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Cancérologie

Publié le 14 déc 2022Lecture 7 min

Cancer du sein chez la femme jeune : y penser, le chercher, le trouver - Difficultés cliniques et radiologiques du diagnostic

Valérie CHIGOT, Radiologue, Paris

Le cancer du sein chez la jeune femme est rare mais non exceptionnel : près de 5 % des cancers, environ 3 000 cas, surviennent chaque année avant l’âge de 35 ans. Comme à tous les âges, son incidence augmente. Même si les cancers agressifs sont plus fréquents avant l’âge de 40 ans, le pronostic reste bon lorsque le diagnostic est posé rapidement. Cependant, l’examen clinique est souvent compliqué chez la femme jeune par les modifications fibrokysiques fréquentes, particulièrement en présence d’une grossesse ou d’un allaitement. la forte imprégnation hormonale peut rendre l’interprétation de la mammographie et de l’IRM plus difficile ; l’échographie ne sera suffisante qu’en présence d’un kyste simple, d’un lipome ou d’un adénofibrome.

Circonstances de diagnostic L’apparition d’une anomalie clinique qui alerte la patiente est la situation la plus fréquente du diagnostic. Avant 35 ans, 10 % des cancers du sein sont découverts lors d’un examen de dépistage chez une femme à haut risque, alors que 75 % sont identifiés lors de l’exploration d’une masse. Ils peuvent également se manifester par des changements inflammatoires, un écoulement mamelonnaire ou une douleur focale. L’examen clinique reste peu spécifique en raison de la fréquence de mastopathies fibrokystiques qui peuvent également se manifester par des mastodynies, une tuméfaction sensible, un placard granuleux ou plus rarement un écoulement mamelonnaire. Une proportion importante de cancers est associée à la grossesse (20 % des cancers avant 30 ans), c’est-à-dire diagnostiquée en cours de grossesse ou dans les 12 mois du postpartum. Cette circonstance expose au risque du retard diagnostique, du fait des modifications cliniques et radiologiques des seins pendant la grossesse et de biais cognitifs chez les patientes et les soignants, parfois enclins à minorer les signes d’alerte et à les attribuer à tort à des modifications normales (figure 1). Figure 1. Femme de 31 ans, sans facteur de risque connu. Mastodynies focales apparues en cours de grossesse. Échographie réalisée au 2e mois dite « normale ». Difficultés selon le type d’imagerie Certaines difficultés d’interprétation sont liées à l’imprégnation hormonale et à la densité des seins, d’autres au mode de construction de l’image. Le lexique et la classification Breast Imaging-Reporting and Data System (BI-RADS® , encadré) développés par l’American College of Radiology (ACR) ont fait notablement progresser la prise en charge, en fournissant un vocabulaire et une conduite à tenir aisément compréhensibles par les différents intervenants. Pour rappel, la classification BIRADS de l’ACR ne tient compte ni du contexte clinique ni des antécédents personnels et familiaux. Il est notamment envisageable de biopsier une anomalie classée BIRADS 3 ! Échographie mammaire Cet examen totalement indolore, d’accès facile, souvent plus efficace que la mammographie, nécessite toutefois une certaine expertise. Il faut être vigilant devant toute altération focale de l’échostructure glandulaire. Certaines anomalies, telles que les altérations discrètes de l’échostructure et les lésions hyperéchogènes, ne sont pas mentionnées dans le lexique BIRADS (figure 2). L’analyse doit être rigoureuse et guidée par l’examen clinique afin de ne pas classer BIRADS 2 ou 3 trop rapidement une lésion ambiguë ou suspecte. L’élastographie peut aider au diagnostic en améliorant la caractérisation de la lésion, car certains cancers sont « durs » et non déformables en élastographie. Figure 2. Femme de 39 ans, sans facteur de risque. Placard granuleux du QIE du sein droit. Mammographie La mammographie 2D et la tomosynthèse exposent aux rayons X. La forte densité mammaire liée à l’imprégnation hormonale masque en mammographie 2D certaines masses et anomalies architecturales. La tomosynthèse peut donc être très intéressante chez les femmes jeunes, en rendant inutiles les clichés localisés, et en permettant une meilleure résolution pour les distorsions architecturales, spicules, ou les lésions convergentes à centre clair comme la cicatrice radiaire (figure 3), pour les asymétries de densité (elle reclasse en BIRADS 2 les images de sommation) et permet une meilleure localisation des anomalies avant la biopsie ciblée. Elle doit être associée à la mammographie 2D qui détecte mieux les microcalcifications poussiéreuses. En cours d’allaitement, les seins sont très denses et parfois ponctués d’innombrables microcalcifications qui sédimentent sur les clichés de profil ou obliques, mais qui gênent l’interprétation. En cas d’examen de dépistage, il vaut donc mieux attendre quelques semaines après l’arrêt de l’allaitement pour réaliser la mammographie. La mammographie n’est pas contre-indiquée en cours de grossesse. Figure 3. Femme de 37 ans. Masse du QIE droit. L’IRM mammaire L’accès à l’IRM reste insuffisant dans certaines régions, et les contre-indications liées au produit gadoliné injecté et au champ magnétique peuvent compliquer la démarche diagnostique. Dans ces circonstances (contre-indication ou non-accès dans un délai rapide), la Haute Autorité de Santé a récemment souligné l’intérêt de l’angiomammographie. Le gadolinium, qui passe la barrière placentaire, devra être si possible évité lors du premier trimestre de grossesse. L’allaitement sera interrompu pendant 24 heures après l’injection de gadolinium. L’examen est au mieux réalisé en première partie de cycle, afin de réduire autant que possible le rehaussement matriciel de fond. Néanmoins, celui-ci reste souvent important, masquant certaines prises de contraste tumorales ou, a contrario, conduisant à décrire de faux positifs. Les CCIS sont mal vus (les microcalcifications sont rarement identifiables en IRM).   Démarche diagnostique Dans le cadre d’un dépistage Le dépistage est réalisé dans le but de poser le diagnostic avant l’apparition de signes cliniques. Il est réalisé chez les femmes à risque élevé de cancer du sein. Il faut, dans ce contexte, être particulièrement vigilant à ne pas les exposer inutilement aux rayons X. Chez les femmes à haut risque connu, le dépistage commence par un examen clinique annuel dès l’âge de 25 ans, puis une IRM/mammographie est réalisée chaque année dès 30 ans. Cette mammographie de dépistage ne doit comporter qu’une incidence oblique 2D par sein, sans tomosynthèse. Elle sera complétée par une échographie. L’ensemble sera au mieux, réalisé dans la même journée et dans cet ordre : IRM puis mammographie et échographie afin de cibler les anomalies vues en IRM. Pour les femmes jeunes, à risque intermédiaire, il est recommandé de commencer les dépistages à 40 ans, selon les mêmes modalités que le dépistage organisé. En cas d’anomalie clinique non associée à la grossesse L’efficience du radiologue dépend de son expertise et du matériel dont il dispose (tomosynthèse, IRM, biopsie, et dans un avenir proche, algorithme d’intelligence artificielle). Le prescripteur orientera de façon optimale les examens d’imagerie en situant l’anomalie sur un schéma (ou en la montrant à la patiente). • Avant 35 ans, en cas de masse palpable une échographie doit d’abord être réalisée. Elle suffit habituellement en cas de kyste, de nodule très évocateur d’adénofibrome ou de lipome. Mais il ne faut pas hésiter à la compléter par une mammographie en cas de discordance échoclinique, de BIRADS 4 ou 5 ou d’altération même discrète de l’échostructure afin de rechercher notamment des microcalcifications. Devant des anomalies cliniques patentes sans substratum échographique, une mammographie en une incidence 2D oblique est le plus souvent réalisée, parfois complétée par d’autres acquisitions (incidence de face, tomosynthèse). • Après 35 ans, une mammographie doit toujours être réalisée, complétée par une échographie. La tomosynthèse est alors particulièrement recommandée en raison de la forte densité mammaire. La dose supplémentaire liée à la tomosynthèse est justifiée par la nécessité de parvenir à un diagnostic fiable et par son caractère non itératif.   En cas d'anomalie clinique associée à la grossesse • Devant une masse ou en présence de signes inflammatoires en cours de grossesse ou en postpartum, on réalise d’abord une échographie. • En cas de mastite clinique, avec ou sans signe échographique, on s’assure de l’absence de cancer en réalisant une mammographie après traitement et disparition des symptômes (dans un délai de 2 à 3 semaines). • En cours de grossesse, la mammographie 2D est possible, car l’utérus est en dehors du faisceau de rayonnement et la dose de rayons est faible. Il n’y a donc pas de risque pour l’embryon et le fœtus et il ne faut pas hésiter à la réaliser afin de ne pas méconnaître un cancer. La patiente portera un tablier de plomb et on la rassurera sur la poursuite de sa grossesse.   CONCLUSION Le cancer du sein chez la femme jeune n’est pas exceptionnel. Il peut avoir un lien avec une prédisposition génétique, mais dans plus de 50 % des cas celui-ci se développe chez des femmes n’ayant aucun antécédent familial. Son diagnostic est parfois difficile en raison de l’imprégnation hormonale ou des changements mammaires associés à la grossesse. Souvent de haut grade, son pronostic est amélioré par un diagnostic précoce. Il importe d’être attentif aux échographies faussement rassurantes et de classer BIRADS 3 les nodules, les contrôler à 4-6 mois voire les biopsier d’emblée en cas de doute diagnostique, de suivi difficile, ou si la patiente, inquiète, le demande. Les femmes à haut risque ou à risque intermédiaire doivent bénéficier d’un dépistage spécifique. En cas d’anomalie clinique, lorsque l’échographie et la mammographie ne permettent pas de poser un diagnostic précis, il faudra envisager de compléter le bilan par une IRM et/ou une biopsie.  

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