Publié le 23 oct 2012Lecture 4 min
Plaisir coupable
Philippe BRENOT, Directeur des enseignements de sexologie et sexualité humaine à l’université Paris-Descartes
Si la masturbation a été poursuivie et condamnée pendant quelques siècles jusqu’au début des années 1950, nous savons aujourd’hui l’importance de cette pratique intime pour la maturation sexuelle et l’entretien de la sexualité tout au cours de la vie. Les mentalités ont cependant beaucoup de mal à évoluer et nous en recueillons chaque jour encore les témoignages, notamment ceux d’une éducation en général confessionnelle, stricte ou rigide en matière de liberté corporelle et de valeurs morales. La masturbation est alors l’un des tabous persistants les moins bien compris et les plus culpabilisants, avec les conséquences importantes que peuvent avoir de telles contraintes sur l’inhibition des comportements sexuels.
Comportement actuel Dans la grande enquête que je viens de mener avec l’Observatoire international du couple sur la sexualité féminine(1), 68 % des femmes (toutes générations confondues) ont une pratique régulière de la masturbation (nettement moins que les hommes : 87 %). La culpabilité attachée à la masturbation est heureusement aujourd’hui réellement faible : 10 % seulement disent en avoir encore de la culpabilité. Mais si l’on regarde de plus près la fréquence de cet autoérotisme, on prend bien conscience qu’une part importante des femmes (41 %) ont une masturbation extrêmement rare (quelques fois par an) voire absente, alors que nous savons l’importance de ce comportement autoérotique qui est au centre de la dynamique sexuelle féminine. Mais il est encore très mal compris et peu expliqué. Ce n’est en effet pas une alternative au coït mais plutôt une source d’autoexcitation permettant que la relation à deux soit plus épanouie. Culpabilité Geneviève a 53 ans, elle témoigne d’une angoisse qui ne l’a pas vraiment quittée : « Quand j’étais petite, je me masturbais beaucoup et ma mère pour m’en empêcher m’a dit que ça ferait exploser ma tête … ! J’avais donc très peur et j’essayais souvent d’arrêter de me masturber, sans y parvenir, car c’était compulsif. Je croyais que j’étais la seule à faire cela, que j’étais touchée par une malédiction… J’ai alors souvent eu peur d’en mourir car, comme j’avais mal à la tête après m’être masturbée, je pensais que ce que disait ma mère était vrai ! » Ce témoignage, parmi de très nombreux autres, est révélateur des réflexions banales ou négatives qui peuvent ensuite faire symptôme et freiner l’entrée dans la sexualité. C’est ce que nous confirme Malika, 27 ans : « J’avais peur que mes parents se doutent que je me masturbais, qu’ils trouvent cela dégoûtant. Ça a été horrible de ressentir un plaisir coupable. La masturbation a provoqué chez moi de la culpabilité et de la honte. » La honte, la peur, la culpabilité sont alors liées à la sexualité, ce qui empêche, la plupart du temps, l’abandon que nécessite la relation intime. Cécile, 42 ans, se souvient : « Enfant, je me masturbais, mais j’ai été dénoncée par mon frère et réprimandée par mes parents. Je ne l’ai plus jamais fait de ma vie, mais aujourd’hui je suis très mal dans ma sexualité et je me pose des questions par rapport à ça. » Le grand paradoxe de la masturbation c’est qu’elle a donc été condamnée pendant des siècles, alors que nous savons aujourd’hui sa valeur importante pour la maturation sexuelle et pour la pérennité de la sexualité tout au long de la vie. Cet anathème sur l’autoérotisme n’avait certainement pas été lancé par hasard, les persécuteurs d’antan avaient vraisemblablement compris l’importance de cette étape pour la construction identitaire et physiologique. Nous étions dans un temps où la sexualité était alors objet de tabous en raison du caractère subversif de son libre exercice. C’est très certainement à raison que des générations entières ont tenté de freiner l’épanouissement sexuel des ados comme des adultes, de peur qu’il bouleverse l’ordre établi et notamment les choix d’alliance que faisaient les familles à l’encontre du sentiment amoureux.
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