussi péremptoires. Le blanc ou le noir sont simples, mais ce sont les situations grises qui sont les plus délicates et hélas les plus fréquentes. Au milieu, il y a toutes ces indications discutables, celles où justement l’appréciation personnelle peut être biaisée par l’expérience ou un contexte difficile : opérer ou non une adénomyose ou une endométriose, en rester à de petits moyens palliatifs ou placer une prothèse en cas de fuites urinaires épisodiques. Jusqu’où aller dans l’invasivité en cas de cancer de l’ovaire découvert tardivement ? Ce qui aide alors, c’est la qualité et la rigueur de la formation, c’est connaître les attitudes de confrères dans les mêmes circonstances, et demander un avis à un plus expérimenté, lire la littérature et savoir passer la main si on ne se sent pas en mesure de réaliser un acte avec toute la qualité requise. Les RCP ont ici toute leur importance. On commence en aidant un plus ancien, puis en prenant les outils sous le contrôle d’un enseignant en ambiance hospitalière et ensuite on prend les rênes sous la protection voisine d’un collègue qui saura venir à la rescousse en cas de problème. Le défaut d’éthique étant alors de ne pas bien anticiper le problème, de se lancer sans avoir tous les éléments. Un bon chirurgien, contrairement aux qualités que le public plébiscite, n’est pas celui qui est le plus adroit mais plutôt celui qui a du sang-froid, celui qui sait prendre du recul pour bien analyser une situation, celui qui sait mettre son ego en sourdine en appelant un plus vieux ou un plus spécialisé que lui. Pour mettre le patient à distance en chirurgie, il faut être capable, au moins pendant le temps opératoire, de «chosifier» le patient. C’est un organe à opérer, une maladie à traiter, et la déconnexion de l’anesthésie permet de se concentrer sur le seul champ opératoire. Mais juste avant et juste après l’acte opératoire, c’est à nouveau un sujet qui est présent, questionne du regard et demande à être rétribué de sa confiance par une prise en charge sans défaut. On reconnaît un bon chirurgien à son aptitude à gérer les «loupés». Facile la chirurgie quand tout se passe bien et que l’effet attendu est là qui récompense tout le monde! Mais quand ça va mal, quand il faut reprendre, quand la complication survient, quand le bénéfice recherché sur une douleur n’est pas au rendez-vous, c’est là qu’on peut voir si le chirurgien se comporte comme il l’aurait fait pour quelqu’un de proche ou de sa famille. Il y en a qui rejettent ces «mauvais patients», car ils ne supportent pas la remise en cause possible de leurs compétences.On reconnaît un bon chirurgien parce qu’il reste là par gros temps. Il ne déserte pas. Il ne fuit pas. Il dit les choses en toute transparence, ne cache rien et prend le temps d’expliquer ce qu’il comprend de la situation. Il garde la confiance du patient malgré les vents contraires. Aucune intelligence artificielle ne se substituera jamais à ce médecin-là, dont on croise le regard empathique et dont on sait qu’il prendra pour vous les mêmes décisions que celles qu’il aurait prises pour quelqu’un qui lui est cher, dont on sait qu’il n’acceptera pas les objurgations d’une administration tatillonne qui lui demanderait d’économiser au-delà du raisonnable sur la sécurité des soins et dont on sait qu’il soupèse en permanence le plus et le moins de chaque geste qu’il effectue à l’intérieur de votre corps. La chirurgie est résolument une spécialité qui convoque constamment une véritable démarche éthique.

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